Je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée de parler de notre belle entreprise EDF et du projet qui l'anime pour poursuivre sa mission, qui consiste à fournir à notre pays de l'électricité abondante, décarbonée et pilotable, notamment au travers des réacteurs nucléaires.
Je souhaite tout d'abord évoquer l'entreprise avant de parler du nouveau nucléaire. Comme vous le savez, nous avons passé un hiver difficile, après être entrés dans la crise énergétique et dans une crise industrielle associée à la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte de certains de nos réacteurs nucléaires à la fin 2021. L'entreprise redresse aujourd'hui la tête après un effort considérable de mobilisation de l'ensemble de nos collaborateurs, mais aussi de la filière industrielle, qui nous a aidés à maîtriser le phénomène de corrosion sous contrainte pour raccorder le plus rapidement possible au réseau l'ensemble des réacteurs affectés. Désormais, nous sommes dans une phase d'investigation de tous les réacteurs et traitons le phénomène de corrosion sous contrainte dans le cadre des visites régulières dont nos réacteurs font l'objet.
Nous ne sommes pas encore en pleine capacité mais l'accélération de notre capacité de traitement nous permet d'envisager l'hiver prochain avec beaucoup plus de sérénité que l'hiver précédent. En outre, l'hiver dernier, nos concitoyens ont répondu massivement à l'appel du Gouvernement, d'EDF et de l'ensemble des parties prenantes pour modérer leur consommation et faire preuve d'efficacité énergétique. De plus, notre hydrologie est beaucoup plus favorable que l'été dernier. Ces facteurs alignés nous permettent d'envisager l'hiver prochain avec plus de sérénité, mais une vigilance maintenue et un effort soutenu de la part de toutes nos équipes sont nécessaires, pour faire en sorte que nos arrêts de réacteurs soient les plus courts possibles, y compris pour le traitement de la corrosion sous contrainte.
Nous nous tournons à nouveau vers l'avenir pour regarder comment EDF sera en mesure de répondre aux enjeux du pays en termes de satisfaction de la demande électrique, de développement des infrastructures associées au réseau, de construction et de maintenance de nos différents parcs de production. Cet ensemble de facteurs doit nous permettre de construire le projet d'entreprise sur lequel nous travaillons de manière très étroite avec les pouvoirs publics pour aligner l'ensemble des vecteurs et arriver à un projet soutenable pour les métiers d'EDF.
La cohérence de ce projet doit servir in fine un système électrique robuste. Demain encore plus qu'aujourd'hui, ce système sera fondé sur une production décarbonée. Il doit faire preuve d'une très grande résilience pour arriver à intégrer une production intermittente associée aux renouvelables, dont la proportion dans le mix électrique augmente. Ce système doit évidemment régénérer et augmenter les capacités de production commandables décarbonées que sont principalement l'hydraulique et le nucléaire, pour répondre à des besoins croissants en matière d'électricité. Ces derniers sont estimés à ce stade par Réseau de transport d'électricité (RTE) à 650 térawattheures à l'horizon 2035 et à 750 térawattheures à l'horizon 2050, ces chiffres étant en cours de révision.
Naturellement, nous sommes à la veille d'un défi industriel sans commune mesure avec l'histoire du groupe, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, nous commençons ce chemin escarpé vers davantage d'investissements pour l'électrification lestés d'une dette 65 milliards d'euros, soit le montant le plus lourd qu'une entreprise puisse connaître en Europe.
Ensuite, jamais dans l'histoire le groupe EDF n'a eu à investir autant dans plusieurs domaines simultanément. En effet, nous sommes confrontés aux obligations suivantes : la construction d'un nouveau parc nucléaire, la maintenance du parc actuel, construit entre 1975 et 1995, la prolongation de la durée de vie de ce parc existant regroupant 56 réacteurs, et l'augmentation des capacités du réseau pour répondre à une croissance exponentielle des demandes de raccordement associées aux renouvelables.
Il s'agit là d'une problématique de continuité d'exploitation, puisque nos cinquante-six centrales ont été construites en vingt ans. La fin de leur exploitation pourrait nous confronter à un « effet falaise ».
