Intervention de Joël Barre

Réunion du mercredi 13 juillet 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Joël Barre, Délégué général pour l'armement :

Face à la menace cyber, la DGA possède une capacité d'ingénierie de près de 700 ingénieurs, nombre qui devrait être porté à un millier, à l'horizon 2025. Notre mission est de fournir des outils de défense et d'attaque cyber aux armées et aux services. Nous travaillons en étroite collaboration avec les armées et avec les services – vous voyez en particulier lesquels – utilisateurs de ce genre de dispositif et nous sommes en relation permanente avec l'ANSSI. Mais c'est un domaine dans lequel la DGA ne se contente pas de faire faire à l'industrie et où elle fait elle-même, pour des raisons de nouveauté et de sensibilité. Il est des actions cyber qu'il n'est pas utile de rendre publiques par de la sous-traitance à l'industrie. C'est pourquoi nous le faisons nous-mêmes, en étroite collaboration avec les armées et les services, afin de les doter de ces outils qui relèvent à la fois de la lutte informatique de défense – parer les attaques cyber auxquelles peuvent être soumis les services de l'État –, de la lutte informatique offensive et de la lutte informatique informationnelle, c'est-à-dire le traitement du volet manipulation de l'information qui prolifère sur les réseaux sociaux. Nous sommes acteurs directs dans l'ensemble de ces domaines.

Dans les territoires, nous avons mis en place des « clusters », c'est-à-dire des pôles de développement technologique qui regroupent chacun, autour d'un chef d'orchestre, soit l'un de nos 10 centres d'expertise et d'essais répartis sur 14 sites implantés sur tout le territoire – Toulon, pour la marine, Cazaux et Istres pour l'aéronautique, Biscarosse et l'île du Levant pour les essais de missile, Bourges et Angers pour le matériel terrestre, etc. –, le tissu académique universitaire et les industriels.

Nous réalisons des actions importantes en matière d'innovation, nous sommes acteurs de la stratégie quantique mise en place par le Gouvernement, grâce à nos équipes de l'AID notamment.

En ce qui concerne la coopération européenne, j'ai du mal à imaginer la construction d'une Europe de la défense sans une certaine coopération avec l'Allemagne, première puissance économique et démographique de notre continent. Le Royaume-Uni, dont la politique en matière de défense est sans doute la plus proche de la nôtre, a décidé en 2016 de sortir de l'Union européenne. Se doter d'une politique d'armement aussi proche que possible avec notre partenaire allemand est un objectif que je partage en tant que citoyen.

En tant que DGA, je considère que la politique de coopération avec l'Allemagne doit reposer sur trois principes. Premièrement, les schémas de coopération et d'organisation industrielle doivent définir clairement les responsabilités. Pour chaque sous-système majeur d'un programme de coopération, il doit y avoir un industriel responsable, et non deux, trois ou quatre regroupés d'une manière plus ou moins souple. Deuxièmement, l'industriel responsable de tel sous-système majeur doit être le meilleur, celui qui a acquis, au fil de son histoire, la meilleure expertise et le meilleur savoir-faire. Troisièmement, il faut assurer un équilibre, et cet équilibre doit être trouvé de manière globale, car s'il l'était sous-système par sous-système, les programmes seraient ingérables et n'aboutiraient pas. C'est pourquoi nous avons demandé aux Allemands de prendre le lead sur l'Eurodrone et sur le MGCS, et nous l'avons pris sur le SCAF, qui comporte plusieurs sous-systèmes, dits piliers. Nous avons dit : nous, Français, prenons l'avion, parce que nous considérons que Dassault est le « best athlete » de l'aviation de combat, comparé aux capacités d'Airbus Allemagne et Espagne. Inversement, nous avons laissé à Airbus Allemagne le leadership en matière de « combat cloud », c'est-à-dire la connectivité de l'ensemble du système d'armes et les drones accompagnateurs.

Nous avons laissé aux Allemands le lead du MGCS mais, après avoir accepté de faire KNBS entre Krauss-Maffei et Nexter, en 2015, sur une base de 50/50, ils nous ont annoncé tout d'un coup, en 2018, qu'il fallait aussi associer Rheinmetall. Nous butons toujours sur l'arrivée de Rheinmetall dans le programme. En particulier, sur le canon du char du combat du futur, nous n'avons pas encore trouvé, entre Rheinmetall et Nexter, d'accord répondant aux principes que je viens d'évoquer. Le programme MGCS n'est toutefois pas arrêté. Nous sommes en phase d'étude d'architecture système jusqu'au printemps 2023. D'ici le printemps 2023, j'espère que nous aurons franchi une nouvelle étape.

Concernant le SCAF, nous discutons depuis septembre 2021 de l'engagement de la première tranche du programme de démonstration en vol qui doit aboutir à l'horizon 2027. Vous avez raison de dire que ça dure. J'espère que nous trouverons une issue sur la base des principes que je viens de citer.

