Intervention de Guillaume Vuilletet

Réunion du jeudi 20 juillet 2023 à 14h40
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Vuilletet, président :

Je tiens à mon tour à remercier le bureau de la commission, ainsi que les membres du secrétariat de la commission d'enquête qui ont permis son fonctionnement.

Fruit de cinq mois de travaux, le rapport d'enquête est avant tout l'aboutissement d'un travail consensuel.

Le 9 février 2023, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité le principe de la création de notre commission d'enquête. Le choix de recourir à cet organe, ainsi que les circonstances de l'adoption de la résolution qui l'a créée, n'ont rien d'anodin. Mon collègue député de la Martinique, Johnny Hajjar, ainsi que le groupe Socialistes, ont voulu donner à ce travail une double dimension solennelle. Une commission d'enquête a une charge symbolique forte et dote ses membres de prérogatives exceptionnelles. Le recours à un vote en séance publique, au lieu de l'usage du droit de tirage dont disposent les groupes d'opposition, permet de s'assurer que tous les bancs mesurent pleinement l'importance du sujet.

Enfin, cette solennité a également des conséquences pénales : le refus de déposer devant une commission d'enquête ou de lui fournir les documents utiles est passible de deux ans d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende ; le faux témoignage est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

Je veux saluer le travail considérable, réalisé dans une ambiance constructive et sereine, grâce à la participation active des vingt-huit députés membres issus de tous les groupes politiques.

Les auditions ont été complétées par deux déplacements, à la Martinique et à Saint- Martin puis à la Réunion et à Mayotte. Ces missions ont l'immense avantage de nous permettre d'appréhender les réalités au plus près des territoires mais elles ont aussi le défaut de ne pas astreindre les personnes rencontrées aux mêmes exigences que lors de nos auditions.

Si la commission d'enquête a suscité une telle adhésion et si ses travaux ont été autant suivis, c'est bien parce que la réalité de la vie chère en Outre-mer est indiscutable. La confirmation en est donnée par les chiffres de l'enquête de comparaison spatiale des niveaux de prix entre territoires français, réalisée par l'Insee en 2022 et dont les premiers résultats ont été publiés pendant les travaux de notre commission. Ces chiffres témoignent non seulement que les prix restent plus élevés dans les départements d'outre-mer que dans l'Hexagone – d'un écart de 9 % à La Réunion à 16 % en Guadeloupe –, mais ils montrent également que ces écarts se sont accentués depuis la précédente enquête en 2015.

Si l'on considère les seuls produits alimentaires, le déséquilibre est encore plus fort : les prix payés par les ménages des départements d'outre-mer sont de 30 % à 42 % plus élevés. Cela n'a rien d'anodin dans des territoires où les taux de pauvreté pulvérisent les normes nationales. Pour ces populations en grande fragilité, l'impact de la cherté des produits de première nécessité est d'une grande brutalité, en dépit du bouclier qualité prix qui a vocation à l'atténuer.

Je rejoins le rapporteur, l'appréciation sur le niveau général des prix doit s'inscrire dans une réflexion plus large sur la qualité de vie globale, prenant en considération le niveau des revenus et la qualité des services dont peut disposer la population.

Les territoires ultramarins connaissent des retards structurels importants par rapport à l‘Hexagone, qui s'expliquent, pour certains, par leur situation spécifique. Toutefois, le retard d'équipement est d'abord lié à un sous-investissement de l'État pendant des décennies. Il faut reconnaître au Gouvernement et à la majorité qui le soutient d'avoir enclenché la dynamique de rattrapage grâce aux contrats de convergence et de transformation, prévus par la loi du 28 février 2017 relative à l'égalité réelle Outre-mer. Cependant, il faudra du temps pour que cette démarche se traduise par des progrès concrets et visibles pour les Ultramarins.

Le constat de départ est donc simple et bien documenté : il y a un effet de ciseaux entre le niveau général élevé des prix et la faiblesse des revenus d'une part importante de la population des territoires ultramarins. L'objectif de notre commission a donc d'abord été de tenter de comprendre pourquoi les prix sont si élevés.

La présidence de commission d'enquête a ceci de paradoxal qu'il lui revient d'introduire un rapport dont l'auteur appartient au camp politique opposé au sien. Cela n'empêche pas la qualité du travail commun et des relations personnelles. Je veux, à ce titre, remercier tout particulièrement le rapporteur Johnny Hajjar. Nous n'avons jamais caché nos divergences mais l'honnêteté et l'estime réciproques nous ont permis de nous écouter et d'établir des constats communs.

