Il est vrai que le système de la redevance permettait d'en modifier son montant. Cependant, il existait un principe, celui d'une ressource affectée aux missions de l'audiovisuel public et indexée sur l'inflation. Une modification législative était nécessaire pour déroger à ce principe. À l'inverse, il est tout à fait différent de discuter d'un budget sur une mission budgétaire en partant de rien. La vraie question est, selon nous, la suivante : quel principe de financement régit l'audiovisuel public ?
Avons-nous suffisamment de moyens ? Tout repose sur l'adéquation entre nos missions et notre budget. Il est légitime que l'Assemblée nationale discute de ces deux sujets. Mais une fois que vous avez dit que l'on a besoin des neuf stations ultramarines, des équipes en région et de l'augmentation des investissements en création, une partie de la structure de coûts est figée. Il faut donc ensuite être en cohérence avec les moyens qui sont attribués. Compte tenu des missions qui nous sont données, il importe de mettre les moyens en face, au risque de mettre l'entreprise en difficulté. Nous ne pouvons pas continuer à faire croître les territoires et la création avec des budgets toujours en diminution.
Ensuite, nous avons déjà vécu la suppression de la publicité après 20 heures en 2009, qui représentait une manne financière importante. Dans les entreprises privées, il ne reste pas grand-chose de ce chiffre d'affaires qui allait précédemment au service public. Je tiens d'ailleurs ce propos de Nonce Paolini, patron de TF1. Les raisons sont diverses : l'existence d'une guerre tarifaire, le fait que les tarifs de la publicité en France soient les plus bas en Europe. Comme on l'a vu il y a plus de dix ans, cette manne publicitaire ne va pas aller sur les autres supports de télévision, mais sur les plateformes numériques. Avons-nous envie d'enrichir les GAFA, qui se portent déjà très bien ?
Avons-nous les moyens de supprimer une ressource qui est volontairement donnée par les entreprises au service public pour fonctionner ? Je n'en suis pas persuadée. On regarde toujours la publicité comme quelque chose de négatif. Mais la publicité soutient l'économie et la publicité télévisée, qui est clairement signalée, est souvent d'assez belle qualité. L'année prochaine, de grandes entreprises françaises dépenseront des sommes colossales pour être partenaires des Jeux olympiques. Il est bien qu'elles puissent le dire à la télévision et avoir un minimum de retour sur investissement sur ces montants conséquents investis pour être des partenaires premium.
Je comprends que la situation des chaînes privées soit difficile. Ailleurs en Europe, ce sont souvent les services publics qui sont les piliers de ce pluralisme, d'une garantie d'une équité de traitement et d'une forme d'accessibilité à une information qui n'est pas manipulée. Certains de nos voisins ont d'ailleurs choisi d'augmenter les investissements dans les services publics, qui sont les piliers de la création et de l'information.
S'agissant de la budgétisation, nous avons constaté que là où l'audiovisuel a été budgétisé en Europe, ses crédits ont diminué de manière saisissante. C'est le cas en Espagne et au Danemark, qui ont vu les budgets de l'audiovisuel public baisser de 25 %. La question est donc la suivante : budgétise-t-on pour discrètement diminuer les budgets, in fine ? Les exemples européens nous incitent à une forme de réalisme. Je ne fais pas de procès d'intention, mais il faut que nous notre système soit assez robuste. La redevance ne protège peut-être pas plus, mais il me semble essentiel qu'une discussion se déroule à chaque fois à l'Assemblée nationale lorsqu'il est question de l'audiovisuel public. Les représentants de la Nation doivent toujours être impliqués pour une juste dotation à l'audiovisuel public.
Par ailleurs, je ne m'oppose pas à travailler avec les partenaires de l'audiovisuel public. De fait, nous nous y employons déjà avec Sibyle Veil de Radio France, par exemple à travers France Info ou les matinales communes sur France 3. Il en va de même avec Laurent Vallet de l'INA, avec lequel nous avons mis en place des projets de coopération. Je suis favorable à la concentration de nos investissements sur le numérique, à chaque fois que cela est possible. Nous le faisons déjà sur le numérique en région.
Je suis en revanche réservée quant à la nécessité d'aller plus loin sur la holding. En effet, les ruptures technologiques sont en train de s'accélérer. Je suis convaincue que l'intelligence artificielle va bouleverser de nombreux métiers en France, et notamment dans l'audiovisuel public. Je préfère que nous nous concentrions sur ces éléments aujourd'hui et lors des deux prochaines années, plutôt que de nous demander qui sera le directeur financier de l'ensemble. L'accélération de la technologie est incroyable. Aujourd'hui, on peut créer en deux minutes une séquence vidéo ex nihilo, sans que l'on ne puisse discerner s'il s'agit d'un reportage d'un journaliste ou qu'un produit généré par l'IA. La rupture pour l'information et la création sera immense. Nous devons nous approprier ces technologies et construire un code éthique. Ces sujets constituent ma principale source de préoccupation à l'heure actuelle. De même, nous nous interrogeons pour savoir comment mieux travailler nos propositions de fiction et de documentaires pour les jeunes publics entre 15 et 25 ans. De fait, les urgences absolues portent sur la jeunesse et la technologie. D'une certaine manière, il s'agit d'un choix de priorités.
France Télévisions dispose des droits des Jeux olympiques jusqu'en 2032, au même titre que tous les services publics européens. Il y a eu un surcroît de coûts pour les Jeux olympiques 2024 à Paris, mais il n'est pas exorbitant et il devrait être largement compensé l'année même des Jeux olympiques : les coûts des Jeux olympiques s'amortissent en quatre ans. De manière générale, les années de Jeux olympiques produisent des audiences et un chiffre d'affaires publicitaire plus élevés.
Le Festival de Cannes constitue un investissement télévisuel occasionnant des coûts supplémentaires, puisque nous délocalisions des émissions. Nous avions ainsi trois quotidiennes sur place cette année. Il s'agit aussi d'un investissement dans le cinéma. Nous avons acquis des films pour proposer une programmation et une éditorialisation particulières sur France.tv. Nous avons également diffusé un film chaque soir sur Culturebox. Je suis assez satisfaite de voir que la situation a changé : il y a quelques années, les gens commençaient à se détourner du cinéma à la télévision. Désormais, nous constatons un regain d'attrait sur le cinéma, en salle comme à la télévision.
Le Festival de Cannes fournit pour nous une occasion de travailler la cinéphilie, de redonner le goût à certains classiques, de donner envie aux gens d'aller en salle. Si nous y parvenons, nous aurons fait notre travail. Cette année, nous avons touché un grand nombre de personnes et le Festival est très satisfait de l'exposition que nous lui offrons, alors qu'il est en concurrence avec d'autres festivals internationaux. J'ajoute qu'au-delà du Festival de Cannes, nous sommes partenaires des grandes institutions françaises : la Comédie française, l'Opéra de Paris ou les Chorégies d'Orange par exemple. Naturellement, nous rendons compte de l'ensemble de ces éléments à notre conseil d'administration.