Je vous remercie d'avoir rappelé les raisons pour lesquelles je suis devant vous aujourd'hui. En novembre 2021, vous m'avez fait confiance en vous prononçant à une large majorité en faveur de ma nomination en qualité de présidente du directoire de CNR. Je vous propose de revenir très brièvement sur mon parcours puis de vous exposer un bilan de mon action des dix-huit derniers mois. Je partagerai ensuite avec vous ma vision de l'avenir de CNR, ou comment une entreprise comme la nôtre peut s'inscrire résolument dans les objectifs de transition énergétique fixés tant à l'échelle française qu'européenne.
J'ai toujours voulu travailler dans l'industrie et le secteur de l'énergie. Après un cursus d'ingénieure à Toulouse et Edimbourg, j'ai commencé ma carrière au Centre national d'ingénierie de Gaz de France. À l'époque, j'étais la seule ingénieure femme. Je n'ai plus quitté le monde de l'énergie, au sein duquel j'ai conduit différents projets d'infrastructures en gaz et en électricité, en France et à l'étranger. J'ai ensuite assumé différentes fonctions de direction générale au sein d'Engie. Ces expériences m'ont permis et me permettent d'avoir un pied dans la stratégie et un pied sur le terrain.
Dès ma prise de fonctions au sein de CNR, je me suis attelée à finaliser le dossier de prolongation de la concession. Les procédures enclenchées dès 2014, tant sur le plan français qu'européen, m'ont permis d'être la dernière relayeuse et de franchir avec succès la ligne d'arrivée avec l'adoption par le Parlement de la loi « Aménagement du Rhône ». Fruit d'un long travail collectif, ce texte a prolongé le contrat de concession de CNR jusqu'en 2041 à l'unanimité de la Représentation nationale, qui a ainsi salué le modèle de CNR. Je profite de ma présence parmi vous pour vous remercier, mesdames et messieurs les députés, de la confiance que vous nous avez témoignée à cette occasion. Cette confiance nous honore mais surtout nous oblige.
La prolongation de notre concession s'est inscrite dans un contexte très particulier. Les années 2021 et 2022 ont été marquées par une succession de crises : la guerre en Europe, la crise énergétique, les manifestations visibles du changement climatique et toujours la covid. La crise d'approvisionnement en gaz de l'Europe, doublée d'une faible disponibilité du parc nucléaire français, ont favorisé l'envolée des prix de l'électricité à des niveaux jamais atteints. Cette volatilité du marché a eu un impact sans précédent sur des pans entiers de notre économie. La sécheresse historique qui a sévi en Europe a aggravé les tensions sur la production d'électricité en France, mettant également à rude épreuve nos activités de gestionnaire d'un fleuve et de producteur d'hydroélectricité. Plus récemment, comme partout à l'échelle nationale, le mouvement social de contestation de la réforme des retraites a eu des répercussions sur nos activités avec, notamment, l'arrêt du service public de la navigation sur le Rhône en mars et en avril 2023. Vous l'aurez compris, le modèle si singulier de CNR a été mis à rude épreuve en 2021 et en 2022, mais il a su démontrer sa robustesse.
J'en viens à mon bilan. Lorsque je passe en revue les dix-huit derniers mois, trois mots me viennent naturellement à l'esprit : résilience, agilité, engagement. Comme l'ensemble des entreprises françaises, nous nous sommes adaptés aux fluctuations du marché de l'électricité. À l'été 2022, nous avons été contraints de racheter de l'électricité au prix fort pour pallier notre déficit de production hydraulique, mais cette envolée des prix a aussi permis de démontrer l'efficacité et la pertinence du nouveau mécanisme de redevance hydraulique inscrit dans notre contrat de concession. La redevance était fixe, jusque-là, avec un taux de 24 % de nos ventes nettes d'électricité. Elle s'appuie désormais sur un système par tranches. La première tranche, pour la partie du prix de l'électricité inférieure à 26 euros par mégawattheure (MWh), est de 10 %, et la tranche la plus importante, pour la partie du prix de l'électricité supérieure à 80 euros, est de 80 %. Ce nouveau mécanisme nous a ainsi conduits à reverser en 2022 176 millions d'euros au titre de la redevance, malgré la sécheresse. Lorsque les débits étaient au plus bas, nous avons su garantir les trois missions historiques qui ont été rappelées.
