Je l'ai déjà dit : ce texte n'est en rien une réponse aux problèmes de pouvoir d'achat des Français. Le premier outil de partage de la valeur est l'augmentation des salaires et c'est ce qu'attendent les Françaises et les Français. Nous ne sommes pas dupes : cette négociation sur le partage de la valeur est le énième épisode de votre politique constante de développement des options alternatives visant à freiner les augmentations de salaires.
Néanmoins, nous aurions pu soutenir ce projet de loi, s'il avait étendu l'obligation de la participation aux entreprises de onze à cinquante salariés. Cela aurait constitué une avancée réelle, car, dans notre pays, le salariat est à deux vitesses, avec, d'un côté, les salariés des grands groupes, qui sont les mieux rémunérés et ont accès à l'intéressement, à la participation et à l'épargne salariale, de l'autre les salariés des très petites entreprises TPE – très petites entreprises – et PME qui, outre qu'ils sont bien moins rémunérés, sont privés de ces avantages. Toutefois, le texte ne prévoit pas une telle extension ; de plus, il n'aura en l'état qu'une portée très faible, pour trois raisons.
Premièrement, vous introduisez cyniquement la prime Macron parmi les outils de partage de la valeur, en la rebaptisant habilement « prime de partage de la valeur ». C'est une nouvelle opération de communication en faveur de cette prime qui, comme je l'ai rappelé, a un effet d'éviction de 30 % en moyenne sur les augmentations de salaire, outre qu'elle cannibalisera l'intéressement, parce que le recours à celle-ci est beaucoup plus simple et moins coûteux. Alors que l'intéressement et la participation sont, eux, des dispositifs vertueux, négociés, qui fédèrent un collectif de travail autour d'objectifs partagés, vous préférez promouvoir la prime, en prétendant qu'elle est plébiscitée. Elle l'est, mais par les employeurs, puisqu'elle n'implique aucune charge, aucune négociation et leur donne un argument pour proposer de moindres augmentations de salaires. Les salariés, eux, veulent une augmentation salariale, mensuelle, pour payer leurs factures, emprunter, se projeter dans l'avenir.
Deuxièmement, si vous prévoyez l'obligation légale, pour les entreprises de onze à cinquante salariés, d'instaurer un dispositif de partage de la valeur, vous ne fixez aucun montant minimum, si bien que les employeurs pourront se contenter de verser une prime de 1 euro.
Troisièmement, le versement, prévu par le texte, d'une prime exceptionnelle quand l'entreprise réalise des résultats exceptionnels s'accompagne d'une simple obligation de négociation sur la définition des résultats exceptionnels – rien n'est prévu si la négociation échoue. Autant dire que l'effectivité de ce droit dépend entièrement de la bonne volonté de l'employeur.
Les écologistes sont de fervents défenseurs de la démocratie sociale, sans laquelle il n'y a pas de démocratie tout court – je rends ici hommage aux organisations syndicales et aux 2,5 millions de syndiqués en France, qui chaque jour ont le courage de défendre les salariés. Mais rien ne nous empêche, nous, parlementaires, d'améliorer le texte. Nos amendements visent à en renforcer la portée, en réservant les exonérations à la participation et l'intéressement ; en fixant un montant minimum pour la prime versée dans les entreprises de onze à cinquante salariés ; en proposant une définition supplétive des résultats exceptionnels, en cas d'échec de la négociation.
Surtout, nous devons absolument, au travers de ce projet de loi, nous attaquer aux employeurs peu scrupuleux qui privent les salariés de leur droit à la participation, en déplaçant la valeur ajoutée dans des holdings, en France ou à l'étranger. Comment évoquer un juste partage de la valeur si les salariés injustement privés de leur participation ne peuvent même pas poursuivre leur employeur pour obtenir réparation, à cause de l'article L. 3326-1 du code du travail, un verrou juridique qui n'a qu'un seul effet, protéger les employeurs douteux de telles poursuites ? Dans les affaires Xerox, Wolters Kluwer, MacDonalds, qui ont défrayé la chronique, les salariés demandant leur juste droit à participation ont été déboutés sur le fondement de ce fameux article. Dans le cas de Procter & Gamble, 5,5 milliards d'euros de valeur ajoutée ont été transférés en Suisse par le biais de prix de transfert, occasionnant une perte de 371 millions d'euros de participation pour les salariés. Pour General Electric, le transfert de base fiscale est estimé à 850 milliards d'euros pour les années 2015 à 2020, occasionnant une perte de participation de 10,5 millions d'euros pour les salariés. Pour nous, ce sera l'épreuve de vérité de ce texte. Êtes-vous là pour protéger les employeurs malhonnêtes ou pour défendre le juste droit des salariés à la participation ?
Je rends hommage au travail et à la qualité d'écoute du rapporteur, Louis Margueritte, avec qui le dialogue fut constructif malgré nos désaccords. Je ne peux qu'espérer qu'il soit mieux écouté, à son tour, par le Gouvernement.