. C'est un plaisir de pouvoir échanger avec vous sur des questions qui me tiennent particulièrement à cœur, et je vous remercie très vivement d'avoir organisé cette audition.
Malgré des progrès au fil des ans, les inégalités entre les femmes et les hommes sont une donnée persistante dans notre pays – inégalités salariales, inégalités de carrières, inégalités dans la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, inégalités dans la représentation politique. Les femmes sont également les premières victimes des violences sexuelles et sexistes. Un simple chiffre suffit à en témoigner : 87 % des victimes de violences intrafamiliales sont des femmes. De grandes avancées ont été réalisées grâce aux luttes féministes, comme le droit de vote des femmes ou la légalisation de l'IVG – interruption volontaire de grossesse : les droits des femmes ont progressé. Notre société a avancé, mais peut-on dire que l'égalité réelle est là ? Toutes les études et le quotidien des citoyens et des citoyennes, des habitants de notre pays, le montrent : nous ne sommes pas au bout du chemin, c'est le moins que l'on puisse dire. J'ai parlé des violences subies par les femmes, mais on pourrait aussi mentionner le sexisme, qui reste bien ancré, et l'égalité professionnelle n'est pas atteinte.
Face à ce constat il nous faut continuer à lutter résolument, dans tous les domaines, contre les inégalités et les discriminations dont sont victimes les femmes. C'est bien l'objectif du plan interministériel pour l'égalité entre les femmes et les hommes qui a été présenté par la Première ministre le 8 mars dernier et qui est piloté par ma collègue Isabelle Rome. Nous nous engageons aussi du côté de l'école, et nous allons le faire plus encore parce que l'égalité entre les femmes et les hommes commence par l'égalité entre les filles et les garçons, à l'école et dès le plus jeune âge. La construction d'une société égalitaire passe par l'éducation. Nous assumons parfaitement cet engagement : la contribution de l'éducation nationale à l'égalité femmes-hommes est essentielle. Il s'agit de changer les représentations, de favoriser une culture de l'égalité pour lutter contre des comportements ou des attitudes discriminatoires ou violents qui ne sont pas acceptables et, d'une manière générale, d'ouvrir à toutes et à tous le champ des possibles.
En premier lieu, l'école doit offrir un cadre d'apprentissage exempt de toute forme de violences sexistes et sexuelles et faire de la prévention en la matière. Ces violences ont une réalité sociale : 10 % des filles ont été victimes d'insultes sexistes au collège et 18 % au lycée. Les violences sexistes et sexuelles ne s'arrêtent pas aux murs des établissements scolaires et peuvent être plus graves encore : en 2021, plus d'une femme sur cinq et près d'un homme sur six, entre 18 et 74 ans, déclaraient avoir subi une violence intrafamiliale de nature psychologique, physique ou sexuelle avant l'âge de 15 ans. Les femmes sont surexposées aux violences commises au sein de la sphère familiale et en particulier aux violences sexuelles.
Nous agissons pour prévenir et réduire ces violences, dans le cadre des enseignements en français, de l'enseignement moral et civique, en SVT – sciences de la vie et de la terre –, dans le cadre de l'éducation aux médias et à l'information, qui permet aux élèves de réaliser eux-mêmes des projets dans ce domaine, et à travers des actions éducatives comme le concours Zéro Cliché, qui a beaucoup de succès. Des séances d'information et de sensibilisation à l'enfance maltraitée sont également organisées. Nous sensibilisons les personnels, en particulier ceux du premier degré, au repérage et au signalement des situations dans lesquelles des élèves sont victimes de violences intrafamiliales. Nous jouons un rôle majeur en matière de détection : de fait, c'est l'éducation nationale qui signale le plus aux autorités compétentes des suspicions de violences. Nous luttons aussi avec détermination contre le harcèlement scolaire. Je me suis exprimé sur cette question : un plan interministériel sera mis en place dès la rentrée pour lutter collectivement contre ces formes de violences inacceptables, y compris le cyberharcèlement.
