Le président de la République a fait de l'aide au développement une priorité depuis 2017, comme l'illustre le sommet qui s'est tenu la semaine dernière à Paris.
L'aide publique au développement (APD) vise traditionnellement à permettre à des pays de franchir des caps en matière de développement économique, d'avoir accès à des biens publics mondiaux, d'améliorer leur croissance et leur capacité à nourrir correctement leur population et à leur donner des emplois ainsi que des perspectives de développement.
Depuis la Covid-19, un deuxième enjeu entoure l'APD : la pandémie a représenté le choc économique le plus dur depuis 1929 : jamais la production ne s'était autant effondrée depuis cette date. Les pays développés ont pu y apporter une réponse économique car ils en avaient les moyens budgétaires : ils ont mobilisé un quart de leur produit intérieur brut (PIB) pour la relance, quand les pays en développement n'ont pu y consacrer que 2 %. Le fossé s'est donc élargi – je qualifie ce phénomène de « grande divergence » – entre les pays développés et les pays en développement : alors que l'écart se résorbait depuis cinquante ans, il s'accroît à nouveau depuis la crise de la Covid.
Le réchauffement climatique touche en priorité les pays du Sud des continents africain et asiatique ; il a des incidences extrêmement élevées sur leur niveau de développement. Jamais l'APD n'a été aussi nécessaire : elle doit remédier à la grande divergence et aux conséquences du réchauffement climatique. Dans le même temps, jamais elle n'a été aussi difficile à financer puisque nous devons rétablir nos finances publiques et accélérer le désendettement de notre pays.
Il ne faut se faire aucune illusion : renoncer à l'aide au développement accélérerait les flux migratoires vers le continent européen. L'aide au développement des pays source est une réponse de long terme permettant d'éviter des flux migratoires totalement incontrôlables à destination de l'Europe. Cette politique met du temps à donner des résultats ; elle est difficile et exigeante mais elle est indispensable.
Le décrochage définitif des pays en développement est un risque avéré car les pays développés relancent leur économie en profitant à plein de la transition climatique pour se réindustrialiser : c'est ce que nous faisons en France où, pour la première fois depuis quarante ans, nous réindustrialisons, ouvrons des usines et créons des emplois d'ouvriers, ainsi que des postes technologiques à forte valeur ajoutée. Dans ce contexte, la solidarité est indispensable mais, compte tenu des contraintes de finances publiques, elle doit prendre une forme nouvelle.
C'est la raison pour laquelle nous avons organisé ce sommet pour un nouveau pacte financier mondial, dont l'objectif était de commencer à définir les nouvelles modalités de l'APD, cette dernière ne pouvant pas reposer uniquement sur de l'argent public. Il y a donc lieu de diversifier les mécanismes et d'en déployer de plus efficaces. Tous les participants se sont accordés sur le constat d'un risque d'aggravation de la situation et ont ébauché des pistes de solutions, qui doivent aboutir à des résultats pratiques.
La première piste de réflexion porte sur la réorganisation des banques multilatérales de développement, afin que leur engagement soit plus efficace et donne de meilleurs résultats. Il faut mieux utiliser le bilan de ces banques : elles ne prennent actuellement aucun risque pour préserver à tout prix leur notation triple A, alors qu'elles pourraient piocher davantage dans leur bilan sans mettre en péril leur note.
La deuxième orientation indispensable touche à la coopération entre ces banques : l'idée selon laquelle chaque banque multilatérale de développement doit élaborer son propre projet et qu'il ne peut y avoir de cofinancement entre elles est une erreur. Nous voulons que plusieurs banques puissent porter des projets à l'échelle d'un continent ou d'une région car le fonctionnement en silos se révèle inefficace.
Troisième réflexion, il faut sortir de la logique du drapeau national – un projet pour le Mali, le Niger ou le Bénin – pour élaborer des programmes régionaux destinés à faire face au réchauffement climatique.
Au total, nous estimons que la meilleure utilisation du bilan des banques multilatérales de développement et la coopération entre celles-ci doivent libérer 200 milliards de dollars de capacités de financement additionnel en dix ans.
Nous avons également proposé d'améliorer l'utilisation des moyens du Fonds monétaire international (FMI), notamment les droits de tirage spéciaux (DTS), qui sont promis aux pays les plus vulnérables et les plus menacés. Nous pouvons dégager là 100 milliards de dollars, comme nous l'avons annoncé lors du sommet. La France a engagé 20 % de ses DTS et elle envisage de porter sa contribution à 40 % ; nous souhaitons que l'ensemble des pays membres du FMI portent le montant de leurs contributions au titre des DTS à 30 %.