Il n'en reste pas moins que nos visions divergent sur de nombreux points, soit que nous accordions une importance différente à tel ou tel phénomène, soit que nous considérions telle ou telle donnée comme faisant partie – ou pas – du problème.

Ainsi, je regrette une appréhension de la situation parfois trop globale de la part du rapporteur, ce qui donne le sentiment que le rapport vise simplement à justifier l'exposé des motifs de la proposition de résolution visant à créer cette commission d'enquête. Je ne suis pas certain que le lecteur, à l'issue de sa lecture, ait une réponse claire à la question posée.

Enfin, certaines conclusions que le rapporteur tire des auditions me semblent problématiques.

Pour une part l'explication de la vie chère est évidente : les territoires ultra-marins sont lointains, insulaires ou quasi insulaires, les marchés sont de taille limitée et la contrainte foncière y est très grande. Un marché limité et lointain, dont les seules voies d'approvisionnement nécessitent de longs trajets en mer, coûte cher, ce qui emporte des conséquences considérables sur les prix.

Toutefois, d'autres causes, tenant aux comportements des acteurs de la chaîne d'approvisionnement en particulier, ne contribuent-elles pas également à accroître ce phénomène ? Je rejoins le rapporteur lorsqu'il juge que la multiplication des intermédiaires pour l'approvisionnement est sans doute l'occasion d'une multiplication des marges que chacun d'entre eux s'octroie. La question que pose la chaîne d'approvisionnement est double.

D'une part, le rôle de certains acteurs est-il superfétatoire et leur marge injustifiée, au point que les détaillants ultramarins pourraient s'en passer facilement ? Les travaux de notre commission d'enquête ne le montrent pas. Même les grossistes importateurs, dont le pouvoir de marché peut être important selon les marques et les produits, ont été jugés nécessaires au fonctionnement des marchés : s'ils sont en perte de vitesse face au développement de l'approvisionnement direct depuis les centrales d'achat hexagonales – c'est la principale évolution qu'a connue le commerce de détail ultramarin ces dernières années – ils fournissent des services indispensables, même s'ils sont chers, en raison de leurs facultés d'importation, de stockage et de placement en magasin des produits des grandes marques qui constituent le modèle de consommation commun à l'Hexagone et aux Outre-mer.

D'autre part, l'un ou l'autre de ces acteurs peut-il bénéficier d'un pouvoir de marché lui permettant de peser significativement et à son profit sur les prix d'un produit ? Il existe en effet des monopoles ou des oligopoles de fait mais il est difficile de déterminer s'ils constituent des barrières à l'entrée d'autres acteurs ou si ces situations ne résultent pas de la taille et des contraintes de fonctionnement des différents marchés en tant que tels.

À cet égard, pour prendre la situation du fret, qui est fondamentale dans des économies insulaires, il ne me semble pas ressortir de nos auditions et des documents obtenus que l'opérateur n° 1 dans la desserte des Outre-mer cherche à augmenter indûment ces marges : il essaie plutôt de favoriser un parcours de livraison permettant un approvisionnement régulier des territoires. Les incidents de livraison soulèvent bien plutôt des difficultés quant à l'approvisionnement en produits frais, lesquels supposent des capacités de stockage très élevées.

Par ailleurs, le rapporteur est convaincu que l'intégration verticale des différents éléments de la chaîne de constitution des prix donne en tant que tel un pouvoir de marché exorbitant et qu'une telle situation existe notamment au sein du groupe GBH. En cela, il adhère aux témoignages à charge d'un certain nombre d'acteurs. Je ne peux passer sous silence que le groupe GBH nous a adressé un courrier contredisant formellement ces conclusions et apportant un certain nombre d'éléments en ce sens. C'est là une conséquence directe de la transparence de nos débats.

Que cette concentration verticale existe, qu'elle permette une technicité, une connaissance des contraintes spécifiques de l'approvisionnement Outre-mer et qu'elle soit sans nul doute source de profit est une chose ; que ces profits soient excessifs et à l'origine de la cherté de la vie en est une autre. Mon avis est à cet égard plus nuancé que celui du rapporteur.

