L'enjeu essentiel de cette audition, me semble-t-il, est de savoir si vous pourrez exercer vos responsabilités avec indépendance. Or vous avez consacré une part minime de votre intervention à cette question. Elle est pourtant essentielle, alors que le précédent titulaire du poste, M. Carenco, qui, pendant de nombreuses années, nous a assurés, avec la même foi que vous venez de manifester, de son indépendance, de son éthique et de son expertise, est entré au Gouvernement. Or, en tant que président de la CRE, M. Carenco a adopté des positions extrêmement critiquables, qui traduisaient son manque d'indépendance. Notamment, pendant la campagne présidentielle, il a pris position sur le programme des candidats. Surtout, à de nombreuses reprises, il a validé, en tant qu'expert et président indépendant de la CRE, des décisions gouvernementales qui n'avaient rien à voir avec le mandat de cette dernière, pas plus qu'avec l'intérêt national, celui d'EDF ou – encore moins – celui des consommateurs. Ces décisions relevaient, en fait, de l'intérêt pur et parfait du Gouvernement, voire, dans le cas du bouclier tarifaire, d'ambitions électorales.
Dans ce contexte, vous auriez dû insister sur les qualités à même de garantir votre indépendance, mais vous ne l'avez pas fait. Vous êtes toujours membre du conseil régional d'Île-de-France, où vous appartenez au groupe de la majorité présidentielle. Vous deviez être députée de cette majorité mais les électeurs ne vous ont pas accordé leur confiance : c'est uniquement pour cela, d'ailleurs, que vous êtes présente ici.
À aucun moment, vous n'avez apporté la moindre garantie d'indépendance. Philippe Séguin avait été nommé à la Cour des comptes, alors qu'il avait un passé politique, parce qu'il venait lui-même de ce corps et avait prouvé qu'il savait dépasser les contingences politiques. Pour votre part, madame, vous avez une capacité d'expertise dans nombre de domaines, mais vous n'en avez pas dans le secteur de l'énergie, qui justifierait que vous reveniez à vos premières amours et qui seraient un gage de votre indépendance. J'en veux pour preuve les déclarations que vous avez faites sur l'énergie, qui ne sont pas des déclarations d'experte mais de politique – vous ne pouvez pas avoir les deux étiquettes à la fois.
En janvier 2020, vous avez dit « 72 % de nucléaire dans l'électricité, c'est trop », et vous aviez prévu douze fermetures de réacteurs d'ici à 2035. Maintenant, vous dites qu'il ne faut pas fermer les douze réacteurs à cette échéance. Un expert, qu'il soit pour ou contre le nucléaire, ne change pas de position sur une question aussi importante en l'espace de deux ans. Le nucléaire à 72 % a très bien fonctionné pendant trente ans et il aurait pu continuer ainsi. Si vous étiez, comme nous, nucléocrate, vous n'auriez eu aucune raison technique de dire que 72 % c'est trop. C'est donc un avis politique, et c'est au même titre, en tant que membre d'une majorité – ou d'une minorité – politique, que vous avez défendu le bouclier tarifaire du Gouvernement ou encore le marché européen de l'électricité, pas en qualité d'expert.
Je ne vois donc pas en quoi vous êtes apte à exercer en toute indépendance et expertise la présidence de la CRE. Pour la première fois, cette assemblée a les moyens de se prononcer sur les nominations de vrais serviteurs de l'État et de refuser des recasages politiques. La majorité n'étant plus majoritaire, le critère des trois cinquièmes, qui était très théorique, peut enfin devenir un moyen réel de contrôle des nominations de la présidence.