L'artificialisation des sols est devenue, au fil des années, un sujet incontournable dans la problématique de la transition écologique et de l'aménagement durable de nos territoires. Je m'en réjouis, car elle constitue l'une des premières causes de destruction de la biodiversité dans le monde.
En quarante ans, la surface artificialisée de la France métropolitaine a presque doublé, passant de 2,9 millions à plus de 5 millions d'hectares, tandis que l'évolution de la population française a progressé de moins d'un tiers sur la même période. Ce rythme effréné est illustré par une donnée simple et saisissante : nous consommons près de 25 000 hectares d'espaces naturels, agricoles ou forestiers (Enaf) par an : c'est plus de deux fois la surface de la ville de Paris qui est artificialisée chaque année !
L'artificialisation altère durablement les fonctions écologiques des sols, dont nous dépendons tous : accès à l'eau, stockage du carbone, maintien de la biodiversité et production alimentaire. Dans un contexte de changement climatique accéléré et de tensions géopolitiques, protéger les sols et les terres agricoles est une priorité.
C'est avec la volonté de préserver ces ressources inestimables que le principe de « zéro artificialisation nette » (ZAN) a été inscrit, en 2011, dans la feuille de route de la Commission européenne. En 2016, avec la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages présentée par Mme Ségolène Royal, la sobriété foncière devient une compétence régionale : peu à peu, des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) ambitieux prévoiront une réduction de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers. En 2018, l'objectif du ZAN est repris par la majorité présidentielle dans le plan biodiversité, présenté par le ministre Nicolas Hulot : il alertait, à l'époque, sur le risque de disparition de 40 % des espèces vivantes au milieu du siècle prochain, si l'on ne faisait rien.
Engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique et pour la protection de la biodiversité, nous avons agi concrètement, en 2021, en adoptant la loi « climat et résilience ». Qu'on se le dise, cette loi, plus particulièrement les mesures ayant trait à la lutte contre l'artificialisation des sols, est l'une des plus ambitieuses que ce pays ait connue en matière de transition écologique. Je suis fier d'y avoir contribué en tant que rapporteur thématique.
Toutefois, près de deux ans après sa promulgation, des difficultés de mise en œuvre apparaissent. Il faut les entendre et y répondre si nous voulons atteindre les objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés. Après la constitution d'une mission d'information commune au Sénat, la Chambre haute a déposé une proposition de loi allant dans le sens d'une facilitation de la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols.
Le texte initial adopté au Sénat comportant de nombreuses lignes rouges remettant en cause l'atteinte de nos objectifs ainsi que notre calendrier, le ministre M. Christophe Béchu, que je remercie pour son implication sur le sujet, nous a demandé de constituer à l'Assemblée nationale un groupe de réflexion chargé de trouver des solutions pour accompagner les élus locaux dans la mise en œuvre du ZAN, en 2050. C'est ainsi qu'est née une seconde proposition de loi : mon collègue Bastien Marchive, que je remercie également pour son travail, et moi-même l'avons déposée en février dernier.
L'objectif étant d'appliquer rapidement les mesures à prendre, il fallait trouver une porte de sortie susceptible de convenir aux deux chambres. Le dialogue avec le Sénat, qui n'a jamais cessé, nous conduit aujourd'hui à examiner cinq articles de la proposition de loi que lui-même avait adoptée. Ce même dialogue constant, entretenu également avec le Gouvernement et les associations d'élus, trouve son illustration dans l'accord auquel nous sommes parvenus, consistant à alléger la proposition de loi afin de prendre le plus rapidement possible les mesures urgentes par voie réglementaire.
C'est ainsi que deux des articles dont nous sommes saisis, ayant vocation à être traduits par décret, feront l'objet d'amendements de suppression de la part du Gouvernement. Il s'agit de l'article 6 qui prévoit une meilleure prise en compte des efforts déjà réalisés par les collectivités pour réduire leur rythme d'artificialisation, et de l'article 8 qui prévoit la définition d'une part réservée au développement territorial au sein des enveloppes fixées par les documents régionaux – les schémas de cohérence territoriale (Scot) et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Ces amendements de suppression correspondent aux attentes des élus locaux, qui souhaitent de la souplesse et de la rapidité.
Les projets de décret ont été rédigés en étroite collaboration avec les associations d'élus, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) en tête. Ils vont nous permettre d'agir vite, de sorte que nous puissions respecter notre trajectoire de lutte contre l'artificialisation des sols. Aussi, ces deux amendements de suppression n'ont pas vocation à enterrer le débat, ni à brider la représentation nationale, mais à faciliter la mise en œuvre de mesures qui font consensus, afin d'accompagner au mieux les élus en première ligne de la lutte contre l'artificialisation des sols.
