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Intervention de Béatrice Barbusse

Réunion du jeudi 20 juillet 2023 à 10h25
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Béatrice Barbusse, auteure :

J'ai réactualisé l'année dernière les données qui avaient servi pour mon livre en 2016. Sur certains points, la situation s'est objectivement améliorée : la place des femmes dans le sport s'est améliorée depuis quelques années, surtout sur le plan du nombre, grâce notamment à la loi du 4 août 2014 pourl'égalité réelle entre les femmes et les hommes, dont un volet concernait le sport.

La chercheuse en sociologie, Mme Annabelle Caprais, a rédigé une thèse sur les effets produits par la loi de 2014 et a constaté qu'il y a en effet plus de femmes au sein des instances de gouvernance des fédérations sportives. La loi imposait 40 % de femmes au moins lorsqu'il y a 25 % de licenciées au sein des fédérations. Toutes les fédérations n'ont pas nécessairement joué le jeu, mais un saut quantitatif est intervenu : on a aujourd'hui dépassé le seuil des 34 % au sein des conseils d'administration des fédérations.

Cependant, certaines fédérations ont mis en place des stratégies de contournement : elles respectent le taux de 40 % de femmes au sein de leur conseil fédéral, mais elles ont transféré le pouvoir de décision mensuel à d'autres instances de direction qui n'ont pas été nommées dans la loi. Il s'agit là d'un problème important : quand la loi établit des quotas au sein des instances de décision, elle précise rarement les organes de décision concernés. Mme Annabelle Caprais cite dans son travail les fédérations qui ont précisément mis en place de telles stratégies de contournement.

La loi du 2 mars 2022 a introduit le fameux taux de 50 % de femmes au sein des conseils d'administration et des organes de décision des fédérations, du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et des ligues professionnelles. Le CNOSF, qui représente le mouvement sportif, est monté au créneau afin que cette décision ne soit pas mise en place, car certaines fédérations n'étaient pas prêtes, puisqu'elles ne s'étaient pas préparées depuis 2015. C'est la raison pour laquelle la loi a reculé la date de 2024 à 2028 pour les instances régionales et le CNOSF a mis en place le fameux programme de « 300 femmes dirigeantes », en partenariat avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (COJOP). Je ne suis pas certaine qu'il faille obligatoirement former 300 femmes. Lorsque les hommes arrivent au pouvoir au sein des instances de décision sportive, personne ne considère qu'ils ont besoin d'être formés.

Ensuite, les femmes sont bien présentes mais souvent invisibles dans le milieu sportif. Quand je suis devenue présidente du club de l'US Ivry Handball, il y avait une bénévole « d'exécution » qui tenait la buvette. En parlant avec elle, je me suis aperçue qu'elle dirigeait un restaurant dont elle était propriétaire, qu'elle parlait couramment anglais pour avoir été professeure et qu'elle était en plus comptable. Je l'ai nommée vice-présidente. Les femmes sont bien présentes mais on ne les voit pas, on passe à côté d'elles sans jamais discuter d'elles, comme si les affaires sportives ne les intéressaient pas et qu'elles n'y connaissaient rien.

En résumé, du chemin a été parcouru sur le plan numérique, mais la route est encore longue. La preuve en est, le véritable front d'opposition de mars 2022 en faveur du report des 50 %, particulièrement dans certaines fédérations, mais aussi du report de la limitation du nombre de mandats de deux à trois. En effet, la plupart des fédérations ne se sont pas préparées à faire de la place aux femmes au sein de leur gouvernance sportive.

Sous bien d'autres aspects, la situation a très peu évolué. Je pense notamment à la médiatisation du sport féminin. Les derniers rapports de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) sont assez éloquents à ce sujet. Le premier indique que le sport féminin représente moins de 5 % du sport télévisé. La ministre elle-même a reconnu que cette situation était inacceptable dans un pays comme la France. Le deuxième rapport s'est intéressé à la coupe du monde de football féminine et au Tour de France féminin. Ils ont mesuré l'intérêt des Français à la médiatisation du sport féminin et il apparaît qu'une majorité de Français, y compris les plus jeunes, ont déjà regardé du sport féminin et sont intéressés à le suivre, à condition qu'il soit médiatisé.

J'imagine que vous avez suivi les débats qui ont eu lieu ces derniers mois concernant la retransmission de la coupe du monde féminine de football, à laquelle participe notre équipe de France. Le sujet de la médiatisation est essentiel, car cette visibilité permet au sport féminin d'attirer des sponsors et donc engendrer des retours sur investissement pour les entreprises qui s'impliquent, et de structurer davantage le sport de haut niveau mais aussi la base. Surtout, cela permet à des petites filles et des jeunes femmes de s'identifier à ces sportives de haut niveau, qui leur donnent envie de pratiquer du sport. Cela leur montre que l'accessibilité à tous les sports est envisageable.

La médiatisation est ainsi loin d'être anodine, car il s'agit du nerf de la guerre en matière financière. Malheureusement, la ministre est encore obligée d'intervenir à ce sujet. Les droits de télévision liés au sport féminin sont sans commune mesure avec ceux du sport masculin, qui a cinquante ans, voire un siècle d'avance. Plus généralement, il existe une véritable dette d'opportunité du sport masculin à l'égard du sport féminin. Le sport masculin a pu profiter pendant quasiment un siècle d'un monopole de visibilité et a pu attirer des sources de financement qui sont prises aujourd'hui et ne vont pas vers le sport féminin.