Nous avons un vrai enjeu de coopération avec l'Allemagne. Chacun doit faire un pas vers l'autre.

Nous faisons le maximum pour concilier les objectifs des uns et des autres, en sauvegardant les intérêts de notre pays et les intérêts de notre industrie. Si jamais nous échouons dans les projets franco-allemands, nous pourrons continuer à faire de l'aviation de combat à partir d'évolutions successives du Rafale. Nous faisons le Rafale par des standards successifs. Nous en sommes au standard F3, nous développons le standard F4. Nous ferons le F5 pour la composante nucléaire aéroportée du futur. Pour le char, nous commencerons à livrer la rénovation du Leclerc en 2023. D'évidence, nous n'abandonnerons pas nos capacités.

Je n'ai pas de chiffres précis concernent notre politique à l'égard des start-ups, mais je vous fournirai une fiche car, depuis sa création, l'AID a identifié plusieurs centaines de start-ups. Cette année, nous avons créé le Fonds innovation défense (FID) dont les premiers investissements ont concerné des entreprises travaillant dans le quantique. Nous poursuivons également le plan d'action PME lancé en 2018 par Mme Florence Parly. Nous soutenons le développement du NewSpace, c'est-à-dire l'apport des petits industriels dans le domaine spatial, au-delà des maîtres d'œuvre. Nous le faisons avec le projet Kinéis, à la suite d'Argos, avec le projet Keronaus, dispositif de communication de nouvelle technologie développé par une petite entreprise. Nous soutenons Unseenlabs dans ses actions de surveillance maritime.

Les drones doivent faire l'objet d'une évolution de notre système normatif, puisque la réglementation « drone d'Etat » en vigueur, qui date de fin 2013, n'est plus totalement adaptée au contexte actuel. Nous travaillons à sa mise à jour avec les autorités normatives, la direction de la sécurité aéronautique d'État (DSAE), pour les militaires, et la direction générale de l'aviation civile (DGAC), afin de mettre en œuvre un dispositif plus adapté et plus souple. Suivant que le drone va surveiller une ville comme Paris ou la mer, il n'est pas nécessaire d'avoir les mêmes exigences de sûreté et de navigabilité. L'exercice en cours devrait déboucher d'ici la fin de l'année ou le début de 2023.

La pyrotechnie nécessiterait aussi une mise à jour du système normatif, car là aussi, les textes datent. Nous travaillons à une actualisation éventuelle de la réglementation en la matière.

Naval Group a décidé d'installer à La Londe-les-Maures, à côté de Toulon, un nouveau centre d'excellence dédié aux technologies sous-marines. Je ne suis pas entièrement satisfait de la fabrication des torpilles à Saint-Tropez. Après un exercice d'autosatisfaction sur le bilan, je puis dire que quelques projets ont pris du retard, notamment la torpille lourde F21. Regrouper à La Londe-les-Maures les compétences de Naval Group en matière de torpilles avec celles qu'il a dans le domaine océanique va dans le bon sens. J'ai soutenu ce projet qui inclut des recherches technologiques en matière de drones sous-marins. C'est une bonne opération pour Naval Group et la qualité du matériel qu'il fournira à la DGA et aux armées.

Dans la prochaine LPM, nous proposerons de renforcer nos moyens de réquisition des capacités industrielles et de priorisation, action visant à affirmer que nous sommes le premier client et non tel ou tel autre, comme cela existe aux États-Unis. Nous proposerons de le faire dans le domaine législatif et le domaine réglementaire.

S'agissant de l'adaptation de notre modèle d'armée à la haute intensité, une nouvelle LPM annoncée par le Président de la République et la Première ministre vous sera présentée. La première question sera de savoir si notre modèle d'armée 2030, tel qu'il avait été supposé en 2017, doit être adapté, et si oui, en quoi ?

Nous sommes associés à certains approvisionnements de la gendarmerie quand ils l'estiment nécessaire, en particulier dans le domaine des hélicoptères. En revanche, l'achat standard de nouveaux véhicules blindés sur étagère ne nécessite pas le recours à des équipes d'ingénierie de la DGA.

Enfin, concernant le montant de l'aide fournie à Kiev, comme vous l'avez dit, je ne peux vous donner un autre chiffre, si ce n'est confirmer qu'il est supérieur à 160 millions d'euros.

Nous avons un très bon retour d'utilisation des Caesar, au point que nous discutons avec Nexter, qui lui-même discute avec les Ukrainiens, de leur maintien en condition opérationnelle. Un Caesar qui tire s'use, et nécessite des dispositifs de maintenance. Les performances du Caesar sont très appréciées, car l'installation d'un canon sur un véhicule à roues permet, une fois le tir effectué, de se retirer le plus rapidement possible pour éviter la réponse de contre-batterie. Cet avantage substantiel justifie le choix capacitaire du dispositif.

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