Intervention de Hadrien Clouet

Réunion du mercredi 19 juillet 2023 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Clouet, rapporteur :

Depuis 2008, la loi permet aux pouvoirs publics d'intervenir dans la manière dont est déterminée la représentativité des organisations professionnelles. Les mesures actuelles concernant plus particulièrement le patronat sont issues de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, qui a parachevé un processus de négociation qui avait été engagé entre les trois organisations patronales préalablement jugées représentatives. La représentativité des organisations patronales est donc organisée par le droit, qui définit les conditions requises pour qu'une organisation puisse négocier ou participer à des instances de décisions au nom d'employeurs ou au nom d'entreprises. Mais estimer la représentativité d'organisations patronales est en soi est un geste éminemment controversé, tant le monde patronal est lui-même divisé et nous apparaît extrêmement hétérogène.

En effet, une des questions initiales de notre mission consistait à nous demander si les « patrons des patrons » ressemblaient effectivement aux « patrons », ce qui n'a rien d'évident mais qui est extrêmement important pour pouvoir juger de la reconnaissance des organisations patronales. Cette question est très complexe dans la mesure où il n'existe aucune définition juridique de ce qu'est un patron. Par exemple, les autoentrepreneurs doivent-ils être considérés comme des patrons ? Cette question est cruciale pour déterminer le socle des entreprises susceptibles d'être représentées. Il existe à cet égard un désaccord très net entre organisations patronales, le Medef étant assez logiquement très défavorable, tant l'entrée de ces « nouveaux patrons » dans la représentativité remettrait en cause des positions acquises. Inversement, la CPME revendique de représenter tous ceux qui prendraient un risque économique en créant une entreprise, qu'ils soient ou non employeurs. À titre personnel, j'y suis également favorable. Il est évident que les organisations patronales actuelles représentent un miroir déformant du monde patronal : plus on monte dans leurs organismes de direction, plus les grandes entreprises, les plus fortunées, celles qui engendrent le plus de revenus et qui disposent des ressources les plus diplômées sont surreprésentées. Cette représentation souffre par ailleurs d'un caractère largement monopoliste car il n'est pas rare, dans la majorité des branches professionnelles, qu'une seule organisation patronale supplante toutes les autres et représente à elle seule plus de la moitié des salariés.

Dans ce contexte, les organisations patronales souffrent également d'une désaffection tout aussi prononcée que celle des syndicats salariés. À peine 12 % des dirigeants d'entreprises adhèrent à une organisation patronale. Nous rappellerons d'ailleurs que les organisations patronales délivrent des prestations de services avant même que de représenter leurs adhérents et la désaffection est donc encore plus notable.

Le sujet des adhésions a été abordé de multiples fois au cours de nos auditions. Que signifie, pour un chef d'entreprise, le fait d'adhérer à une organisation patronale ? Cette relation nous est apparue comme consumériste, l'objet étant de pouvoir bénéficier de services offerts par l'organisation patronale. Derrière ces adhésions se trouve parfois une vision de la société mais ce n'est pas forcément ce qui prime dans la relation entre l'individu et l'organisation. Une telle logique rompt dès lors avec la participation syndicale puisque chez les syndicats de salariés, l'adhésion revêt un caractère politique et idéologique plus fort.

Surtout, et c'est sans doute la différence majeure par rapport aux organisations patronales, un salarié sait lorsqu'il est adhérent d'une organisation syndicale, ce qui est loin d'être le cas pour les organisations patronales. Le sociologue Michel Offerlé nous a par exemple rappelé une anecdote tout à fait éclairante : lorsque Laurence Parisot siégeait au conseil exécutif du Medef, elle ignorait que son entreprise, l'Ifop, était adhérente au Medef ! Ce type d'exemple est assez récurrent et découle d'adhésions en cascade. Les liens d'adhésion sont généralement méconnus, ce qui peut alimenter un certain discrédit sur la mesure de l'audience patronale. C'est pourquoi nous recommandons d'instaurer un système d'adhésion plus transparent et plus fiable.

A fortiori, il nous a été rappelé lors des auditions qu'une entreprise pouvait adhérer à plusieurs organisations de sa branche. Un salarié peut aussi adhérer à plusieurs organisations syndicales même si c'est tout à fait exceptionnel en pratique. Certaines fédérations patronales sont elles-mêmes parfois bi voire tri-adhérentes à des organisations interprofessionnelles. Ce phénomène de multi-adhésion est difficile à estimer mais d'après le rapport Combrexelle de 2013, environ 25 % des entreprises adhèrent à une organisation patronale et appartiennent à différentes fédérations. Dans ce contexte, les commissaires aux comptes jouent un rôle particulier. Ils sont chargés de vérifier la bonne adhésion des entreprises membres. Cette adhésion se matérialise par le seul paiement d'une cotisation. Cela peut nous interpeller. Il ne s'agit pas de remettre en cause la probité des professionnels qui exercent cette vérification mais de bien souligner qu'ils ne font que contrôler le paiement effectif d'une cotisation et non pas la connaissance par les employeurs de la fédération à laquelle ils adhèrent. Dès lors, ils ont comme tâche de surveiller que le mandat de paiement est effectif, que la personne a bien un lien financier vis-à-vis de son organisation d'appartenance, mais sans pouvoir juger du sentiment éclairé de l'employeur.

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