J'ai enfin trouvé la réponse à votre analogie de la bouée. Je pense que nous ne pouvons pas demander à l'éducation aux médias d'être un bateau qui renverserait le cours du Mississippi. Si l'on considère le faible temps consacré à l'éducation aux médias et à l'information par rapport au temps passé par les jeunes sur les réseaux sociaux, on peut noter qu'ils sont soumis à une contre-éducation lorsqu'ils consultent les contenus de certains influenceurs qui imaginent des complots partout ou qui ont un rapport aberrant avec le monde réel. C'est un courant qu'il faut savoir renverser. Tout en conservant les axes d'éducation sur les médias, sur l'information, sur les biais cognitifs, sur les modes de captation des informations, des idées et des opinions, nous pourrions envisager un point de vue plus large sur les relations entre l'éducation et l'univers numérique.
Le débat actuel est centré sur la régulation du numérique sous l'angle de la défense de la démocratie ou du droit à la liberté d'opinion ou du droit à l'information, mais nous pouvons aussi nous intéresser à ce que nous pourrions attendre des plateformes numériques sur les sujets éducationnels. En quoi pourraient-elles contribuer à limiter la contre-éducation et favoriser l'éducation ? Je n'ai pas vu de nombreux travaux en la matière mais je pense que cela mérite que l'on s'y intéresse. L'éducation est un enjeu majeur, les plateformes ont un enjeu majeur sur le marché d'échange des idées, des opinions et des informations. Après tout, la politique des médias incluait marginalement une forme de réflexion sur l'éducation. Pourquoi n'évoquerions-nous pas le sujet avec des plateformes numériques dont le pouvoir est nettement plus développé ? On envisagerait alors logiquement une démarche normative sur un plan purement démocratique.
Supposons que je sois capable par mon seul odorat de savoir si une eau est empoisonnée. Cela ne me permettra pas pour autant de garantir la santé de ceux qui consommeront cette eau. L'objectif est de mettre en place une politique qui permettrait que l'eau ne soit pas empoisonnée.
L'organisation de l'espace public étant désormais asservie à la logique marchande des plateformes numériques, les personnes qui se trouvaient à la marge de l'espace public, propageant par exemple des propos haineux et des appels à la violence, « dénonçant » des complots, véhiculant des informations corrompues ou stipendiées, se retrouvent au centre. Si nous voulons accroître l'intérêt de ces plateformes pour l'éducation et plus généralement pour la vie démocratique, nous ne devons pas chercher à élargir le champ des exceptions à la liberté d'expression mais ramener ces personnes à une position marginale. Inversement, il convient de mettre en valeur les producteurs de contenus qui affichent une certaine neutralité ou qui mettent en œuvre des efforts pour garantir l'intégrité des informations communiquées, qui ont une plus grande valeur éducative. C'est un vaste sujet. Votre commission a-t-elle les moyens d'orienter le débat dans cette voie ?