Les drames qui ont émaillé l'actualité depuis le début de la discussion de cette proposition de loi doivent nous rappeler combien il est nécessaire de légiférer pour faire respecter la majorité numérique et lutter contre la haine en ligne. Vous l'avez vous-même relevé, monsieur le rapporteur, le défi est de taille, et notre travail sur ces questions ne saurait s'arrêter ici.
Il est heureux que, malgré les désaccords qui existent entre nous, nous puissions avancer vers un encadrement de l'activité des acteurs privés, vers un respect des droits numériques des mineurs et vers une meilleure protection de ces derniers. Au moins 2 millions d'enfants sont directement concernés par les mesures proposées. En effet, les données de la Cnil nous indiquent qu'au moins la moitié des enfants de 10 à 14 ans sont déjà sur un réseau social.
Ces 2 millions d'enfants sont la cible d'entreprises qui ont fait recette de l'hyperconsommation de contenus, de l'enfermement induit par les algorithmes de recommandation et, in fine, de l'exploitation des données personnelles de leurs utilisateurs. Nous ne pouvions pas continuer à laisser des entreprises privées décider elles-mêmes des mesures qu'elles prennent pour assurer un usage sain de leurs services par nos jeunes concitoyens. Pour répondre à cette exigence, un travail sérieux a été effectué par les deux chambres. La version adoptée en commission mixte paritaire est à l'image de ce travail : équilibrée et satisfaisante.
Puisque l'issue du vote fait peu de doute, je coupe court au suspense en vous indiquant dès à présent que le groupe Écologiste – NUPES votera ce texte. Je profite du temps qu'il me reste pour vous faire part d'une inquiétude profonde, qui ne remet pas en cause notre soutien au dispositif proposé. Bien que constructives, les modifications apportées à la proposition de loi au cours de la navette révèlent ses limites et le travail titanesque qu'il reste à accomplir en matière d'éducation au numérique.
Certes, nous pouvons nous réjouir qu'à travers cette loi, les députés de la majorité proposent et votent des mesures qui contraignent les entreprises. Cependant, nous devons nous inquiéter et regretter qu'au sein de ce texte, nous nous en remettions exclusivement aux réseaux sociaux pour informer nos jeunes sur les usages, les droits et les bonnes pratiques du numérique.
Faut-il s'en remettre à ces entreprises pour délivrer « une information […] sur les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention » et « une information claire et adaptée sur les conditions d'utilisation de ses données et de ses droits garantis » ainsi que pour « [informer] régulièrement l'usager [de son temps d'utilisation] par des notifications » – cette dernière disposition ayant été ajoutée au texte ? Faut-il faire confiance à ceux qui ont créé les maux que nous combattons aujourd'hui pour les endiguer ? La réponse nous semble évidente : nous ne le pouvons pas.
L'éducation au numérique est le levier le plus efficace et le moins inégalitaire pour s'assurer que les générations à venir – les futurs « majeurs numériques » – seront bien formées et informées. Loin d'apporter un soutien à ces politiques d'éducation au numérique, le texte que nous nous apprêtons à voter est un petit traité de techno-solutionnisme.
Les réseaux sociaux se sont développés en dépit de notre droit ? Pas d'inquiétude ! Une solution technique les ramènera dans le droit chemin. Les jeunes utilisateurs font un usage immodéré des réseaux sociaux ? N'ayez crainte ! Une notification les avertira. Les mineurs sont exposés à des contenus non adaptés sur les réseaux sociaux ? Nulle appréhension à avoir ! Un message affiché dans l'application les éclairera sur les moyens de s'en prémunir. N'est-ce pas ironique, chers collègues ?
Cette démonstration ne vaut pas rejet des mesures que vous avez proposées, monsieur le rapporteur. Assurément, on scrutera l'application de ces solutions techniques non seulement en France, mais aussi au-delà de nos frontières. Nous formons le vœu qu'elles soient efficaces, mais chacun peut déjà prévoir qu'elles seront insuffisantes. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre délégué, madame la secrétaire d'État, chers collègues, nous espérons sincèrement que votre volonté de protéger les mineurs sera aussi vigoureuse lorsqu'il faudra soutenir l'école.