Nous ferons tout pour être au rendez-vous de l'ensemble de ces investissements simultanés, inédits. Pour avoir un ordre de grandeur, il nous faut passer à un niveau d'investissement de 25 milliards d'euros par an, dont 80 % seront concentrés sur la France, alors qu'aujourd'hui une part plus importante est affectée à l'international. Il nous faut être capables de soutenir ce niveau d'investissement sur la base de la rentabilité du groupe, qui est la seule nous permettant d'augmenter notre dette, selon nos analystes financiers et les agences de notation.
Le deuxième enjeu est naturellement industriel : nous devons engager une phase de construction de centrales nucléaires neuves en série, pour la première fois depuis plus de trente ans. Comme dans toutes les industries, la série permet la performance en matière de qualité et de vitesse de construction et, in fine, la performance économique de ce nouveau parc. C'est bien avec l'expérience que nous retirons des six réacteurs de Taishan, d'Olkiluoto, de Flamanville et de Hinkley Point que nous concevons aujourd'hui le programme EPR2, pour engager cette nouvelle série avec une ambition industrielle, c'est-à-dire construire vite et bien du premier coup, grâce à l'acquisition des compétences nécessaires pour de tels chantiers. L'objectif consiste bien à gagner en vitesse récurrente, de réacteur en réacteur.
Il s'agit d'un défi industriel pour toute la filière, qui est mobilisée notamment au travers du groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) et son programme « Match » destiné à faire entrer dans la filière toutes les compétences nécessaires, soit 10 000 emplois par an sur la décennie à venir. Naturellement, les pouvoirs publics sont parties prenantes intégrales de ce grand défi, puisque pour gagner en vitesse, il nous faut aussi accélérer les procédures administratives. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir soutenu la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, qui est un pas très important pour permettre de raccourcir les périodes préalables aux travaux.
En ce qui concerne la situation financière du groupe, plusieurs paramètres restent encore à préciser. Comme vous le savez, parmi nos défis, figure aussi notre modèle économique de moyen terme. Le modèle actuel est déterminé par une décision datant de 2012, par laquelle l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) fixe les conditions de vente de deux-tiers de notre production par effet induit. La combinaison de l'arrêt de ce dispositif fin 2025 et de la perspective de nouvelles règles de marché européennes conduit à se poser la question de ce que sera le modèle économique d'EDF à cette échéance.
Le deuxième paramètre concerne notre quantum de production, qui doit augmenter pour être capable de soutenir nos 25 milliards d'euros d'investissements annuels. En matière de production, nous sommes malheureusement descendus à 279 térawattheures en 2022, compte tenu de la crise industrielle que nous avons connue. Nous serons entre 300 et 330 térawattheures en 2023 et notre objectif est de remonter à 350 térawattheures dès 2025, en espérant avoir terminé d'ici là le traitement industriel du phénomène de corrosion sous contrainte, tout en continuant le « grand carénage » du parc actuel. Notre plan d'investissement visera à nous ramener le plus près possible de 400 térawattheures produits par le parc existant, ce qui prendra quelques années supplémentaires. Ce plan est ambitieux car le parc actuel a produit 422 térawattheures lors de sa meilleure année. Nous nous engageons à relever ce défi colossal, ce qui suppose d'accélérer nos investissements pour aller chercher cette productibilité supplémentaire.
