Je vous remercie de nous avoir invités pour contribuer aux débuts de vos travaux. La problématique des pesticides est un sujet majeur pour l'institut et pour l'agriculture. En introduction de vos travaux, je vous propose d'évoquer quelques rudiments concernant les pesticides, dans une approche pédagogique. Je préciserai ensuite comment les différents leviers de protection des cultures sont élaborés aujourd'hui.
Tout d'abord, pourquoi protège-t-on les cultures ? Il s'agit d'éviter les pertes de quantité et de qualité des produits de récolte en France, en vue de répondre aux demandes du marché. Ces pertes sont susceptibles d'être engendrées par un certain nombre de bioagresseurs, lesquels couvrent un champ très large : les adventices ou mauvaises herbes, les champignons et phytoplasmes, les insectes et autres animaux ou organismes ravageurs – nématodes et mollusques en particulier.
Les causes des pertes de cultures sont multiples. Certains bioagresseurs peuvent induire une compétition pour la lumière, l'eau et les nutriments. Il s'agit essentiellement des adventices. La deuxième cause de perte est la réduction de la surface foliaire et de la teneur en chlorophylle en raison de champignons ou d'insectes. Enfin, la troisième cause est liée à la réduction de l'alimentation hydrique et minérale par l'action de champignons telluriques, d'insectes ou de nématodes. La protection des cultures implique par ailleurs de prévenir l'altération de la qualité des produits de récolte – lutte contre les adventices, ergots, mycotoxines et insectes – ou leur altération durant la conservation, du fait de champignons ou d'insectes.
Il existe deux types de réponses possibles. Le premier consiste à supprimer les bioagresseurs : c'est la logique des produits biocides. Ils fonctionnent selon deux grands mécanismes : soit la toxicité du produit tue l'organisme indésirable, soit ce produit neutralise une voie métabolique et altère le fonctionnement de la plante, qui ne peut plus fonctionner. C'est, par exemple, le cas du glyphosate, qui vient s'insérer dans une enzyme assurant la synthèse d'un certain nombre d'acides aminés, ce qui a pour effet ultime de tuer l'organisme. L'autre type de réponse consiste à maintenir les bioagresseurs en dessous du seuil de nuisibilité. C'est là toute la question de la prophylaxie, qui est au cœur de la protection intégrée des cultures, avec la prévention, de façon à réduire la pression.
La difficulté principale porte sur la réalité de la mesure de la pression : comment peut-on être sûr que la pression est suffisamment basse pour que l'agriculteur n'ait pas à intervenir avec un phénomène biocide ? Dans certaines situations, il n'est pas possible de mesurer la présence des pathogènes. C'est là qu'interviennent les outils d'aide à la décision, à l'image des modèles d'épidémiologie, mais aussi le partage d'informations, au cœur du bulletin de santé du végétal (BSV), dans une logique de surveillance partagée. En effet, les phénomènes d'épidémie tendent à se répandre.
Il faut donc trouver les moyens de garantir la qualité et la quantité des récoltes. Les pesticides sont apparus comme une solution adaptée, au regard de leur prix accessible et de leur disponibilité sur le long terme. Cependant, deux incidences n'ont pas été vraiment anticipées. Il s'agit, d'une part, des impacts directs et indirects de ces produits sur la santé et sur l'environnement ; mais aussi de l'émergence de résistances de la part des bioagresseurs, lesquelles viennent fatalement réduire l'efficacité des molécules appliquées. En effet, tout organisme vivant va chercher les moyens de contourner la pression qui lui est imposée. Quand des biocides sont présents dans le milieu, les bioagresseurs présentant une mutation qui les rend résistants à ces biocides vont avoir tendance à s'imposer. Nous avons déjà eu l'occasion d'en parler dans cette salle, dans le cadre d'une audition organisée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) ; nous avions notamment évoqué la construction des mécanismes de résistance du mildiou et de l'oïdium de la vigne.
Ces phénomènes de résistance sont très bien illustrés par un graphique, régulièrement publié et mis à jour sur un site Internet, et que je tiens à votre disposition. Il fait apparaître que, pour l'ensemble des sept classes d'adventices, c'est-à-dire des sept mécanismes d'action existants, le nombre d'espèces végétales présentant des résistances est en augmentation constante. Les travaux scientifiques montrent que lorsque l'on met un mode d'action dans un milieu, il faut en moyenne sept ans pour que les premières résistances apparaissent. Chez les herbicides de classes A et B, notamment chez les sulfonylurées, les mécanismes d'apparition de résistances sont même encore beaucoup plus rapides.
