Je suis très heureuse de cet échange avec votre commission. J'espère que ce sera l'occasion de répondre à toutes vos questions sur France Télévisions.
Nous avons la chance en France d'avoir un audiovisuel public qui se porte bien. Nous sommes un service public – et j'englobe Radio France, Français Médias Monde, l'INA, Arte – dont le niveau de confiance, d'attachement et de lien quotidien avec les Français est extrêmement élevé. Pour vous donner un ordre d'idée, chaque jour un Français sur deux regarde l'un de nos programmes ; ils sont huit sur dix chaque semaine. France Télévisions est aujourd'hui le premier groupe média en France et nos audiences sont en forte progression ces dernières années. Cependant, notre secteur fait face à de multiples défis.
Notre tout premier défi est celui de la révolution de l'information. France Télévisions est aujourd'hui la première source d'information des Français. Chaque jour, un Français sur trois s'informe sur nos antennes. Nous sommes l'offre d'information télévisée à laquelle les Français accordent la plus grande confiance. Cette confiance s'explique par la richesse et la diversité de notre offre. Les actualités au sens large ont un poids majeur : c'est environ un tiers de notre offre et plus de 40 % de nos dépenses. J'explique aussi cette confiance par la place que nous accordons à l'expertise, au débat, à la lutte contre les fausses informations, à l'actualité européenne et internationale.
Cette offre d'information se heurte cependant à une forme de dérèglement médiatique en France. D'abord, l'actualité s'accélère à un rythme élevé, de même que les crises sanitaires, géopolitiques et climatiques. Elles génèrent une certaine anxiété chez les gens, qui ont tendance à se replier sur eux-mêmes et à se détourner des sources traditionnelles d'information.
En outre, la désinformation progresse également. Une fausse information circule six fois plus vite qu'une vraie sur les réseaux sociaux. En outre, l'intelligence artificielle (IA) générative entraîne aussi une forme d'industrialisation des informations. Nous n'en sommes qu'à ses balbutiements, mais il est déjà possible de reproduire intégralement la réalité grâce à cette technologie.
Par ailleurs, les ingérences étrangères progressent. En tant que présidente de l'Union européenne de radio-télévision, j'ai eu l'occasion de me rendre à Kiev en avril dernier pour soutenir nos collègues ukrainiens. En discutant avec les autorités sur place, je me suis rendu compte à quel point, dans un pays en guerre, l'information et sa maîtrise étaient un sujet prioritaire. Ces dérèglements posent des questions fondamentales, en termes de maîtrise de notre espace informationnel et de notre souveraineté, alors que les réseaux sociaux sont détenus par des acteurs américains ou chinois. Cette organisation des réseaux sociaux est évolutive et ne cesse de poser des questions.
Dans ce paysage, le service public est une réponse et une boussole. Parmi ces réponses, nous défendons notamment une information ancrée à la hauteur des gens et des territoires. France Télévisions dispose notamment de vingt-quatre antennes régionales dans l'Hexagone et de neuf antennes ultramarines. Nos 130 implantations en dehors de Paris regroupent ainsi 50 % de nos effectifs. Ces dernières années, nous avons fortement accéléré la décentralisation de notre offre d'information et de programmes, notamment en travaillant avec les équipes de Radio France, et particulièrement celles de France Bleu.
À la rentrée, nous franchirons une nouvelle étape pour notre groupe, puisque les éditions d'information de 12 heures et 19 heures sur France 3 seront désormais 100 % locales. Elles seront totalement incarnées et pensées depuis nos vingt-quatre antennes régionales à partir du 4 septembre. Ce mouvement répond à une attente forte du public : les gens s'attendent de plus en plus à ce que service public restitue ce qui se passe à côté de chez eux, notamment ce qui s'y passe de positif, comme les dynamiques des territoires et des tissus associatifs ou le rôle des maires dans chacune de leurs communes.
Le second pilier de notre offre concerne l'exposition de la création sous toutes ses formes et sur tous nos supports. J'ajouterais également l'exposition du sport, qui constitue un vecteur de rassemblement des gens, quelles que soient leurs origines ou leurs catégories socioprofessionnelles. Dans cette mission, nous faisons là aussi face à un grand défi en matière de droits sportifs. Roland Garros, qui était diffusé gratuitement en intégralité sur le service public est devenu partiellement payant avec la diffusion des matchs du soir sur Amazon. Nous observons ainsi une forme de privatisation des droits sportifs.
