Le transport de substances dangereuses par mer et les dommages qui peuvent en résulter sont un sujet de préoccupation récent pour la communauté internationale. Au départ, dans les années 1960, on ne se préoccupait en effet que de la pollution par les hydrocarbures. Un premier traité, limité à cette question, a ainsi vu le jour en 1969, les questions liées aux dommages résultant d'autres substances nocives, comme les produits chimiques ou le gaz naturel liquéfié, étant laissées de côté. À l'époque, la pollution par les hydrocarbures semblait un sujet beaucoup plus pressant. Il aura fallu, comme souvent, que plusieurs accidents se produisent, dans les années 1990, pour que l'on juge utile de combler cette lacune. Une convention sur les dommages liés au transport par mer des autres substances dangereuses a ainsi été signée en 1996.
La France y avait tout intérêt : comptant 18 000 kilomètres de côtes, dont les deux-tiers outre-mer, notre pays est très exposé aux conséquences d'accidents impliquant des navires qui transportent des substances dangereuses. Ce n'est pas un risque fictif : en 2000, un chimiquier italien, le Ievoli Sun, qui transportait 6 000 tonnes de produits chimiques, a fait naufrage dans la Manche. Cet accident, survenu un an après celui du pétrolier Erika, doit nous rappeler que la pollution par les hydrocarbures n'est pas le seul danger qui menace les côtes françaises.
Le principal apport de la convention de 1996 est d'instituer un régime international d'indemnisation des dommages résultant du transport maritime de substances dangereuses, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les hydrocarbures. Le régime d'indemnisation comporte deux niveaux.
Le premier est la responsabilité du propriétaire du navire en cas d'accident. Il s'agit d'une responsabilité objective, mise en jeu même en l'absence de faute. En conséquence, les propriétaires de navires transportant des substances nocives ont une obligation d'assurance. La responsabilité du propriétaire du navire est néanmoins limitée, sauf si l'accident résulte d'une faute inexcusable de sa part. La limite dépend de la capacité d'emport du navire et varie selon que les substances sont transportées en vrac ou en colis. En tout état de cause, pour le transport en vrac, la responsabilité est plafonnée à environ 120 millions d'euros.
Le deuxième niveau d'indemnisation fait appel à un fonds de type assurantiel. Il peut être mobilisé lorsque le propriétaire du navire n'est pas responsable du sinistre, lorsqu'il n'est pas en mesure d'indemniser les victimes ou lorsque le montant du dommage dépasse la limite de responsabilité du propriétaire du navire. Grâce à ce fonds, l'indemnisation peut aller jusqu'à 300 millions d'euros par accident. Le fonds est alimenté par des contributions versées par les importateurs de substances dangereuses, en fonction des quantités reçues. Les États ont l'obligation de communiquer la liste des importateurs redevables et les données relatives aux quantités de cargaisons donnant lieu à contribution.
Cette convention de 1996 a un coût pour les entreprises, lesquelles assurent le financement du régime d'indemnisation. Si le texte entrait en vigueur aujourd'hui, les entreprises seraient redevables de 1 000 euros pour 100 000 tonnes de produits reçus. Cependant, le texte poursuit des objectifs de justice et de protection de l'environnement : d'une part il tend à garantir l'indemnisation des victimes en cas d'accident, d'autre part l'indemnisation sert aussi à la remise en état.
Un protocole de 2010 a modifié la convention de 1996. Je souligne à ce propos que le projet de loi que nous examinions a pour objet d'autoriser la ratification du protocole et non celle de la convention elle-même. Fort heureusement, la ratification du protocole entraînera automatiquement celle de la convention : ils seront en effet tous les deux considérés comme un seul et même instrument juridique.
Le texte initial présentait un gros inconvénient : il n'était jamais entré en vigueur et, en l'état, ce n'était pas près de changer, pour deux raisons principales.
En premier lieu, ses stipulations étaient trop complexes à mettre en œuvre. Il était en particulier trop difficile d'assurer le suivi des importateurs de substances transportées en colis, c'est-à-dire en conteneurs. En effet, les expéditions en conteneurs se font en quantités unitaires beaucoup plus faibles que les expéditions en vrac. Le nombre de destinataires est, par ailleurs, beaucoup plus élevé, de même que le nombre d'intermédiaires logistiques. Enfin, ce sont les douanes qui, la plupart du temps, surveillent ces questions, et le faible nombre de douaniers en exercice rend difficiles les contrôles.
En second lieu, les obligations fixées par la convention pouvaient facilement être contournées, ce qui faisait craindre un partage inégal du fardeau financier entre les parties. Aucune sanction n'était prévue lorsqu'un État manquait à son obligation de transmettre les rapports sur les cargaisons donnant lieu à contribution. Et, même sans contribuer au fonds, en l'absence de déclaration, les États et leurs entreprises restaient cependant éligibles à des indemnisations en cas de sinistre.
L'intérêt du protocole de 2010 est de lever les obstacles à l'entrée en vigueur de la convention de 1996.
Pour simplifier les choses, le protocole supprime l'obligation contributive des importateurs de substances transportées en conteneurs : seules les cargaisons en vrac donneront lieu à une contribution. En contrepartie, les limites de responsabilité des propriétaires de navire pour les dommages causés par les substances nocives transportées en conteneurs sont augmentées.
De plus, le protocole durcit les mesures à l'encontre des États qui ne respecteraient pas leurs obligations déclaratives. Le droit aux indemnisations est désormais lié à l'effectivité des déclarations. En cas de non-paiement, le fonds d'indemnisation peut engager une action en justice à l'encontre de l'entreprise redevable.
Grâce à ces modifications, les stipulations de la convention de 1996 devraient entrer en vigueur dans les prochaines années. Il faudra pour cela qu'au moins douze États ratifient le protocole de 2010. Pour l'instant, seuls sept États parties y ont adhéré : l'Afrique du Sud, le Canada, le Danemark, l'Estonie, la Grèce, la Norvège et la Turquie. Quatre autres pays, la France, les Pays-Bas, l'Allemagne et la Belgique, devraient les rejoindre prochainement. Du point de vue des surfaces maritimes concernées, tout cela reste quand même très faible.
Je comptais initialement m'abstenir sur ce texte. Néanmoins, il faut bien trouver des solutions en matière d'indemnisation lorsque des pays sont victimes de drames tels que celui de l' Erika. Ce protocole apportant des garanties, j'émets donc tout de même un avis favorable au projet de loi autorisant sa ratification.