En revanche, nous serons entièrement d'accord quant à la faiblesse des moyens déployés par l'État pour caractériser et combattre d'éventuelles pratiques anti-concurrentielles. Que ce soient les services chargés de la protection des consommateurs et de la répression des fraudes, les organes de contrôle comme les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) et, sans doute, les douanes, l'appareil public, qui doit garantir un fonctionnement concurrentiel du marché, n'est pas à la hauteur, ce qui participe d'ailleurs d'une forme d'opacité du fonctionnement de ces marchés, laquelle fait le lit d'une large suspicion.

De même, ces services ne sont pas en mesure de faire respecter l'intégralité des lois de la République. C'est visiblement le cas avec la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique Outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux Outre-mer dite « loi Lurel » et les lois portant sur ce que l'on appelle les marges arrière, où la réalité de la contractualisation commerciale n'est pas toujours vérifiable et où la pratique proscrite de vente forcée de services de mise en rayon paraît pourtant subsister.

Par ailleurs, l'obligation de dépôt des comptes doit être respectée et suppose l'instauration de sanctions incomparablement plus sévères que celles qui existent. Il est également nécessaire, comme dans l'Hexagone, de généraliser la transmission des tickets de caisse aux services fiscaux.

La meilleure garantie d'une pression vertueuse sur les prix – cela se vérifie sur les fournisseurs d'accès internet par exemple –, c'est une concurrence qui permette à tous les acteurs solvables d'entrer sur les marchés où les prix sont manifestement maintenus à un prix excessif par accord tacite de quelques acteurs.

Un mot sur le bouclier qualité-prix. Personne ne nie que ce dispositif ait un impact sur la capacité d'achat des habitants, mais la question de son périmètre se pose car de nombreux points de vente de proximité choisissent de ne pas l'appliquer, ce qui limite son effet. En outre, il faut répondre à la remarque selon laquelle, dans ce dispositif, l'effort est réalisé par les distributeurs à travers leurs marges ainsi que par les collectivités – qui limitent le taux de l'octroi de mer – mais absolument pas par l'État.

D'autres freins, parfois absurdes, pèsent sur les prix. Je pense en particulier à la problématique des normes, qui explique notamment les surcoûts de construction. C'est également le cas s'agissant de la consommation courante, puisque 95 % des importations sur ces territoires viennent d'Europe et de l'Hexagone en particulier. Je pourrais citer aussi la situation ubuesque de l'eau à Saint-Martin, où les différences de normes ont interdit l'interconnexion des réseaux entre les deux parties de l'île, et à la situation dramatique de la distribution d'eau à Mayotte, où la gouvernance se montre incapable de réaliser les investissements nécessaires pour faire face à une sécheresse exceptionnelle. Il faut agir pour que les préfets puissent intervenir rapidement et de manière continue.

Les Outre-mer doivent pouvoir sereinement élargir leurs échanges commerciaux avec leurs voisins lorsqu'ils y voient un avantage. Sur ce point, je suis d'accord avec le rapporteur. Ce n'est en revanche pas le cas sur d'autres points.

Le rapport ne mentionne pas le terme de sur-rémunération, ce qui montre que le caractère explosif de ce sujet et de ses conséquences sur les inégalités de revenus et le niveau des prix a été largement éludé. Il est évidemment impossible de remettre en cause la sur-rémunération des fonctionnaires d'État et des fonctionnaires territoriaux, qui soutient à hauteur de plus d'1,5 milliard la consommation locale, mais il serait absurde de ne pas reconnaître un effet inflationniste sur les prix des produits de consommation – qui trouvent ainsi une clientèle solvable de plus de 40 % des ménages – et sur les coûts de production, suite à une contagion de la sur-rémunération dans le secteur privé.

Une telle situation laisse sur le bord du chemin les populations les plus fragiles, les personnes âgées, les chômeurs et les travailleurs pauvres. Je ne crois pas que la proposition du rapporteur visant à étendre la sur-rémunération avec une prise en charge de l'État, fût-elle limitée à 20 %, soit de bonne politique. Sans création de valeur équivalente, cette mesure au coût prohibitif aurait un simple effet inflationniste. En revanche, il convient de renforcer l'accès aux droits, en particulier pour les personnes âgées, de même que la formation grâce notamment à un essor supplémentaire du régiment du service militaire adapté (RSMA), de favoriser la régularisation des activités relevant aujourd'hui de l'économie informelle et d'aider les porteurs de projets, en particulier les jeunes ultramarins qui ont été formés dans l'Hexagone.