Cette offensive pose la question de la défense de notre souveraineté culturelle française et européenne. Depuis cent-cinquante ans, les États-Unis ont compris que le soft power culturel était en réalité du soft power économique. Je rappelle que dans le cadre du plan Marshall, 50 % des films en salle devaient être américains. De fait, le pouvoir d'influence exercé par les fictions et les films sur l'imaginaire est indéniable. En la matière, j'insiste sur la place des industries culturelles et créatives dans nos économies européennes. Elles représentent ainsi 5 % du PIB européen et sont l'un des secteurs à être fortement excédentaires en termes de balance commerciale.
Dans cette industrie, France Télévisions est un pilier. Nous jouons un rôle de stabilisateur pour toute la filière, soit 50 % des investissements dans la création audiovisuelle et cinématographique. France Télévisions est de loin le premier investisseur dans les séries françaises, le documentaire, l'animation, le cinéma parmi les chaînes en clair. Cette industrie est difficile à valoriser : elle n'a pas d'usines. Mais par notre activité, nous avons calculé que nous générions plus de 60 000 emplois ETP sur tous les territoires.
Au-delà du financement de la création, France Télévisions est le seul groupe média à créer l'événement autour de la culture, notamment le spectacle vivant. À titre d'illustration, rien que cet été, nous capterons une vingtaine de festivals, des Chorégies d'Orange à Rock en Seine en passant par We love Green ou les Rencontres interceltiques de Lorient. Je rappelle que chaque année, 50 % de la population ne se rend pas au cinéma, ce taux étant encore plus faible pour un concert ou une représentation de théâtre. Sur France Télévisions, 7 millions de Français regardent un film de cinéma chaque semaine. Chaque mois, 10 millions regardent une pièce de théâtre, un concert de hip hop ou un opéra sur l'une de nos chaînes, notamment Culturebox. Nous créons donc une forme de continuité territoriale et culturelle. Je pense notamment aux ménages les plus modestes ou les plus éloignés des lieux de culture. Le service public est parfois leur seule fenêtre gratuite sur la création artistique, culturelle et cinématographique. Je rappelle que 20 % des ménages nous reçoivent sur la TNT.
Après le défi de la souveraineté culturelle et économique, notre deuxième défi est technologique. Et il est immense. Certes, la puissance instantanée de la télévision reste incomparable. À 21 heures, 27 millions de Français sont devant une chaîne de télévision en direct, sur la TNT ; 4,5 millions regardent une plateforme, soit environ 3 000 programmes. Simultanément, 4,2 millions de personnes sont sur un réseau social ou une plateforme de partage de contenus (YouTube). Cependant, chez les 15-25 ans, il y a autant de jeunes qui regardent la télévision que de jeunes sur un réseau social ou une plateforme de partage de contenus, à 21 heures. La question consiste à savoir si ces 15-25 suivront le même chemin que les 35 ans, qui sont aujourd'hui majoritairement devant la télévision.
Nous avons doublé nos investissements numériques ces cinq dernières années, en nous concentrant sur deux grandes plateformes: france.tv pour les programmes et francetvinfo.fr pour l'information. Les résultats sont là : francetvinfo.fr, en partage avec Radio France, France Media Monde et l'INA, est le premier site d'information en France et france.tv est la plateforme de streaming qui progresse le plus vite. Elle touche 25 millions de visiteurs uniques chaque mois, quand ils n'étaient que 15 millions il y a trois ans à peine.
Nous devons poursuivre cette trajectoire, ce qui nécessite des investissements importants, en particulier à la lumière des dépenses engagées par les grandes plateformes étrangères. De fait, la révolution numérique ne cesse de s'accélérer, notamment avec l'IA générative. Nous devons nous hisser aux meilleurs standards de marché en matière d'infrastructures technologiques, de maîtrise et d'exploitation de la donnée, de personnalisation des contenus, de présence sur tous les environnements connectés. Aujourd'hui, il y a autant d'environnements technologiques qu'il y a d'opérateurs de téléphonie, de constructeurs de téléviseurs ou d' operating systems. Les investissements sont différents car les demandes de ces interfaces ne sont pas les mêmes.
Ensuite, il convient de nous attarder sur les perspectives économiques de l'audiovisuel public. Tout d'abord, le mode de financement est la première garantie d'indépendance de l'audiovisuel public. Elle est d'ailleurs garantie par la constitution, comme l'a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 mars 2009. Parmi les gages d'indépendance, le financement est un pilier qui peut être garanti si trois conditions sont remplies.
