Intervention de Sylvain Waserman

Réunion du mercredi 28 juin 2023 à 9h40
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Sylvain Waserman :

C'est avec humilité mais détermination que je tenterai de répondre à trois questions. En quoi mon expérience est-elle légitime pour postuler à l'exigeante responsabilité de la présidence de l'Ademe ? Quelle est ma vision pour l'Ademe ? Que puis-je dire des missions actuelles ?

Dans une récente tribune publiée dans Le JDD, Mme Miquelis, Mme Falco, M. Fraty, M. Blondeau et M. Arthus Bertrand identifient les quatre critères auxquels devrait répondre le prochain président de l'Ademe, que je partage.

Le premier est d'être un politique et pas un technocrate, avec une expérience d'élu local et national. J'ai été maire d'un village pendant dix ans, président de petite communauté de communes, vice-président de plus grande communauté de communes et élu régional, et je suis très attaché à ce que j'ai appris pendant ces mandats locaux. J'ai également été élu national, lors de la précédente législature.

Le deuxième critère est d'avoir eu un parcours en entreprise. À l'exception des cinq dernières années, ma vie s'est déroulée dans le monde économique, dans des entreprises privées ou publiques – en l'occurrence le Réseau Gaz de Strasbourg (R-GDS), que j'ai dirigé durant huit ans. Ce parcours est important, parce que l'Ademe est en prise avec le monde économique, les raisonnements économiques de business plan et de rentabilité et des enjeux majeurs relatifs au carbone.

Le troisième critère est d'avoir déjà travaillé avec l'Ademe. Quand je suis arrivé chez R-GDS, cette filiale de la ville de Strasbourg distribuait du gaz naturel depuis 150 ans. Quand j'en suis parti, 30 % du chiffre d'affaires réalisé l'était grâce aux réseaux de chaleur, lesquels n'auraient pas vu le jour sans l'Ademe, au biométhane et aux contrats de performance énergétique. Cette part est de 50 % aujourd'hui, signe que l'évolution est pérenne. Le travail avec l'Ademe a permis d'établir, pour les réseaux de chaleur de biomasse du Grand-Est, des business plans équilibrés, ni trop ni pas assez profitables, et des mesures d'impact.

Le quatrième critère que les signataires de cette tribune identifient est d'avoir des convictions et une vision pour la transition énergétique. Ma première conviction est le sujet d'un livre blanc que j'ai écrit en 2016 : le modèle territorial de l'énergie, un accélérateur de la transition énergétique. J'ai la conviction – qui ne date ni d'hier ni de ma préparation à cette audition – que c'est par les territoires que l'on réussira la transition énergétique. Les cadres que vous votez sont fondamentaux. Mais qu'est-ce qui fait qu'un porteur de projet va s'en saisir ? Qu'est-ce qui fait qu'un projet de biométhane rencontrera l'acceptabilité citoyenne ? J'en ai vu réussir et j'en ai vu échouer. Qu'est-ce qui fera que les élus locaux seront main dans la main avec les acteurs économiques pour essayer de construire un modèle permettant d'aboutir à une solution de réseau de chaleur ou autre ? Ces projets naissent, réussissent ou échouent dans les territoires. C'est une conviction majeure que j'aimerais partager avec vous.

Quant à ma vision, il serait présomptueux d'affirmer ce qu'il faudrait faire pour l'Ademe dans les cinq prochaines années. En effet, même si j'ai travaillé avec ses équipes, je n'ai jamais mis les pieds à l'Ademe. En revanche, je souhaite prendre deux engagements et exprimer trois réflexions.

D'abord, si vous choisissez de me confier cette responsabilité, je commencerai par faire un tour des régions pour écouter les territoires – élus territoriaux, préfets, personnels de l'Ademe – dans la perspective de la renégociation du contrat d'objectifs et de performance de l'agence. J'aimerais boucler ce tour de France, dans les treize régions de métropole et dans un territoire d'outre-mer, pour fin septembre. De fait, comment pourrait-on négocier un contrat d'objectifs et de performance sans avoir écouté ceux qui vivent, ressentent et comprennent l'Ademe au quotidien ?

Ensuite, lors des entretiens que plusieurs d'entre vous m'avez accordés avant cette audition, j'ai constaté qu'à peu près personne ne connaissait son directeur régional de l'Ademe. Il me semble donc essentiel que, tous les ans, ces directeurs invitent les parlementaires, parce que les budgets que vous votez à Paris décident de l'implication de femmes et d'hommes et se traduisent par l'élaboration de projets, la construction de nouveaux réseaux de chaleur. En rendre compte participera du lien qu'il convient de créer entre les parlementaires et l'Ademe.