En ce qui concerne l'égalité des parcours de réussite, nous savons que les filles ont des résultats équivalents à ceux des garçons en mathématiques dans les évaluations au début du cours préparatoire (CP). Dès les résultats de mi-CP, néanmoins, on voit se dessiner un écart qui se confirme par la suite. Les filles ont certes un meilleur taux de réussite au diplôme national du brevet mais, si elles obtiennent de meilleurs résultats en français, elles restent en retrait pour ce qui est des mathématiques. Des travaux montrent qu'elles ont moins confiance dans leur réussite scolaire, en particulier dans cette matière, que ce soit en sixième ou en seconde. Nous savons aussi que les filles, qu'il s'agisse de la voie générale, de la voie technologique ou de la voie professionnelle, s'orientent moins vers les filières scientifiques, sauf la biologie et le secteur de la santé. Ensuite, les orientations dans l'enseignement supérieur prolongent les choix effectués au lycée et conduisent à des carrières qui renforcent le caractère genré de certaines professions. Le fait que certains métiers sont à forte dominante masculine ou féminine alimente les stéréotypes et, éventuellement, l'autocensure chez les plus jeunes.
Nous devons briser ce qui pourrait relever d'une attitude fataliste, d'un cercle vicieux. Il n'y a pas de filières, ni de métiers, pour lesquels les filles et les femmes seraient moins douées, moins capables, moins utiles. C'est une évidence, mais je la rappelle tout de même. En revanche, les représentations collectives, les stéréotypes et le manque d'information ont un poids. La situation ne changera pas toute seule, grâce à une baguette magique, avec le temps ou même par l'émergence de talents. La passivité n'est pas une solution, il faut du volontarisme. C'est pourquoi j'ai souhaité que soient fixés, pour la première fois, des objectifs ciblés de progression. Dès cette rentrée, sont ainsi prévus des objectifs cibles en matière de mixité dans les formations de spécialité maths expertes et physique-chimie. Ces objectifs feront l'objet d'un pilotage dans les dialogues de gestion à tous les niveaux de l'administration.
Toutefois ces objectifs ne se suffisent pas à eux-mêmes : il faut aussi changer les représentations des métiers auxquels mènent les filières et, parfois, faire simplement prendre conscience que s'y diriger est légitime et possible. Dans cet objectif nous allons généraliser, à la rentrée 2023, la découverte des métiers dès la classe de cinquième et tout au long du cycle 4. La question de l'égalité est pleinement intégrée à la découverte des métiers : il faut donner à voir des exemples, des modèles de réussite féminins, ouvrir le champ des possibles pour les jeunes filles. Enfin, nous devons lutter dès le plus jeune âge contre le décrochage des filles, ou du moins certaines d'entre elles, en mathématiques. C'est intégré dans le plan « maths » qui se déploiera à la rentrée.
Le troisième axe que nous suivons est la lutte contre les représentations qui alimentent les inégalités. La prévention et le changement des représentations et des comportements sont importants : il faut évidemment lutter contre les stéréotypes. Nous visons cet objectif en formant nos enseignants : la formation à l'égalité est obligatoire dans les Inspe – instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation – et la question de l'égalité est inscrite dans le programme des entretiens des concours de recrutement. Nous veillons aussi à ce que les programmes scolaires intègrent cette dimension et n'invisibilisent pas les femmes et leur contribution – nous y reviendrons peut-être dans le cadre de la présentation PowerPoint que nous avons préparée. Je ne dis pas que tout est parfait mais il ne faut pas oublier que nous progressons. Nous menons conjointement, avec la ministre de la culture, un travail constant avec les éditeurs : nous les incitons à modifier les stéréotypes que certains manuels peuvent encore véhiculer. Nous avons avancé en la matière, mais il reste encore du travail à accomplir. Nous organisons par ailleurs des actions de sensibilisation dans les établissements, en particulier autour de la journée internationale des droits des femmes.
Afin d'aller plus loin j'ai annoncé la généralisation au lycée et au collège, d'ici à la fin de la législature, du label Égalité filles-garçons, qui a été lancé, de mémoire, en mars 2022 et dans le cadre duquel les établissements s'engagent à agir de manière très active pour faire connaître les actions menées. On peut citer, à titre d'exemple, la mise en place de tableaux de bord des indicateurs sexués par classe et par enseignement, la réflexion sur les supports pédagogiques comme outils d'éducation à l'égalité, le développement de partenariats avec des associations et les interventions dans les établissements.
