Durant la dernière campagne présidentielle, le Président Emmanuel Macron lui-même a abordé la planification. Dans une période de fin de « quoi qu'il en coûte », le plan France 2030 avec ses 34 milliards d'euros semble être un plan colossal. À l'heure des grandes leçons constitutionnelles sur le zéro solvabilité pour charge, rappelons que France 2030 n'a pas fait l'objet d'un projet de loi ni même d'une proposition de loi, mais de l'amendement le plus cher de la Cinquième République, selon ma collègue Valérie Rabault.
L'utilisation des crédits, d'abord, est conforme à la prévision et sans rupture. Nous avons face à nous de grands défis : s'adapter au changement climatique, préserver notre souveraineté alimentaire, obtenir une souveraineté sanitaire. La planification est une bonne stratégie et une bonne philosophie politique, mais dans le fond, si certains parlent d'innovation et de rupture, à l'aune de l'évaluation des dépenses pour France 2030, il n'y a que très peu de ruptures. L'amendement de 34 milliards d'euros n'a donné lieu à aucune étude d'impact. La Cour des comptes signale à cet égard qu'une grande transparence et une redevabilité auprès de la représentation nationale pourraient être attendues. Ensuite, nous ne voyons pas de rupture sur la méthode. Nous ne sortons pas du dogme du saupoudrage ni d'une logique de subvention sans aucune contrepartie. Les entreprises aux lauréats sont en outre très largement franciliennes. La moitié des montants contractualisés ont été alloués à des porteurs de projets situés en Île-de-France. J'avais remarqué lors de l'examen du projet de loi de finances que les départements et régions d'outre-mer étaient laissés à l'écart des investissements. Seule la Réunion a été en mesure de signer une convention au titre de l'enveloppe régionalisée de France 2030. Enfin, les grandes entreprises ont été très largement favorisées. Selon la Cour des comptes, elles ont bénéficié de 30 % des dépenses du plan d'investissement d'avenir 4 et de France 2030. 15 d'entre elles se sont partagé près d'un milliard d'euros. Nous retrouvons ainsi, parmi les lauréats de France 2030, Accenture (6 milliards d'euros de bénéfices, 19 000 licenciements dans le monde), Nokia (1,5 milliard d'euros de bénéfices, la fermeture de l'usine à Trignac en Loire-Atlantique), Société Générale (5,6 milliards d'euros de bénéfices, dans le top cinq des banques en Europe qui financent le plus les énergies fossiles), Total (19 milliards d'euros de bénéfices, dont le mix énergétique prévu pour 2030 est composé à 85 % d'énergies fossiles et qui lance de nouveaux projets pétroliers et gaziers).
Sur les grandes orientations et les grands objectifs, s'agissant d'abord de l'environnement, le coût de la transition écologique a récemment été estimé entre 50 et 70 milliards d'euros chaque année. Le plan France 2030 représente 5,5 milliards d'euros sur dix ans pour la décarbonation de l'économie. Cela va financer 1 % des besoins. Pire, s'agissant des dépenses effectives, sur les 5,5 milliards d'euros pour la décarbonation, seuls 2 millions d'euros ont été engagés. Pour le moment, seules 25 % des dépenses de France 2030 ont un impact favorable pour l'environnement selon les documents annexés au projet de loi de finances 2023. S'il est possible de se féliciter de la construction de batteries en France, les carters aluminium essentiels importants pour la production des voitures électriques restent délocalisés. Pour la santé, nous connaissons des ruptures d'approvisionnement. Selon l'ANSM, il existe une liste de 400 médicaments à intérêt thérapeutique majeur. Seulement, France 2030 ne prévoit de relocaliser que 5 % d'entre eux. À ce rythme, il nous faudra donc deux cents ans pour être capables de produire les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur. Je soulève encore une question plus large : nous avons vu une fermeture d'usine Synthexim, le dernier fabricant en Europe d'amphétamine. Où est la logique dans la relocalisation si de l'autre côté, nous laissons fermer certaines usines essentielles ?
Allez-vous envisager une conditionnalité des aides, comme cela vous avait été demandé lors de l'examen du projet de loi de finances ? Quel est le sens de l'action des relocalisations si dans le même temps, nous laissons les usines stratégiques partir ? Sur la question des médicaments, ne faudrait-il pas envisager d'investir pour que l'État produise lui-même certains médicaments ? Enfin, vous avez mis en place des procédures dérogatoires qui ont permis au comité exécutif de France 2030 de sélectionner directement des projets d'intérêt européen communs de la stratégie hydrogène par exemple, ce qui a amené la Cour des comptes à soulever un doute sur le respect d'exigences d'objectivité, formule assez douce pour signaler le risque de conflit d'intérêts. Ce risque est d'ailleurs présent au sein des comités de pilotage ministériels, où siègent des ambassadeurs issus du monde de l'entreprise, et pour lesquels de très faibles mesures de prévention ont été prises. Monsieur le ministre, il serait certainement nécessaire que vous nous transmettiez les documents préparatoires à la sélection des projets de la stratégie hydrogène et que vous expliquiez pourquoi les procédures habituelles d'instruction du dossier n'ont pas été respectées. Merci.