Je pense aussi à la question de la fiscalité. Les récentes et prudentes préconisations du comité interministériel des outre-mer (Ciom) du 18 juillet en vue d'une réforme de l'octroi de mer doivent être retenues. La défense et illustration de l'octroi de mer, décrite par le rapporteur comme ayant un impact « raisonnable », me paraît cependant trop rapide. L'octroi de mer représente une ressource indispensable à la stabilité des recettes des collectivités locales mais il doit être réformé pour en gommer les aspérités les plus choquantes et renforcer son second objectif : le soutien à la production locale.

S'agissant du premier point, je souligne l'opacité du dispositif puisqu'il n'apparaît pas sur le ticket de caisse. Sa perception à l'arrivée, avant toute vente, aboutit non seulement à grever la trésorerie des entreprises mais à une obligation de paiement d'une taxe sur des frais de transport. S'agissant du second, une meilleure prise en compte de l'artisanat dans la production locale, la stabilisation et une plus grande prévisibilité de la détermination des taux et la recherche d'une cohérence des taux à l'échelle des territoires français de la même zone géographique me paraissent autant de pistes utiles. Quant à la question de son application aux activités de service, aujourd'hui non taxées, nous n'avons pas réuni assez d'éléments pour nous forger une conviction. En définitive, il est injuste de faire porter un poids trop excessif sur cette taxe dans la hausse des prix – son remplacement par une TVA à taux normal aurait des effets sensiblement similaires – mais cela ne doit pas faire oublier les autres points.

Il convient d'aborder aussi la question des finances et des responsabilités des collectivités territoriales.

Je rappelle que c'est la majorité actuelle qui a porté le budget des Outre-mer à près de 3 milliards de budget direct et 22 milliards de dépenses fiscales, donc indirectes, contre respectivement 2 et 17 milliards à la fin du quinquennat de François Hollande.

Il faut également mentionner les contrats de redressement en Outre-mer (Corom), démarche d'accompagnement contractualisé dont le budget a été renforcé et dont l'efficacité est visible dans de nombreuses communes, avec un rétablissement de l'équilibre et une reprise de l'investissement.

J'entends l'argument du rapporteur, reprenant les chiffres du rapport de mission parlementaire Soutenir les communes des départements et régions d'Outre-mer établi en 2019 par Jean-René Cazeneuve et Georges Patient dit « rapport Patient-Cazeneuve », soulignant que les gouvernements précédents n'auraient pas dû avoir les mêmes exigences de soutien à l'effort de redressement des finances publiques à l'égard des communes des départements d'outre-mer comparativement à celles de l'Hexagone : moins 14 % de dotation globale de fonctionnement (DGF) forfaitaire en Martinique pour la période 2014-2017 contre moins 42 % pour les communes de l'Hexagone. Il est néanmoins trop simple de faire porter sur l'État l'entière responsabilité de la situation financière d'un certain nombre de collectivités locales. Les politiques de recrutement, de sélection des compétences peuvent parfois être interrogées. De même, les retards de paiement ne sont pas neutres vis-à-vis du coût des prestations des entreprises concernées. La façon d'éponger le non-paiement de la commande publique est souvent d'augmenter le prix de la commande privée. Je ne crois pas que ce rapport ait la vocation, en creux, de justifier le bilan de la gestion budgétaire de telle ou telle collectivité. En revanche, il faut amplifier la démarche des Corom et, sans doute, établir un système d'affacturage qui permette un paiement rapide de la commande publique sans bloquer l'investissement des collectivités.

Le but de cette introduction n'était pas de dresser une liste exhaustive des remarques, qui sera plus à-propos dans la contribution que je livrerai avant la publication du rapport. Je reconnais le travail commun qui a été accompli et je salue sa qualité. En tant qu'élus de la nation et en responsabilité, nous devons assumer nos positions et nos divergences pour faire avancer un débat qui ne s'achèvera pas avec la publication de ce rapport et nous devons aussi réfléchir à différentes solutions. Compte tenu de ces divergences, je ne peux approuver une part significative des conclusions du rapport mais il n'est pas question d'en bloquer la publication. Je m'abstiendrai donc.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes

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