En vue de modifier à long terme les représentations et les comportements, j'ai également relancé avec force, dès ma prise de fonctions, l'éducation à la sexualité dans la circulaire de rentrée, qui compte beaucoup dans l'éducation nationale. Nous vivons en effet à l'ère d'internet, de la désinformation et d'un accès facilité à la pornographie. Nous savons aussi que les violences sexuelles sont une réalité, parfois dès le plus jeune âge, et que la lutte contre les violences faites aux femmes ou aux personnes LGBT+ est un impératif absolument vital, au sens propre du terme. Nous savons, enfin, que la jeunesse est plus ou moins attentive aux enjeux de santé liés à la sexualité.
Les trois séances annuelles prévues par la loi du 4 juillet 2001 sont à l'évidence importantes pour promouvoir, dès le plus jeune âge et à tous les âges scolaires, l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous avons publié en septembre 2022 le rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche consacré à ce sujet, et j'ai demandé dans la foulée, début octobre, une enquête auprès des établissements pour connaître l'effectivité de cet enseignement essentiel. Les résultats ne nous ont pas surpris. Ils montrent malheureusement que les objectifs assignés par la loi ne sont pas atteints et que la mise en œuvre des séances prévues reste très hétérogène. J'ai donc écrit aux chefs d'établissement pour leur rappeler cette obligation, et nous avons mis en place des formations. J'ai inauguré moi-même le séminaire national consacré à l'éducation à la sexualité, le 1er décembre dernier, et j'ai fait publier en octobre des ressources pédagogiques pour faciliter la mise en œuvre de ces séances.
J'avais promis une nouvelle enquête, à la fin de l'année scolaire, pour voir si nous avions un peu progressé. J'ai pris connaissance des résultats il y a seulement vingt-quatre heures : l'enquête a montré – je pourrai vous donner plus de détails – que nous avons progressé cette année, mais de manière insuffisante. Il nous faut donc aller plus loin, et c'est pourquoi je vous annonce, tout à fait officiellement, que j'ai saisi le Conseil supérieur des programmes pour qu'il travaille sur ce sujet. Nous n'avons pas de programme en matière d'éducation à la sexualité, alors que c'est une demande qui est faite régulièrement par les associations et par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, le HCEFH.
Établir un programme est une nécessité : cela nous permettra de disposer d'un cadre clair par niveau, par degré et par cycle pour mettre en place sereinement cet enseignement. Il s'agit d'organiser la continuité et la progressivité des enseignements et de rassurer les familles qui pourraient éventuellement être inquiètes ou hostiles. Ce cadre clair montrera que l'éducation à la sexualité est un enseignement qui doit être fait, qui doit être adapté à l'âge des élèves et qui doit respecter leur intimité et leurs convictions, dans une approche globale et positive. Cela permettra aussi de développer le dialogue entre les personnels et les familles.
J'ai demandé au Conseil supérieur des programmes de réfléchir aussi aux termes utilisés, notamment pour nommer cet enseignement. Si l'on peut, par exemple, conserver l'expression « éducation à la sexualité » dans le second degré, la question se pose pour le premier degré. La mise en œuvre du programme s'accompagnera de ressources pédagogiques cohérentes, d'un renforcement de la formation des équipes pédagogiques, de la mise en place d'un comité de liaison avec les associations qui interviennent dans les établissements scolaires et de l'élaboration d'une sorte de cartographie des associations potentiellement concernées.
J'évoque d'un mot, pour conclure, les actions concernant le 1,2 million d'agents du ministère qui ont permis d'obtenir en juin 2022 le label Égalité professionnelle de l'Afnor, l'Association française de normalisation – je pourrai y revenir si vous le souhaitez –, et je tiens à souligner à quel point l'égalité entre les femmes et les hommes nous concerne toutes et tous. C'est une promesse qui nécessite la mobilisation de chacun et de chacune d'entre nous, et c'est une priorité du Gouvernement. Alors que certains pourraient considérer que c'est accessoire ou que ce n'est pas le problème de l'école, nous agissons et nous allons continuer à le faire d'une manière extrêmement déterminée en utilisant simultanément tous les leviers, car tout est lié – la création d'un cadre sécurisant pour promouvoir l'égalité, la réussite pour toutes et tous, et la lutte contre les représentations et stéréotypes, condition d'une société plus égalitaire.