La première concerne la garantie de nos ressources, à travers une prévisibilité et un mode de financement pérenne. Vous savez que la redevance a été supprimée par la loi de finances 2023. Un compromis a finalement été trouvé pour prévoir l'affectation d'une fraction de TVA à l'audiovisuel public, qui nous semble être une meilleure solution que la budgétisation pure et simple. Son principal avantage est ainsi d'empêcher toute forme de régulation budgétaire infra-annuelle.
Nous l'avons connue encore récemment : une dotation budgétaire avait été décidée par le gouvernement du président Sarkozy pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures. Elle était d'un peu plus de 400 millions d'euros, mais cette compensation s'est arrêtée. Surtout, un gel de crédits s'appliquait sur cette dotation tous les ans. Le dégel avait lieu fin décembre : ce n'était donc pas un gel mais une coupe budgétaire. Or il est très difficile pour une entreprise de ne pas savoir sur quelles ressources elle peut compter. À condition qu'il puisse être pérennisé, le dispositif trouvé l'année dernière nous semble être un bon compromis, intermédiaire entre une taxe affectée et une budgétisation pure et simple.
La deuxième condition porte sur le niveau des ressources. Lors du dernier plan stratégique, nous avons dû réaliser de fortes économies, que nous avions acceptées et qui ont été menées intégralement. Je remercie à cet égard les députés Jean-JacquesGautier et Quentin Bataillon de l'avoir souligné dans leur rapport. Notre dernier plan stratégique prévoyait une baisse de crédits de 160 millions d'euros entre 2018 et 2022, tout en augmentant nos investissements dans le numérique et la création. Nous avons, en outre, dû absorber les effets de l'inflation et la hausse naturelle de nos charges.
À périmètre et mission constants, ce fut donc un effort d'économie considérable, de l'ordre de 400 millions d'euros. Nous avons diminué les effectifs de 1 000 ETP en cinq ans, soit une baisse de 10 % de nos effectifs. Rapporté à nos effectifs, je ne connais pas d'entreprises publiques qui ont réalisé un tel effort. Nous avons diminué nos dépenses de programmes également, de 15 % en cinq ans en réduisant fortement les coûts et en renégociant d'arrache-pied les contrats avec les producteurs. Au global, en euros constants, France Télévisions « coûte » 500 millions d'euros de moins à la collectivité qu'en 2010 comme cela a été confirmé par l'Inspection générale des finances.
Mais simultanément, nous devons continuer à investir, à la fois dans les moyens financiers et les moyens humains. Nous allons par exemple fabriquer des formats d'information directement pour YouTube à destination des adolescents et des jeunes adultes. Nous devons également travailler sur les futures versions de france.tv et France info. Grâce à nos investissements dans l'IA, France Info sera la première chaîne d'informations entièrement sous-titrée la fin de l'année, afin que les personnes malentendantes puissent accéder à l'information en continu. L'IA nous permet aussi de traduire de manière quasi simultanée en langue russe et ukrainienne de nombreux sujets d'information pour France 24.
Aujourd'hui, nous ne pouvons pas, à périmètre constant, absorber l'inflation, malgré les efforts déjà accomplis, comme cela est demandé à l'ensemble des opérateurs publics. Nous n'arrivons déjà pas à absorber l'inflation en 2023 en raisons des surcoûts lié au prix de l'électricité, des transports et les augmentations salariales, France Télévisions ne demande pas de moyens supplémentaires pour financer sa structure, mais pour financer les investissements technologiques et les programmes pour la jeunesse, qui constituent notre deuxième priorité. Nous devons en effet être plus présents sur les réseaux sociaux et sur des programmes spécifiques pour les jeunes publics.
Les programmes ne sont pas les mêmes pour les jeunes de 15 à 25 ans que pour leurs aînés. Certains programmes sont par exemple extrêmement populaires chez nos jeunes publics mais sont inconnus de leurs parents, et réciproquement. Nous allons par exemple tourner une fiction quotidienne qui se déroule dans un lycée agricole en Bretagne, qui sera extrêmement suivie par les collégiens et les lycéens. C'est la raison pour laquelle nous avons besoin de développer des fictions, des documentaires, des formats, dans la continuité de ce que nous faisons aujourd'hui.
Voici en quelques mots un très général panorama de France Télévisions et de notre secteur. Je suis à présent disponible pour vos questions.