Nous sommes également saisis sur l'article 3, qui vise à transformer les conférences des Scot en « conférences régionales de gouvernance ». Ces nouvelles instances traduisent la volonté des sénateurs d'inclure davantage d'élus dans le suivi et l'application des mesures de lutte contre l'artificialisation. Leur composition devrait faire l'objet de débats au sein de cette commission : je ne suis pas fermé à l'idée de les ouvrir davantage, au risque de créer une structure composée de nombreuses organisations.
Je rappelle toutefois que les conférences des Scot étaient une initiative sénatoriale lors de l'examen du projet de loi « climat et résilience », et que la nouvelle instance qu'il vous est proposé de créer n'aura pas d'incidence, ni sur les objectifs, ni sur le calendrier. Je suis donc à l'écoute de vos propositions, si vous souhaitez l'enrichir avec la volonté ne pas dénaturer l'esprit initial de l'article, puisque ces conférences ont toujours vocation à rester des espaces de dialogue consultatifs.
L'article 10 est très important en ce qu'il prend en compte les spécificités des territoires littoraux et de montagne. Les spécificités des territoires de montagne ont été prises en compte dans les projets de décret portés à votre connaissance ce week-end, mais le cas des communes littorales exposées au recul du trait de côte requiert une attention particulière.
L'article prévoit de décompter de l'artificialisation constatée sur le périmètre de la commune les parcelles rendues inutilisables en raison de l'érosion côtière, et de les considérer comme de la renaturation. Or les sénateurs avaient introduit un double comptage faisant en sorte qu'en parallèle, les projets de relocalisation dans de nouvelles zones des aménagements et constructions sur les parcelles touchées par le recul du trait de côte ne soient pas comptabilisés au regard de l'artificialisation. Ce double comptage a été dénoncé par de nombreuses associations d'élus auditionnées ainsi que par des organisations non gouvernementales (ONG) : dans un souci de cohérence, il sera proposé de le supprimer.
Par ailleurs, je présenterai un amendement visant à conditionner la considération de désartificialisation des surfaces se situant dans les zones les plus exposées et ayant vocation à être renaturées, à une contractualisation avec l'État, pour adapter les actions des communes en matière d'urbanisme et leurs politiques d'aménagement aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l'érosion du littoral. Il est essentiel que nous accompagnions les élus qui se montrent responsables et qui décident d'engager des actions de planification pour s'adapter au recul du trait de côte.
Enfin, l'article 13 prévoit que les efforts de renaturation conduits par les collectivités dès l'adoption de la loi « climat et résilience » seront pris en compte pour évaluer l'atteinte de leurs objectifs ZAN. En effet, le calcul de la consommation des Enaf ne prend actuellement pas en considération les opérations de renaturation effectuées avant 2031. Seraient donc retranchées du calcul de la consommation des Enaf les surfaces ayant fait l'objet d'actions de renaturation – cela devrait inciter les autorités compétentes à conduire de telles actions.
Toutefois, certaines personnes auditionnées ont exprimé des doutes quant à la possibilité de comptabiliser cette « déconsommation », qui appelle à créer une base spécifique des espaces renaturés. Je vous proposerai donc de réécrire cet article, en posant le principe d'une déduction de la consommation des surfaces renaturées à l'échelle des territoires, et pas uniquement au niveau des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).
Par ailleurs, le Sénat a introduit une disposition visant à décompter des surfaces artificialisées les espaces utilisés temporairement pour les besoins de travaux ou d'aménagements, puis restitués à la même catégorie de surfaces non artificialisées. Cette disposition relève de la nomenclature des surfaces artificialisées et non artificialisées, qui est traitée par voie réglementaire. Je vous proposerai donc de supprimer les alinéas y faisant référence.
Je vous inviterai, par ailleurs, à créer un article additionnel pour mieux prendre en considération les difficultés propres aux territoires d'outre-mer dans l'atteinte des objectifs ZAN.
Je sais que certains de nos collègues souhaitent revenir sur ce fameux ZAN ; je connais leurs arguments et je les entends, mais je ne les partage pas tous. Quand nous artificialisons près de deux fois plus rapidement que la population n'augmente, quand la loi SRU, relative à la solidarité et au renouvellement urbains, n'est pas respectée dans de nombreuses communes, alors qu'elle date de 2000, quand des élus se font élire sur la promesse de ne pas construire et se plaignent des mesures adoptées en 2021, le lien avec les dispositions de la loi « climat et résilience » n'est ni avéré, ni sérieux.
En tant que responsables politiques, je pense que nous partageons tous la volonté d'apporter un meilleur cadre de vie à nos concitoyens. Cela passe inévitablement par une lutte sans merci contre l'artificialisation des sols et par un accompagnement des élus locaux, au plus près du terrain. Je vous invite donc à réserver un accueil favorable à cette proposition de loi, fruit d'un consensus qui répond aux attentes des élus et qui nous permettra d'atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, en respectant le calendrier et les objectifs de la loi « climat et résilience ».