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Intervention de Arthur Grimonpont

Réunion du mardi 4 juillet 2023 à 17h50
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Arthur Grimonpont, ingénieur et essayiste :

Sur la question de l'égalité d'accès à l'informatique numérique en fonction du milieu social, je pense que Mme Sonnac s'accordera à dire que l'éducation aux médias et à l'information est absolument indispensable mais insuffisante si elle est considérée de manière isolée. Sur Tiktok, réseau social qui n'existait pas en 2016 et qui est devenu le réseau social le plus populaire chez les jeunes aujourd'hui – c'est l'application la plus téléchargée au monde en 2022 –, 1,5 milliard de personnes passent en moyenne une heure et trente-cinq minutes par jour. Même si cela n'a pas valeur de preuve scientifique, on peut alors effectuer une expérience : celle de se forcer une seule fois dans l'année à passer une heure et trente-cinq minutes sur Tiktok. Vous n'avez pas besoin d'ouvrir un compte, vous pouvez faire défiler des vidéos sur la plateforme et l'algorithme interprétera vos centres d'intérêt. Personnellement, j'ai tenté plusieurs fois l'expérience sans jamais réussir à dépasser le quart d'heure de visionnage. En un quart d'heure, j'ai eu le temps de voir une vidéo d'une adolescente défigurée complètement anorexique qui avait probablement quatorze ou quinze ans, des enfants s'infliger des souffrances atroces à des tortues vivantes en leur arrachant leur carapace, des messages qui semblaient relever d'une ingérence russe ou chinoise dans notre politique nationale, et ce ne sont que des exemples. Ce genre d'expérience est utile pour la compréhension des enjeux de l'éducation aux médias et à l'information. Quelle place reste-t-il à la liberté d'information et d'opinion dans un tel environnement ? L'environnement informationnel d'une plateforme comme Tiktok n'est absolument pas contrôlé. Exprimer l'idée que l'on jouit d'une liberté d'information et d'opinion sur une telle plateforme revient à restreindre la liberté de mouvement au périmètre d'un centre commercial géant. Je souscris à l'idée que les réseaux sociaux ne doivent pas être interdits sans discernement mais je pense que certains doivent être bannis étant donné qu'ils sont complètement néfastes.

S'agissant de la régulation de ces plateformes, nous commençons à agir dans la bonne direction à l'échelle européenne. Les États réagissent de deux manières. Le premier modèle est celui de la Chine, qui exerce un contrôle strict et autoritaire sur tous les flux d'information, dans le but de promouvoir les valeurs du parti et de favoriser l'éducation d'une partie de la jeunesse : sur Douyin, l'équivalent chinois de Tiktok, il est possible de trouver de nombreuses vidéos éducatives – et du contenu de propagande aussi, bien évidemment. Tout ne serait pas bon à jeter si nous subordonnions l'intérêt économique de ces plateformes à un intérêt collectif de long terme, qui peut être celui de l'éducation. Le modèle opposé est celui des démocraties occidentales, qui dans leur écrasante majorité, se laissent littéralement marcher dessus par ces plateformes sociales. Si par exemple vous demandez à un enfant chinois quel métier il souhaite exercer, il vous répondra sans doute qu'il veut devenir taïkonaute ou scientifique, alors que d'après une étude que j'ai lue, les jeunes Américains ou Britanniques souhaitent plutôt devenir des influenceurs ! Les États totalitaires ont tendance à sortir renforcés par le contrôle strict qu'ils exercent sur les flux d'information tandis que les démocraties sont fortement affaiblies. Le socle de connaissances indispensables pour vivre en société ne cesse de s'éroder. Nous vivons dans des bulles informationnelles et nous ne partageons plus une vision commune de la réalité du monde. Ainsi, pendant des manifestations qui tournent mal, si vous êtes plutôt favorable à la police, vous visionnerez essentiellement des vidéos de black blocs qui s'en prennent gratuitement à des policiers sur votre fil Twitter ou Instagram, alors que si votre sympathie va plutôt aux manifestants, vous visionnerez cette fois des vidéos de violences policières à l'égard des manifestants. La question n'est pas de débattre quant à la légitimité des violences de part et d'autre mais de souligner que la discussion est impossible si nous n'avons même pas accès aux mêmes contenus. Chaque camp se convainc de la légitimité de son point de vue et considère donc que l'autre camp est de mauvaise foi. Tout débat démocratique devient alors impossible.

Le DSA va dans la bonne direction mais de façon encore trop timorée. À mon sens, nous allons devoir nous attaquer à la question sous-jacente : la course à l'attention et le modèle publicitaire de ces plateformes. Nous ne pouvons pas remettre en cause ce modèle économique du fait de la puissance de ces entreprises mais leurs espaces ne sont pas des places publiques alors qu'elles se comportent comme si c'était le cas. C'est très problématique. Je pense que nous devrions obliger ces plateformes à basculer à terme vers un modèle par abonnement. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, comme nous l'avons vu pour Netflix, mais cela pourrait inciter ces acteurs à abandonner cette course à la déviation de l'attention en tant qu'unique métrique de succès. On pourrait imaginer qu'elles s'engagent à faire prévaloir des principes démocratiques dans la recommandation de certains types de contenus. Je pense qu'adopter une démarche discrétionnaire en censurant une information ou un compte sur un réseau social est potentiellement dangereux et risque de dévier vers une censure centralisatrice ; en revanche, exercer un contrôle démocratique décentralisé sur les flux d'information me semble essentiel. Certaines plateformes l'ont déjà expérimenté avec succès. Malheureusement, les alternatives aux réseaux sociaux dominants souffrent d'une distorsion de concurrence sur le marché de l'attention dès lors qu'elles s'efforcent d'agir dans l'intérêt public.

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