Ensuite, notre modèle économique dépendra de décisions européennes et françaises. Pour aborder la phase d'investissement que je viens de décrire, il est indispensable de travailler à un nouveau consensus national sur le prix de l'électricité. Une direction de principe a été donnée par la discussion communautaire en faveur des contrats de long terme, dans laquelle nous nous inscrivons. Ces contrats apportent une faculté qui n'existe pas aujourd'hui, qui autorise la stabilisation des conditions de commercialisation sur le long terme pour les clients. Actuellement, bon nombre de nos concitoyens et les entreprises, notamment les PME, sont exposés à des fluctuations de court terme, associées à celles du prix du gaz servant à la production d'électricité, contre lesquelles rien ne les protège – à part une intervention publique qui a eu lieu en 2023 à travers le bouclier tarifaire et des amortisseurs. La faculté d'accorder des prix de long terme à partir de 2026 nous permettra de fournir un amortisseur naturel. Il s'agit là d'un élément fondamental dont nous considérons qu'il devrait fonder le modèle économique futur d'EDF. Nous travaillons à cet ensemble de dispositions pour nous permettre d'aborder le futur dans une perspective de l'économie de l'électricité qui soit à la fois stable et raisonnable. Elle devrait permettre aux clients et à EDF d'avoir plus de visibilité.
S'agissant du financement proprement dit de l'investissement, compte tenu du poids de sa dette, EDF ne sera pas en mesure de financer sur son propre bilan la totalité de l'investissement dont nous parlons. EDF aura donc besoin d'une forme d'aide de l'État pour arriver à boucler le financement de ce projet. EDF a investi de façon marchande, à risques propres, sur Flamanville et sur son parc nucléaire depuis vingt ans, ce qui constitue un d'un des très rares contre-exemples de prise de risque économique sans garantie étatique sur les investissements électriques depuis une vingtaine d'années. Cette forme d'aide de l'État est en cours de discussion et différentes modalités sont sur la table. Elles sont toutes examinées.
Dans le même temps, nous travaillons sur le projet de nouveaux réacteurs en lui-même, qui est en phase de définition détaillée par les ingénieurs de l'entreprise, ses filiales et l'ensemble de la filière industrielle. L'année 2023 est une année charnière pendant laquelle ce travail autour du réacteur EPR2 permettra d'affiner la maturité technique, la constructibilité, les coûts et le modèle financier qui permettront de lancer le projet.
Il nous faut avancer pas à pas sur les éléments techniques, les éléments de coûts, mais également le montage financier pour aboutir à la validation des principes d'ici la fin de l'année. Il s'agira ensuite de mener les consultations nécessaires, notamment européennes, avant la décision finale, dont l'horizon est la fin de l'année 2024.
M. le président Kasbarian, il est difficile de vous répondre à ce stade sur la part d'EDF dans le financement des nouveaux réacteurs car cela dépendra beaucoup de notre modèle économique. EDF souhaite évidemment être l'actionnaire et l'opérateur de ces réacteurs puisqu'il s'agit de la continuité de l'exploitation du nucléaire en France. Cela suppose que les revenus dégagés sur les activités existantes permettent un niveau d'investissement compatible avec cet objectif.
Il nous faut aussi être au rendez-vous de ce formidable défi industriel, ce qui implique d'adapter les capacités du groupe et de la filière. Le premier chantier que nous avons lancé concerne ce que chez EDF nous dénommons le « temps métal », ce qui signifie la capacité d'être plus efficace sur la machine et de ne pas perdre de temps dans l'exécution, domaine où nous devons progresser. Cela concerne aussi la numérisation de l'ensemble de nos procédés, qui a besoin de franchir un cap d'industrialisation, mais aussi un très vaste plan de compétences et enfin la manière dont nous pilotons la performance de l'ensemble de nos activités.
Enfin, nous avons la volonté d'adapter notre organisation pour répondre à un certain nombre de préoccupations. Le premier élément concerne la nécessité de faire émerger de manière structurelle le rôle du « client » au sein d'EDF, c'est-à-dire le client qui achète un réacteur pour pouvoir l'opérer. La seconde adaptation est destinée à répondre aux défis d'industrialisation de la construction des réacteurs. Aujourd'hui, nous pilotons un seul projet en France, mais demain, nous devrons en piloter plusieurs en parallèle, ce qui suppose de créer à nouveau une compétence à part entière. Cette compétence est présente au sein de l'entreprise, mais il nous faut la rassembler au sein d'une organisation dédiée, qui devra être opérationnelle fin 2024. Tels sont les deux piliers de l'adaptation de notre organisation qui sera détaillée à partir de l'automne, en lien avec les partenaires sociaux.