J'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter ce matin le rapport issu de l'enquête de la Cour des comptes qui porte sur l'organisation des soins palliatifs en réponse à une demande faite il y a presque un an jour pour jour au titre de l'assistance de la Cour au Parlement, en application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières.
Le premier président n'a pas pu vous présenter ce rapport lui-même puisqu'il se trouve en ce moment même au Sénat pour présenter le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Se trouve à mes côtés l'équipe qui a réalisé ce rapport : M. François de La Guéronnière, président de section, Mme Juliette Méadel, conseillère référendaire, Mme Alice Lapray, conseillère référendaire en service extraordinaire et M. Alexandre Picard, vérificateur.
Pour cette enquête, la Cour a réalisé un diagnostic des besoins et de l'offre des soins palliatifs depuis 2015. Elle a évalué la dépense publique y afférente ainsi que son évolution et a proposé une analyse des forces et des faiblesses de l'organisation de l'accès aux soins palliatifs du point de vue des patients et du point de vue de l'organisation de la gouvernance administrative nationale et territoriale. Votre saisine est intervenue dans le contexte général du débat public sur la fin de vie. Si la problématique de l'accès aux soins palliatifs est liée au débat en cours sur le suicide assisté, question éminemment éthique, elle ne relève pas du champ de la compétence de la Cour, qui ne se prononce donc pas dans ce rapport sur la question de l'aide active à mourir.
Dressons un premier constat, et non des moindres : la France a progressé depuis quinze ans en ce qui concerne l'accès aux soins palliatifs à l'hôpital. Nous avons comparé les résultats depuis les deux précédents rapports de la Cour, celui de 2007 et celui de 2015. Nous constatons que les progrès sont nets et le classement de la France par rapport aux autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s'est amélioré. En revanche, s'agissant de l'offre de soins palliatifs dits de ville et à domicile, y compris en Ehpad, l'offre est toujours aussi lacunaire. C'est plutôt de ce côté que se situent les problèmes. Pour entrer de manière un peu plus détaillée et approfondie dans l'évaluation de l'offre disponible, nous avons commencé par effectuer un travail essentiel, mais délicat : l'estimation des besoins. Les besoins se sont stabilisés depuis une quinzaine d'années. Pour estimer le niveau et l'évolution du nombre de personnes susceptibles d'avoir besoin de soins palliatifs, la Cour a retenu une méthodologie utilisée par l'Institut national de santé du Québec, mais dont l'estimation doit être considérée comme un plafond des besoins. Il s'agit cependant d'une méthode fiable permettant d'estimer des besoins pour lesquels il n'existe aucune donnée.
Ces besoins estimés, j'insiste, estimés de soins palliatifs semblent s'être stabilisés de 2008 à 2017. L'augmentation du nombre de patients nécessitant une prise en charge palliative a été moins rapide que l'augmentation totale des décès, ce qu'ils expliquent en partie par les progrès scientifiques réalisés en matière de prise en charge, notamment de patients atteints de cancers. Ils ont permis d'augmenter les chances de survie en cancérologie. Ces maladies se sont chronicisées : on vit avec plus longtemps et moins mal qu'avant. En revanche, les perspectives sont préoccupantes.
En effet, le nombre de personnes susceptibles d'avoir recours à des soins palliatifs va croître sous l'effet du vieillissement de la population. Le nombre de personnes de 75 ans et plus va augmenter d'environ 60 % dans les vingt prochaines années. Les perspectives démographiques à venir laissent donc présager une augmentation significative, d'environ 23 %, des besoins de soins de soins palliatifs durant les vingt prochaines années. Faute de connaître précisément l'offre disponible et son adéquation aux besoins estimés, nous avons mobilisé les systèmes d'information disponibles, mais force est de constater que ceux-ci sont parcellaires. Si, à l'hôpital, le système d'information permet de recenser de manière assez fiable les personnes ayant bénéficié d'une prise en charge palliative, a contrario, en ville et en Ehpad, la statistique ne le permet que très imparfaitement. Le constat est cependant clair : l'offre de soins palliatifs a essentiellement augmenté à l'hôpital, même si les disparités territoriales sont toujours présentes. Je souligne qu'en 2017, environ 4 000 lits de soins palliatifs manquaient. Pour les soins palliatifs en ville à domicile et en Ehpad, l'offre demeure très lacunaire, même si l'offre à domicile, qui résulte de l'hospitalisation à domicile (HAD), a significativement augmenté. Les différents indicateurs – densité de l'offre globale en soins palliatifs, soins palliatifs prodigués dans les hôpitaux ou encore consommation d'opioïdes – montrent que la France se situe en moyenne dans la première moitié du classement des pays de l'OCDE, alors qu'en 2015, elle était plutôt la mauvaise élève de la classe. L'offre hospitalière de soins palliatifs a augmenté de près de 30 % depuis 2015.
