Intervention de Arthur Grimonpont

Réunion du mardi 4 juillet 2023 à 17h50
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Arthur Grimonpont, ingénieur et essayiste :

Je pense que nous avons affaire à une asymétrie totale entre la capacité d'influence d'une entreprise valorisée à plusieurs milliers de milliards de dollars et la liberté d'opinion ou la capacité à exercer un jugement critique de la part d'un jeune adolescent utilisateur de ses services. Et ce d'autant plus que la valeur boursière de ces entreprises repose notamment sur leur capacité à capter l'attention de ces enfants ou de ces adolescents, même si cela les dévie fortement de leur intention première.

Pour favoriser l'alphabétisation dans une région du monde, on interdit le travail des mineurs et on impose la scolarité obligatoire. Quand on cherche à faire diminuer le taux de criminalité, on a tendance à interdire le port d'arme, sans inciter les parents à éduquer leurs enfants à adopter des comportements non violents, à participer à des œuvres de charité ou à lire davantage le soir. La réponse à ce type de problématique ne peut qu'être collective. De la même façon que l'école a été rendue obligatoire, il va falloir réguler l'espace de l'information et de la communication. Je souscris entièrement aux propos de Christophe Deloire : au-delà de l'apparence, la question primordiale est le fond de la structure de ces plateformes. Fort heureusement, les États possèdent encore la capacité de légiférer à ce niveau.

Mon point de vue sur l'empreinte environnementale du numérique est quelque peu hétérodoxe. Je suis moi-même cofondateur et président d'une association qui s'intéresse à la sécurité alimentaire pour la France, dans un monde où les températures augmenteraient de trois degrés et où l'accès au pétrole serait limité. Je suis fortement sensibilisé aux enjeux du changement climatique et inquiet de l'évolution en cours mais je pense que la question de l'empreinte environnementale des objets numériques est secondaire, au même titre que pour un tank ou une arme à feu. Les médias sociaux sont le reflet de notre représentation du monde, qui est constamment renouvelée. Si cette représentation dévie complètement de notre réalité, nous aboutirons à une situation dans laquelle nous ne serions même plus d'accord quant à l'existence d'un enjeu climatique. Cette préoccupation dépasse largement celle de l'empreinte environnementale des écrans.

On me demande d'ailleurs si ces environnements numériques survivront à un monde plus sobre, sachant que les intelligences artificielles requièrent l'utilisation de supercalculateurs. Je pense que l'espace informationnel pourra se maintenir encore pendant de très longues années, même sous d'autres formes. Le contenu de Wikipédia en anglais représente 20 Go, ce qui tient facilement sur une clef USB. En dehors de vidéos à très haute définition, on peut maintenir un espace de l'information de manière pérenne, y compris sous de très fortes contraintes environnementales.

Pour ce qui est du déclin de la lecture, nous constatons qu'au fil des générations et au fil du temps au sein de chaque génération, l'usage de la lecture tend à diminuer. Ceux qui ont cherché à évaluer l'incidence des médias sociaux sur le développement de l'intelligence et des capacités cognitives ont montré que les contenus ne sont pas spécialement avilissants en soi mais que la fréquentation de ces médias détourne les adolescents d'activités qui favoriseraient leur développement intellectuel, cognitif, psychologique et physique. Faut-il réguler l'accès des jeunes aux réseaux sociaux ? Je ne pense pas qu'il faille restreindre les libertés individuelles pour satisfaire le modèle économique de ces plateformes mais plutôt subordonner ce modèle économique à notre intérêt collectif. Des millions d'adolescents interagissent au quotidien sur ces espaces. Essayez d'interdire à vos enfants d'accéder à Instagram ou à Tiktok, ils le vivront comme un drame, et à juste titre, puisque cela supprimera une grande partie de leur vie sociale. Même si je suis favorable à la limitation de l'âge d'accès aux plateformes à quinze ans, je pense qu'à terme, nous devrons veiller à adapter ces outils aux enfants plutôt que le contraire.

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