J'en viens aux trois réflexions que je veux partager avec vous. La première concerne la création d'un nouvel étalon pour mesurer l'efficacité carbone d'un euro d'argent public investi. Quand on « injecte » 1 million d'euros dans l'Ademe, combien de tonnes de carbone économise-t-on ? Les objectifs sont clairs, en la matière : 400 millions de tonnes aujourd'hui et 270 millions en 2030. Encore faut-il que nos raisonnements, nos façons d'échanger et nos mesures mettent en avant cette efficacité carbone de l'euro investi. Cet indicateur est essentiel pour mener les discussions avec Bercy et avec vous, qui votez les budgets.

Mon autre réflexion tient à la nécessaire coordination de l'action des bras armés de la puissance publique et de l'État sur le territoire, en particulier l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et l'Ademe. Après avoir échangé avec le directeur général délégué par intérim de l'Ademe et le directeur général adjoint du Cerema pour conforter mon intuition, je propose d'institutionnaliser un dialogue entre les patrons de ces entités dans les territoires, car la responsabilité des acteurs publics est de veiller à ce qu'il n'y ait pas de redondance et à optimiser le soutien aux collectivités. Coordonner l'action des acteurs publics et de l'argent public investi est la moindre des choses que l'on doit aux budgets consentis et aux collectivités. Les patrons de ces entités devraient diffuser un courrier à tous les directeurs régionaux, pour les réunir une première fois avant d'institutionnaliser la tenue d'une réunion chaque année afin d'identifier ce qui est positif et ce qui doit être amélioré.

Enfin, l'expertise des femmes et des hommes de l'Ademe est nationalement et internationalement reconnue. Cette dernière réflexion m'amène aux deux missions principales que j'identifie pour l'Ademe. La première consiste à inspirer et à éclairer la décision publique. Les femmes et les hommes qui développent cette expertise sont le premier atout pour la mener à bien, tant au niveau national que local. Je citerai l'exemple du défi de l'ingénierie, pour les collectivités locales. On parle souvent du chantier du siècle au sujet des 400 millions de mètres carrés de bâtiments publics à rénover ou à décarboner. Vous avez voté une loi, quasiment à l'unanimité, qui confère aux collectivités la possibilité de passer des contrats de performance énergétique : un acteur tiers récolte le financement, rénove des bâtiments ou gère une équation carbone pour un budget constant, ou du moins prévisible, qu'assume la collectivité et les économies générées permettent de rembourser les travaux. J'ai eu la chance de conclure un contrat de performance énergétique avec un bailleur social, pour 900 logements dans un quartier à Strasbourg. J'ai vu la complexité de ce mécanisme, mais aussi son intérêt. L'étendre aux collectivités territoriales, en particulier de taille moyenne, ouvre un champ dans lequel l'expertise est indispensable pour ne pas tomber dans les écueils des partenariats public-privé (PPP) et pour bénéficier d'un soutien à l'ingénierie de la part de l'Ademe, dans un cadre serein, stabilisé et clair.

La deuxième mission majeure de l'Ademe est l'optimisation de l'argent public qui lui est confié. Je souhaite que l'on mesure l'efficacité carbone des euros d'argent public investi ainsi que la vitesse d'exécution.

S'agissant des scenarii de l'Ademe, monsieur le rapporteur, je voudrais apporter un message d'espoir : des solutions existent, et de nouvelles s'inventent tous les jours. Le rôle de l'Ademe n'est pas d'arrêter des choix mais d'éclairer la décision publique, parfois de l'inspirer – peu importe l'avis de son président ou d'un de ses ingénieurs. J'ai échangé avec les responsables des filières solaire, biomasse, ou encore géothermie. La géothermie de surface représente un enjeu de taille, par exemple, pour du géostockage. L'Ademe a un rôle majeur à jouer pour répandre les solutions qui existent, les généraliser, les massifier et expérimenter les nouvelles technologies.

Enfin, pour répondre à votre dernière question, j'exerce une activité de conseil. L'un de mes contrats s'arrête fin juin, et j'arrêterai les deux autres, ainsi que toute activité professionnelle, si vous me choisissez et si vous me confiez ce mandat. J'ai saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique afin de détailler mes contrats en cours, et je suivrai l'intégralité de ses recommandations.

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