Au sein des pays de l'OCDE, la France présente le cinquième meilleur taux de recours aux soins palliatifs hospitaliers parmi les personnes décédées de 65 ans et plus. Toutefois, 48 % des patients ayant besoin de soins palliatifs y ont accès, et ce, principalement grâce à l'hôpital. Nous avons évalué le coût global des soins palliatifs à 1,45 milliard d'euros en 2021. Les dépenses sont essentiellement structurées par l'offre hospitalière, y compris l'hospitalisation à domicile. Les dépenses de soins palliatifs relèvent pour la majeure partie des séjours hospitaliers. L'hospitalisation à domicile représente à elle seule plus de la moitié des dépenses hospitalières. Pour les lits de soins palliatifs et les unités de soins palliatifs, les dépenses ont été en légère diminution entre 2017 et 2021, notamment pour les séjours en lits identifiés de soins palliatifs (Lisp), malgré l'augmentation du nombre de lits et du fait d'une diminution du nombre de patients, ce qui est cohérent avec notre premier graphique sur l'évolution des besoins. Les journées d'hospitalisation à domicile, quant à elles, sont en augmentation de plus de 60 % et restent la principale source de dépenses. La dépense publique sera en augmentation dans les années à venir en raison du choc démographique.
S'agissant de l'organisation des soins palliatifs, le constat est clair : la stratégie des pouvoirs publics est peu lisible et les outils de pilotage sont fragiles. Si la politique de déploiement de soins palliatifs est plus volontaire, comme le montre l'existence depuis de longues années d'une planification pluriannuelle, elle manque d'outils de pilotage efficaces, de telle sorte que les administrations nationales, aussi bien que régionales, ont du mal à la mettre en œuvre. Dans cette optique, je souligne que les trois derniers plans pluriannuels ne sont pas dotés d'objectifs stratégiques clairs et mesurables.
La Cour ne réclame pas la mise en place de dizaines d'indicateurs, au risque d'alourdir le pilotage et de bureaucratiser l'ensemble, mais simplement l'identification de quelques grands objectifs nationaux, simples à suivre et chiffrés. Un objectif quantitatif de progression de l'offre de soins doit ainsi être conçu. Des objectifs calendaires manquent également à ces plans. Comment projeter l'action publique si celle-ci ne s'inscrit pas dans le temps avec des bornes temporelles claires ?
Par ailleurs, la cohérence des plans de santé publique entre eux mérite d'être revue. La stratégie nationale de santé, par exemple, n'intègre pas le plan pluriannuel sur les soins palliatifs, alors même que le lien entre eux est essentiel. Le plan cancer ne fait pas non plus référence à ce plan pluriannuel. Nous relevons par conséquent un manque de cohérence des plans entre eux. Le pilotage des soins palliatifs mérite également d'être revu. La Cour estime qu'il est nécessaire de le confier à la seule direction générale de l'offre de soins (DGOS). En région, les agences régionales de santé (ARS) doivent être confortées dans leur rôle de pilote et les soins palliatifs doivent être mieux intégrés dans les schémas régionaux de santé, notamment avec l'ajout d'objectifs chiffrés de développement des soins palliatifs.
Enfin, le financement des soins palliatifs souffre d'un manque de lisibilité. La clarté et la lisibilité du financement de l'offre de soins méritent d'être renforcées. Tout d'abord, la cotation en soins palliatifs à l'hôpital mériterait d'être évaluée. La Cour recommande donc qu'une étude approfondie des coûts des soins palliatifs à l'hôpital soit conduite afin d'évaluer la pertinence de leur tarification actuelle, objet de critiques récurrentes.