S'agissant encore une fois de l'aspect numérique, il faut également aller au-delà des fonctions de dirigeantes, pour observer la représentation des femmes chez les arbitres ou entraîneuses. À ce titre, certains disent « entraîneures », mais je préfère employer celui « d'entraîneuses » car il est plus sonore. Or les petites filles ont besoin d'entendre qu'elles peuvent aussi devenir entraîneuses. De plus, le terme « entraîneuses » n'est pas connoté négativement chez les plus jeunes. Pendant cinq ans d'affilée, j'ai demandé à mes étudiants, soit environ 200 à 300 personnes de 22 à 23 ans, ce qu'ils entendaient par « entraîneuse » et ils m'ont tous répondu qu'il s'agit d'une femme entraînant des sportifs.

Plus on monte vers le haut niveau, plus le nombre de femmes qui entraînent diminue. Et quand celles-ci entraînent, comme vous pouvez vous en doutez, il s'agit de filles ou d'équipes féminines : il est très rare qu'elles entraînent des hommes. Lorsque c'est le cas, ce n'est généralement pas au plus haut niveau, en France. Une des rares exceptions est constituée par l'exemple de Mme Corinne Diacre, qui avait entraîné l'équipe de Clermont Foot en Ligue 2.

Dans ce domaine, nous sommes confrontés à quelque chose de plus puissant qu'un simple plafond de verre. En réalité, deux phénomènes se cumulent. Le premier phénomène est le suivant : dans toutes les sphères de l'activité humaine, on constate que plus l'activité est technique, moins on trouve de femmes. Le cas des matières scientifiques est aujourd'hui bien documenté. Or il s'avère que le métier d'entraîneur est souvent associé à sa composante technique, alors qu'aujourd'hui, l'aspect managérial et humain prend une part très importante.

Ensuite, plus on s'approche du haut niveau et du pouvoir de décision, moins on trouve de femmes. Enfin, dans le domaine sportif, plus on se rapproche du terrain et de la production de la performance, qui est sacralisée dans le sport, plus le nombre de femmes diminue. En résumé, ces trois effets cumulés conduisent à recenser très peu de femmes dans des postes d'entraîneurs. De manière générale, on dénombre environ 25 % de femmes entraîneuses aujourd'hui.

Le même phénomène se retrouve également dans le domaine de l'arbitrage. En outre, les arbitres féminines subissent encore plus que les femmes qui entraînent des insultes sexistes, de manière assez courante. En tant que vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball (FFH), j'ai reçu au mois de juin deux signalements de la part d'arbitres femmes qui ont été insultées de manière sexiste par le coach adverse, par les spectateurs, ou par les joueurs. Ce problème est particulièrement pesant : quand elles arrivent pour exercer leur rôle de juge, elles sont bien souvent accueillies avec mépris. Elles font ainsi l'objet de remarques profondément blessantes. La répétition de ces épisodes finit par écorner fortement l'estime de soi.

Enfin, il faut mentionner les joueuses. En France, environ 37 % de femmes sont licenciées. D'un point de vue sociologique, la pratique sportive évolue beaucoup plus vite en dehors des fédérations qu'au sein des clubs fédérés. En effet, en dehors des fédérations, les femmes sont libres de pratiquer la discipline sportive de leur choix aux horaires qui leur conviennent. De plus, un grand nombre d'évènements sportifs sont organisés exclusivement pour les femmes. Je pense par exemple à des courses comme Odysséa ou La Parisienne, qui ont su créer des environnements sécurisants pour les femmes.

En effet, j'entends souvent dire « Il faut oser », « Allez les femmes, osez », « Pourquoi n'allez-vous pas dans le sport ? » Mais il faut avoir une sacrée force de caractère, une certaine santé mentale et physique pour le faire, car il ne s'agit pas d'un milieu sécurisant pour les femmes. Toutes les semaines, nous avons affaire ainsi à des remarques, des actions et décisions plus ou moins sexistes, ce qui suppose d'être toujours vigilantes. Mais au bout d'un moment, cette situation suscite de la fatigue.

Je comprends donc que certaines femmes préfèrent abandonner, mais je comprends aussi que certaines femmes qui n'ont pas ces ressources culturelles, sociales, mentales ou physiques ne veulent pas venir dans cet univers, qui est quand même extrêmement dur. J'en ai fait et j'en fais toujours l'expérience, avec mes amies. Heureusement, depuis que la loi a été votée et qu'il y a plus de dirigeantes qu'auparavant, nous avons su créer des réseaux et des liens informels entre nous, sportives, arbitres, entraîneuses et dirigeantes. Ces liens nous permettent de nous soutenir mutuellement quand nous sommes confrontées à des actes sexistes qui font profondément mal, surtout lorsqu'ils se répètent régulièrement.

Je ne vous citerai pas de noms, mais toutes les semaines, une sportive, une entraîneuse ou une dirigeante m'envoie un sms ou m'appelle pour signaler un fait ou tout simplement parler. J'aimerais que tout le monde comprenne qu'il n'est pas facile de prendre la parole pour signaler un comportement ou dénoncer le caractère inégalitaire d'une décision : vous finissez par passer, comme c'est hélas mon cas, pour une féministe enragée, extrémiste et radicale, pour ne pas dire un gros mot.

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