C'est pourquoi il faut envisager la protection des cultures de manière globale, en tenant compte de l'ensemble de ces mécanismes. A l'heure actuelle, la création d'options pour la protection des cultures passe par la mise au point de pesticides de synthèse produits grâce à des processus de synthèse et de criblage à très haut débit. Plusieurs millions de nouvelles molécules sont ainsi synthétisées chaque année par les entreprises.
Les propriétés herbicides, fongicides ou insecticides de ces molécules sont d'abord évaluées en conditions contrôlées puis une évaluation au champ est réalisée pour celles qui ont montré une efficacité. Simultanément, les risques liés à la toxicité et l'écotoxicité de ces produits sont évalués. Seul un très petit nombre de molécules est retenu à la fin du processus de qualification. Ces molécules intègrent alors un processus d'homologation défini par le règlement européen 1107/2009. L'octroi des autorisations de mise en marché (AMM) des produits demeure une prérogative des États membres.
La lecture du règlement européen fait apparaître trois postulats contestables dans notre approche des produits phytosanitaires. Le premier est celui d'une disponibilité continue de molécules nouvelles. Si c'était sans doute la situation au moment de la rédaction du règlement, ce n'est clairement plus le cas aujourd'hui, ce qui signifie que ces molécules vont, en l'absence de renouvellement, mécaniquement s'éteindre. Le deuxième postulat est celui d'une stabilité des systèmes de culture, qui permet d'adopter une logique par substitution : une molécule nouvelle va venir prendre la place de celle qui est retirée. Cette hypothèse est également problématique. Enfin, en filigrane du règlement européen, on trouve le postulat que les produits phytosanitaires sont un intrant. Or un intrant suppose une courbe de réponse, comme on l'observe pour les engrais : plus on en met, plus on produit. Ce n'est pas le cas pour les produits phytosanitaires : il n'est pas utile d'en mettre en l'absence de bioagresseurs. Par conséquent ces trois postulats – disponibilité des molécules, stabilité des systèmes de culture, les produits phytosanitaires sont des intrants – biaisent un peu l'analyse du processus.
À côté des pesticides de synthèse, le deuxième levier pour assurer la protection des cultures est la création variétale, qui vise à concevoir des espèces résistantes. Le mécanisme repose ici sur une sélection massivement incrémentale des espèces végétales, en fonction de plusieurs critères, dont la tolérance aux bioagresseurs ou encore la production. Ces différents critères sont pondérés par le comité technique permanent de la sélection (CPTS) du ministère de l'agriculture, lequel décide de l'inscription des nouvelles variétés pour l'ensemble des espèces, ce qui recouvre un champ très large. Dans cette optique de création variétale, deux aspects sont d'une importance cruciale : la diversité génétique et la définition, avec les certificats d'obtention végétale, d'un mode de propriété intellectuelle favorable à une logique de progrès continu.
Parmi les autres leviers de la santé et de la protection des cultures figure le biocontrôle. Dans ce domaine, il existe quatre catégories de solutions distinctes, couvertes par des champs réglementaires différents :
– les macro-organismes, comme les coccinelles et les chrysopes, auxquels on ajoute aujourd'hui la technologie émergente dite « des insectes stériles » ;
– les micro-organismes : champignons, virus, bactéries ;
– les phéromones, qui déterminent les comportements sexuels des insectes, ainsi que les kairomones, qui déterminent leurs comportements alimentaires. Ces substances pèsent ainsi sur la manière dont les insectes se déplacent dans un espace ;
– les substances naturelles, dont le rôle est plus proche des pesticides, les deux principales étant le sulfate de cuivre et le soufre.
Pour les trois premières catégories, on observe une rupture par rapport aux pesticides, puisque l'on passe d'une logique biocide à une logique de régulation des populations à un niveau très bas. Mais le criblage et la mise en combinaison de ces produits constituent de réels défis. Seules quelques centaines de molécules sont synthétisées chaque année, là où l'on en synthétise des millions pour les pesticides. On doit ainsi parvenir à passer à grande échelle.
Mais il existe un paradoxe du biocontrôle, qui explique pourquoi il a peu évolué au cours des dernières décennies. Une régulation biologique suppose une extrême précision. Par exemple, les phéromones utilisées sur un type d'insectes ne fonctionnent pas sur un autre type d'insectes. Par conséquent, il est nécessaire de développer un très grand nombre de produits, chacun étant destiné à un marché étroit. Le coût de développement par produit est donc élevé au regard du marché potentiel, à la différence d'un insecticide.
Le dernier levier de la protection des cultures est celui des agroéquipements. C'est un secteur où l'offre émergente est liée à la technologie du numérique : capteurs, intelligence artificielle, robotique. Ce secteur commence à contribuer à la transition et a besoin d'un signal constant et fort. Il existe cependant un point de vigilance, lié à l'incidence que cela peut avoir pour les investissements dans les exploitations.