Nous ne nous prononcerons pas sur la tarification hospitalière des soins palliatifs tant que nous n'aurons pas une comptabilité analytique permettant d'en connaître précisément les coûts. Il n'est pas envisageable de parler de surcotation ou de sous-cotation de la tarification hospitalière des soins palliatifs tant que nous n'aurons pas les résultats de cette étude. La Cour note également qu'en dépit de déclarations volontaristes, les crédits de financement prévus par le dernier plan pluriannuel sont en diminution de 10 millions d'euros par rapport au plan précédent.
La communication et l'information du grand public sont à renforcer. Il faut en particulier inciter les Français à rédiger leurs directives anticipées. Les directives anticipées prévues par la loi du 2 février 2016 permettent à toute personne majeure, si elle le souhaite, de faire une déclaration écrite portant sur les conditions de fin de vie, notamment sur les soins médicaux qu'elle désire à ce moment, et ce, quel que soit son état de santé. La promotion des directives anticipées doit ainsi permettre une mise en place plus fluide des soins palliatifs, notamment vis-à-vis du corps médical. Cependant, en France, les directives anticipées ne sont pas répandues. Selon un sondage BVA de janvier 2021, seuls 18 % des personnes interrogées indiquent qu'elles ont rédigé les leurs.
Il importe donc de renforcer les campagnes de communication et de sensibilisation du grand public. Dans la même perspective, l'éducation thérapeutique à destination des aidants des patients en fin de vie pourrait être impulsée. De nouvelles modalités d'intervention pourraient être envisagées pour faciliter le recours à des bénévoles.
Le rapport s'attache ensuite à examiner les parcours de soins des patients et l'effectivité de l'accès aux soins palliatifs. À l'hôpital, alors que la circulaire de référence sur les soins palliatifs date de 2008, en cours de refonte, et que cette circulaire prévoit l'organisation des soins à l'hôpital en trois niveaux, l'analyse des parcours de soins montre qu'il existe peu de liens entre ces niveaux et que les prises en charge sont parfois inadaptées. Hormis les unités de soins palliatifs qui accueillent une part de leurs patients en provenance d'autres services d'hospitalisation, les patients hospitalisés en soins palliatifs viennent en grande partie directement du domicile et finissent leurs jours dans ces services malgré des recommandations cliniques de prise en charge des charges précoces en soins palliatifs. Le passage aux urgences est fréquent pour une part significative des patients.
Les patients hospitalisés pour un diagnostic soins palliatifs dans des lits classiques de médecine générale ou de chirurgie non spécialisée dans les soins palliatifs se voient prodiguer plus souvent qu'en Lisp ou en unités de soins palliatifs des actes médicaux qui n'améliorent pas la qualité de leur fin de vie. Le rapport démontre l'importance des besoins en soins infirmiers pour les patients nécessitant des soins palliatifs et admis à l'hôpital en Lisp. Malgré l'intensité de ces besoins, les moyens humains qui devraient y être associés ne sont pas toujours effectifs.
En unités de soins palliatifs, l'écart important entre le taux d'encadrement indicatif mentionné par une circulaire du ministère de la santé de 2008 et les effectifs présents dans les services appelle un contrôle renforcé du respect de ce taux d'encadrement. La diminution du nombre de visites à domicile des médecins traitants et la faiblesse de leur formation sur la question des soins palliatifs ainsi que l'insuffisance du nombre de médecins coordinateurs en Ehpad freinent le développement des prises en charge sur ces lieux de vie. Pour permettre un égal accès sur le territoire des patients aux soins palliatifs, en particulier à ceux qui ne peuvent accéder aux soins proposés en hôpital de jour, il est proposé d'expérimenter un forfait soins palliatifs en ville ouvrant droit à des séances de professionnels libéraux en dehors de ceux déjà remboursés par l'assurance maladie.
Par ailleurs, il apparaît nécessaire de créer un acte spécifique soins palliatifs pour les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Ce serait également une manière de mieux connaître ce qu'il est difficile aujourd'hui d'appréhender : le poids des actes de soins palliatifs en ville. Dans les Ehpad, un plan de formation des auxiliaires médicaux paraît indispensable pour développer les compétences dans ses prises en charge. La Cour estime à 56 millions d'euros le coût de la formation de la moitié de ce personnel, soit un peu plus de 100 000 personnes.
Enfin, le déploiement sur l'ensemble de territoires d'équipes mobiles de soins palliatifs intervenant au domicile est nécessaire pour permettre d'améliorer ces prises en charge, de même que l'autorisation à donner pour les médecins de ces équipes de prescrire en cas d'empêchement du médecin traitant.