Nous avons réfléchi à une taxation internationale des émissions de CO2 des compagnies maritimes et de transport : il n'est pas question de mettre en place une imposition des compagnies nationales, qui toucherait une société comme CMA CGM, car nous refusons d'alourdir la fiscalité d'une entreprise qui réussit remarquablement. L'objectif est que tout le monde soit logé à la même enseigne et que cette taxation fasse l'objet d'un consensus international. Nous y sommes bien parvenus pour la taxation des acteurs du numérique et l'imposition minimale des sociétés.
La dette constitue un autre levier de financement indispensable. Il est évident que les pays les plus vulnérables ne se redresseront pas sans restructuration de leur dette souveraine. Cette restructuration se négocie dans le cadre du Club de Paris, ce qui donne à la France un rôle majeur. L'acteur décisif pour parvenir à un accord est bien entendu la Chine. À ce titre, la présence au sommet de Paris du premier ministre chinois était essentielle car nous avons pu nous entretenir avec lui de la détermination de son pays à restructurer la dette des pays les plus fragiles. Nous avons trouvé un accord pour le Tchad, la Zambie, le Sri Lanka, et nous devons en chercher pour d'autres pays : pour ce faire, il faut que la Chine reste engagée dans ces restructurations.
Nous avons proposé de déployer un mécanisme très pertinent, même s'il n'a pas été définitivement approuvé. Il consiste à prévoir une clause de suspension du service de la dette en cas d'événement climatique majeur. Un pays touché par une tornade, une inondation ou une sécheresse particulièrement fortes pourrait suspendre le paiement de sa dette pour réagir à la catastrophe climatique. Cette clause me semble particulièrement utile et prometteuse.
La France est le quatrième plus gros donateur mondial d'APD. Sa contribution est passée de 10,1 milliards d'euros en 2017 à 15,1 milliards en 2022. Cet effort considérable témoigne de notre engagement et de notre ambition. Je tiens à saluer chacun des agents de l'Agence française de développement (AFD), qui effectuent un travail remarquable. Les engagements de l'AFD ont atteint 12,3 milliards d'euros en 2022, 45 % de son activité étant concentrée en Afrique. Elle travaille sur des projets très concrets et utiles aux populations : que l'on pense au train express régional (TER) de Dakar ou au métro d'Abidjan, par exemple.
Comme pour l'aide publique multilatérale, nous devons améliorer l'efficacité de notre APD. Nous avons ouvert en mai une réflexion lors du conseil présidentiel du développement, laquelle se poursuivra lors du CICID et se traduira dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens (COM) pour l'AFD.
Deux axes me paraissent essentiels dans la réorganisation de l'APD. Nous devons tout d'abord repenser le ciblage géographique et concentrer l'effort financier de l'État sur les pays confrontés à une situation d'extrême pauvreté. L'AFD consacre 45 % de ses engagements à l'Afrique, en particulier à dix-neuf pays prioritaires, qui sont les pays les moins avancés (PMA) ; il est indispensable de continuer à concentrer notre aide sur ces pays, en ajoutant des critères d'exposition aux aléas climatiques, dimension essentielle pour leur avenir. Ensuite, parce qu'ils représentent un pilier le plus novateur et nécessaire, il faut mieux intégrer les financements privés : en effet, le secteur public ne peut pas tout. Nous ne pourrons pas financer uniquement par de l'argent public les 60 à 70 milliards nécessaires chaque année à la transition écologique– à moins d'augmenter les prélèvements obligatoires, ce que nous refusons – et nous aurons besoin de mobiliser davantage l'épargne des Français et les investissements privés : il me paraît donc indispensable de solliciter davantage les investisseurs privés. Je présenterai au CICID plusieurs options destinées à favoriser le flux de ces investissements vers l'aide au développement.
Enfin, nous devons actuellement apporter un soutien massif à l'Ukraine, lequel est décisif pour garantir la protection de la souveraineté du pays et la défense de son peuple. Ces sommes s'ajoutent à celles que nous dépensons au titre de l'APD, raison supplémentaire pour concentrer cette dernière sur les pays extrêmement pauvres, confrontés à des dérèglements climatiques majeurs. S'expriment là une vocation et un intérêt nationaux : aider les pays en développement les plus fragiles et limiter les flux migratoires à destination de l'Europe.