Dans le domaine du solaire et de l'éolien, nos équipes ont été également affectées par la flambée des prix des matières premières et par la rupture des chaînes d'approvisionnement. Là encore, nous avons su nous adapter, nous avons revu le design de nos projets et leur valorisation. Pour soutenir l'effort de déploiement du solaire photovoltaïque dans la vallée du Rhône, j'ai aussi souhaité la création d'une filiale dédiée – Solarhona –, qui associe nos partenaires de la Banque des territoires, les caisses régionales du Crédit Agricole ainsi que bientôt, je l'espère, les régions concernées. Ces derniers dix-huit mois, nous avons également été au rendez-vous de notre activité industrielle. Nos équipes ont mené tambour battant le programme de maintenance de nos ouvrages hydroélectriques avec succès. Résultat : 99 % de nos groupes de production étaient disponibles le 31 décembre dernier.
La promulgation de la loi « Aménagement du Rhône » a aussi marqué le départ d'un programme ambitieux de travaux pour lequel j'ai demandé aux équipes de s'inscrire dans un calendrier d'études et de réalisations volontariste mais sans empiéter sur le temps de dialogue et de concertation avec les territoires, condition sine qua non de la réussite de nos projets. Ce programme, chiffré à 500 millions d'euros en 2018, vise principalement deux objectifs : développer 100 mégawatts (MW) de nouvelles capacités hydroélectriques sur le Rhône et renforcer nos infrastructures fluviales.
On peut citer, parmi les projets majeurs sur lesquels nous sommes déjà à pied d'œuvre, l'étude d'un nouvel aménagement hydroélectrique à la confluence du Rhône et de l'Ain, dénommé Rhônergia, qui pourrait être mis en service dès 2033. La concertation préalable, sous l'égide de la Commission nationale du débat public (CNDP), qui a désigné quatre garants, s'ouvrira au dernier trimestre de cette année. Cette concertation, comme les études préalables que nous menons, permettront à l'État de se positionner sur la suite qu'il entend donner à ce projet.
Notre contrat prévoit également la construction de six nouvelles petites centrales hydroélectriques, avec leurs six passes à poissons, le renforcement des capacités de production de notre aménagement hydroélectrique de Montélimar, ainsi que le doublement des portes aval de deux de nos écluses, lequel permettra de fiabiliser la navigation sur le Rhône.
Je conclurai ce rapide bilan par les missions d'intérêt général de CNR, auxquelles je suis très attachée et qui font la fierté de nos collaborateurs. CNR a lancé en 2022 son nouveau dispositif de missions d'intérêt général, dénommé plan « 5Rhône ». Doté de plus de 170 millions d'euros, ce plan quinquennal est entièrement consacré au développement économique et à la transition écologique des territoires. Il vise à soutenir des initiatives portées par des acteurs locaux sur cinq volets d'action. À travers ce plan, c'est l'essence même du modèle redistributif et de partage de la valeur de CNR qui s'incarne.
J'en viens à la stratégie que j'ambitionne de poursuivre à travers notre plan stratégique CNR 2030, si vous m'accordez à nouveau votre confiance. CNR n'est pas une entreprise industrielle comme les autres : elle a été pensée et créée pour servir avant tout la nation et l'intérêt général. Pour moi, cette raison d'être n'a jamais autant fait sens qu'à l'heure où notre pays doit relever les deux plus grands défis de ces cinquante dernières années : décarboner notre économie et réindustrialiser notre pays. C'est pourquoi j'ai fixé cinq priorités d'action dans le cadre de notre projet d'entreprise.
La première priorité est de sécuriser et moderniser nos infrastructures industrielles. En tant qu'industriel responsable, nous devons être exemplaires pour garantir la sécurité de nos collaborateurs et celle des salariés des entreprises qui travaillent pour nous. En notre qualité d'industriel concessionnaire du Rhône et pour répondre aux besoins d'électrification massifs du pays au cours des prochaines années, nous devons pérenniser et moderniser nos aménagements, dont la moyenne d'âge est de cinquante-deux ans. Pour ce faire, nous avons renforcé nos investissements de maintenance, qui s'élèvent à 130 millions d'euros en 2023 contre 90 millions les années précédentes.
