Monsieur le ministre délégué, votre analyse de la vie chère dans nos territoires me paraît quelque peu erronée. Votre postulat de départ est que nous nous accrochons aux deniers de l'État pour que le statu quo perdure. En tout cas, c'est ainsi que nous comprenons votre remarque selon laquelle nous ne serions pas dans la perspective de la création de valeur.
À cet égard, il faut distinguer la situation qui a précédé la départementalisation, en 1946, et celle qui l'a suivie. Avant, la plupart des territoires dits d'outre-mer étaient en mesure d'exporter dans plusieurs filières et leur balance commerciale était positive. La départementalisation devait être gage d'égalité de traitement de tous les Français, quel que soit le lieu où ils vivaient. Cela s'est révélé totalement faux. Les minima sociaux, par exemple, n'ont atteint un niveau équivalent à celui de l'Hexagone que dans les années 1980. Dans le domaine économique, le même dispositif est appliqué dans tous les territoires. Vous dites que certaines grandes familles bénéficient, historiquement, des largesses de l'État. C'est un fait confirmé et structurel : le système est organisé pour que 80 % au moins des produits que nous consommons viennent d'Europe – pour ne pas dire de la France hexagonale –, et cela bénéficie à des familles bien identifiées.
Quand des produits quittent un port français de l'Hexagone en direction d'un port français dit d'outre-mer, on considère cela comme de l'exportation, comme s'il s'agissait de commerce avec un pays étranger : la taxation est différente. J'ai interrogé le ministère de l'économie sur ce point. Vous parliez tout à l'heure de réviser l'octroi de mer, sans nécessairement le faire disparaître – aux yeux de certains, cette idée de modification est un véritable serpent de mer. Cela dit, il y va aussi du financement des collectivités : si l'octroi de mer a été créé, c'était pour protéger les productions locales, pas pour financer les collectivités.
Les chiffres que vous avez cités à propos de la continuité territoriale vous permettent de dire que l'État aide beaucoup les territoires d'outre-mer. Or ce ne sont pas les collectivités qui profitent de la défiscalisation, et encore moins les populations concernées : ce sont les entreprises qui achètent des avions ou des bateaux. La défiscalisation bénéficie à l'investisseur, pas forcément au territoire. Permet-elle vraiment de créer de la valeur ? Un débat existe sur ce point. Elle ne crée pas tant d'emplois que cela et ne permet pas non plus le développement des entreprises. Nous sommes favorables à la défiscalisation, mais cela doit être du gagnant-gagnant, pour celui qui investit comme pour les territoires et la population qui accueillent cet investissement.
L'inflation, c'est la montée globale des prix qui, in fine, fait perdre de la valeur à la monnaie. S'il y a une différence entre l'Hexagone et les territoires dits d'outre-mer, c'est parce que, dans ces territoires, de nombreux prix sont encore administrés : celui du carburant, par exemple, y est plafonné. En ce qui concerne l'électricité, la concurrence joue pour la production mais pas pour le transport, la distribution et la consommation – c'est le tarif bleu qui s'applique, à savoir un prix « péréqué » –, ce qui n'est pas le cas dans l'Hexagone, où la concurrence est totale dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle, s'agissant de l'énergie, le niveau de l'inflation est totalement différent en métropole et outre-mer. Cela démontre que, lorsque le secteur public met la main sur des productions essentielles dans certains territoires, l'inflation n'y est pas aussi forte que là où le marché a été totalement libéralisé.
Certes, l'État a consacré beaucoup d'argent aux outre-mer, mais la pauvreté y reste élevée, et le défaut de structuration initiale de ces territoires est bien le fait de l'État. La vraie question, in fine, est donc de savoir si l'État a vraiment la volonté d'agir. Vous avez dit que vous n'aviez pas la main sur les prix appliqués au motif que le marché est libre. Admettons. Il n'en demeure pas moins que l'État doit proposer une solution aux territoires concernés. Selon vous, aucun transporteur ne viendra sur un marché de 6 000 personnes car ses marges ne seraient pas assez importantes. Dans ce cas, l'État ne peut-il pas se substituer aux transporteurs privés ?
Vous savez très bien, en tant qu'ancien président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), que de nombreuses entreprises viennent produire de l'électricité en France parce que le prix de rachat est garanti. Autrement dit, quand l'État crée des dispositifs donnant des garanties aux investisseurs, ces derniers développent de l'activité et créent de l'emploi. Cela veut bien dire que la réponse concernant la vie chère dans nos territoires doit venir de l'État, car le problème est structurel et non conjoncturel.