Je suis d'accord avec M. Turquois : il importe d'abord de protéger les cultures, de manière à disposer de la quantité et de la qualité permettant de répondre aux demandes du marché.
Mme Heydel Grillere, vous avez évoqué à juste titre la question des rodonticides. La bromadiolone a été très utilisée jusqu'à son retrait. Il existe des alternatives, comme la neige carbonique. Par ailleurs, se pose la question des régulations biologiques : comment faire en sorte d'avoir toujours les rapaces nécessaires pour limiter les populations de rongeurs ? Si l'on applique le principe des équations de compétition de Lotka-Volterra, on voit bien que l'on fait tout ce qu'il ne faut pas faire. Mais ce qu'il faut faire est assez compliqué, raison pour laquelle il faut développer la recherche – cela répond à une question de M. Fugit.
L'usage des produits phytosanitaires s'est répandu parce que leur utilisation était simple : ils ont facilité la vie du plus grand nombre. Désormais, il s'agit de trouver des solutions et des formes d'accompagnement qui soient soutenables et vivables pour les agriculteurs.
En effet, les prairies permettent de diminuer l'usage des produits phytosanitaires mais aussi de faire de la prophylaxie, en évitant la spécialisation des flores. Ensuite, vous avez mentionné à juste titre la multiplicité des règles d'application des produits à laquelle les agriculteurs sont confrontés. En effet, l'Anses pose les règles d'application produit par produit, sans préjuger des conditions dans lesquelles ces produits seront utilisés à l'échelle d'une exploitation. Il en est ainsi parce qu'à défaut, il faudrait aligner tout le monde sur la plus grande distance aux habitations, ce qui serait jugé excessif. Mais il est certain qu'en contrepartie, ces règles sont difficilement lisibles pour l'applicateur et difficilement compréhensibles pour la population.
Clairement, nous serions ravis si les crédits de la recherche étaient augmentés. Dans ce domaine, qu'aurions-nous pu mieux faire ? Pendant longtemps, la communauté s'est consacrée à l'analyse du problème. Si l'on observe les tendances longues, après une inertie d'une dizaine d'années, depuis quatre ans, la trajectoire est marquée par un fort fléchissement du volume des produits phytosanitaires de synthèse utilisés, ainsi que par une croissance des produits utilisables en agriculture biologique et des produits de biocontrôle. Il faut également prendre en compte le retrait des produits CMR des catégories 1 et 2. Une tendance à la baisse se dessine donc. Le délai initial de dix ans n'est pas surprenant : en dépit d'un signal très fort, cela prend du temps pour que les acteurs économiques s'organisent. Le même phénomène a été observé au moment de la mise en œuvre des certificats d'économie d'énergie : il a également fallu dix ans pour qu'ils commencent à être utilisés.
La recherche a ainsi, pendant très longtemps, effectué un travail d'analyse de la situation qui a alimenté une grande diversité de ressources. Nous aurions pu faire mieux – et nous le faisons parfois – en développant davantage des approches de type problem solving. Ce type de recherche à 360 degrés pour résoudre un problème précis est aujourd'hui utilisé dans le cadre du plan national de recherche et d'innovation (PNRI) pour la betterave ; il vise à protéger ces cultures d'un puceron vecteur de quatre maladies différentes sans recourir aux néonicotinoïdes (NNI). De fait, des solutions soutenables se dessinent et l'année 2023, qui est sans NNI, se déroule plutôt bien. Il convient également de mentionner le plan Phosmet sur le colza et le plan contre les maladies du dépérissement de la vigne. Ces maladies avaient disparu grâce à un système à effet biocide extrêmement violent, qui nettoyait complètement les plants de vigne. Quand ce produit a été retiré au milieu des années 2000, nous avons constaté une recrudescence du dépérissement de la vigne. C'est alors qu'un plan a été mis en place, sous la présidence de l'interprofession de la vigne, afin que tous les acteurs réfléchissent ensemble aux solutions à apporter. Ces trois plans partagent deux caractéristiques communes : d'une part, ils cherchent explicitement à résoudre un problème et d'autre part, il n'y a pas une seule solution, mais plutôt une combinaison complexe de solutions, potentiellement propre à chaque exploitation.
Cette démarche doit sans doute être développée mais elle ne pourra pas être répliquée à l'infini, pour chaque molécule et chaque bioagresseur. Il faut définir une stratégie de « paquets ». Simultanément, nous devons continuer à alimenter des secteurs que l'on ne connaît pas suffisamment, qui sont indispensables pour développer les leviers de demain, notamment dans le domaine de l'écologie chimique. Nous devons parvenir à comprendre comment un insecte se déplace, à connaître le microbiote des végétaux, lequel est une source de protection pour la plante. Pour le moment, aucun de ces microbiotes n'a été séquencé, alors qu'on les trouve sur les racines, sur les feuilles et à l'intérieur des plantes, et qu'on sait qu'ils peuvent contenir des virus.
Nous avons besoin d'alimenter tous ces domaines pour répondre aux défis des prochaines décennies. Le changement climatique va, par exemple, entraîner l'apparition de nouveaux pathogènes, pour lesquels de nouvelles solutions devront être trouvées. Nous avons donc besoin de moyens, mais aussi d'une gouvernance et d'une planification. À plus court terme, nous devons mener des approches de type problem solving, ainsi que des approches en sciences humaines et sociales, pour mieux comprendre les agriculteurs. Il faut également travailler sur l'accompagnement des agriculteurs. À l'heure actuelle, les politiques publiques d'accompagnement ne sont pas organisées pour une couverture des risques en période de transition ; elles sont plutôt cycliques que contracycliques. Lorsque l'on évolue d'une situation d'équilibre à une autre situation fondée sur une autre modalité de production, cela s'apparente parfois à la traversée d'un canyon pour les agriculteurs.