Ma deuxième priorité d'action ne va pas vous surprendre : nous devons développer le plus rapidement possible de nouveaux actifs de production d'électricité renouvelable. L'ensemble des lois discutées et votées sur ces sujets sont les briques d'un vaste édifice, auquel CNR prendra toute sa part. Mon pragmatisme me conduit à vous dire que les énergies renouvelables, notamment le photovoltaïque et l'éolien, doivent être développées le plus rapidement possible pour répondre à la hausse massive de la demande en électricité parce qu'elles sont aujourd'hui des technologies matures et compétitives. CNR ambitionne ainsi de développer 1 500 mégawatts de puissance supplémentaire d'ici à 2030 en éolien et en solaire.
Je suis convaincue que ce développement ne sera pas possible sans l'appui et l'appropriation des territoires et de leurs élus. Je suis régulièrement en contact avec des maires sur le terrain. Malgré l'hostilité de certains à l'égard des énergies renouvelables, j'ai constaté que leur volonté d'être partie prenante à ces projets est très forte.
Je crois aussi beaucoup à l'innovation technologique. L'énergie osmotique, le photovoltaïque linéaire, l'agrivoltaïsme ou encore l'hydrogène renouvelable font partie des énergies du futur. Je souhaite que CNR continue à être un laboratoire pour leur donner une chance de participer demain au mix énergétique.
Autre priorité majeure de mon action : mettre nos ressources de concessionnaire du Rhône au service du développement et de la transition écologique des territoires. En ce qui concerne le transport fluvial, mon ambition sera de dynamiser le trafic sur la voie d'eau, en optimisant les interconnexions entre le fleuve et le rail et en mobilisant les ressources foncières de CNR au bord du Rhône au service de l'attractivité et de la réindustrialisation de nos territoires. Pour cela, nous travaillons de concert avec les autres acteurs de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône, notamment le Grand port maritime de Marseille (GPMM), Voies navigables de France (VNF), SNCF Réseau et les chambres de commerce et d'industrie (CCI), dans l'objectif d'apporter une solution cohérente sur l'axe.
S'agissant de notre mission pour l'agriculture, les effets du changement climatique nécessitent que CNR accompagne les agriculteurs dans la transformation de leurs pratiques. L'enjeu est de répondre aux besoins des cultures sans solliciter à l'excès les capacités du fleuve et de contribuer ainsi à notre souveraineté alimentaire. Dès cette année, nous financerons et nous accompagnerons seize projets d'agriculture durable à hauteur de 3 millions d'euros, qui bénéficieront à une centaine d'agriculteurs du sillon rhodanien, toutes filières confondues.
Enfin, la préservation du Rhône et de sa biodiversité, en lui redonnant son caractère vif et courant, est aussi dans l'ADN de l'entreprise. Depuis vingt ans, l'entreprise a ainsi engagé le plus important programme mondial de restauration écologique d'un fleuve.
L'ensemble de ces actions – hydroélectricité, navigation, irrigation et biodiversité – doit évidemment prendre en compte la réalité de l'évolution de l'hydraulicité du fleuve. La récente étude de l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui s'appuie sur les derniers rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), montre que nous serons confrontés à des phénomènes extrêmes plus importants à l'horizon 2055 : davantage de périodes de sécheresse en été, d'épisodes pluvieux en hiver, moins de neige, et donc moins de stock d'eau pour le printemps. L'enjeu de la conciliation des usages doit être la priorité de tous. Dans ce contexte, le modèle de gestion holistique du fleuve de CNR prend tout son sens.
Je souhaite que la performance irrigue l'ensemble de l'entreprise, tout comme la responsabilité sociale d'entreprise (RSE), socle de mon ambition stratégique. Ainsi, je n'envisage pas qu'une entreprise comme la nôtre, premier producteur français d'électricité 100 % renouvelable et engagée dans la RSE, ne soit pas exemplaire en matière de sobriété énergétique, de protection de la biodiversité, mais aussi et surtout concernant la place des femmes et des hommes au cœur de l'entreprise. Une entreprise n'est rien sans l'engagement au quotidien et dans la durée de ses salariés. Je continuerai donc à faire de la lutte contre toutes les discriminations, de la féminisation de toutes les filières, y compris techniques, de la formation continue et de la qualité de vie au travail, un axe fort de ma présidence si vous décidez de me la confier.
Voici donc en quelques mots les fondements de ma vision pour CNR. J'espère, mesdames et messieurs les députés, que mes propos vous auront convaincus de ma motivation, de ma détermination et de mon engagement à faire que cette entreprise soit un atout au service de la transition énergétique et écologique de la France et de ses territoires. Je vous remercie de votre attention et je suis à votre disposition pour vos questions.