Madame Faucillon, ce texte vous fait penser à un patchwork. Les États généraux de la justice, concédez-le moi, embrassent beaucoup de sujets, tous plus divers les uns que les autres. Ne vous étonnez donc pas qu'en voulant retenir les nombreuses propositions qui en ont découlé, nous ayons abouti à un tel texte.
Monsieur le rapporteur général, quel merveilleux lapsus vous avez fait en évoquant les états généreux ! Quand résonnent encore à mes oreilles les mots de Jean-Jacques Urvoas sur la clochardisation de la justice, ceux de Jean-Marc Sauvé sur son délabrement, sans parler du constat que j'ai moi-même dressé après trente-cinq ans d'exercice professionnel, merci pour ce geste involontaire mais signifiant. Vous m'avez interrogé au sujet des tribunaux des activités économiques (TAE). Nous recevons de nombreuses candidature, que plusieurs d'entre vous ont relayées. Nous souhaitons retenir des tribunaux de toutes les tailles, car une expérimentation suppose d'être éclectique ; et nous veillerons à ce que des TAE s'installent dans les zones rurales, parce que je veux que nous soyons utiles aux agriculteurs. Cette juridiction, dans sa nouvelle compétence, sera indubitablement favorable aux agriculteurs, j'en ai la certitude. Nous en reparlerons en séance.
Vous avez émis quelques regrets à propos du volet règlementaire. Les mesures que nous avons prises pour favoriser la médiation et le règlement amiable des conflits ne sont pas issues des États généraux de la justice. Permettez-moi de revenir un instant sur la méthode que nous avons retenue, car elle est sans précédent. Le Président de la République annonce des États généraux de la justice, ils sont installés. Le comité des États généraux de la justice, présidé par Jean-Marc Sauvé, est transpartisan. Il se compose du président de la commission des lois du Sénat, de la présidente de l'époque de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, des deux plus hauts magistrats de notre pays, d'universitaires, d'avocats. Je n'en fais pas partie, car je veux que l'on puisse dire que ce que nous recueillerons dans ce cadre ne se résume pas aux idées du garde des sceaux. Des ateliers de travail sont mis en place, je les surveille comme le lait sur le feu, mais je n'interviens pas, pour mieux prendre en compte ce qui en découle. Par ailleurs, la plateforme numérique permet de lancer une grande consultation citoyenne et, pour ce qui me concerne, je me déplacerai auprès de nos concitoyens pour les écouter et leur expliquer le principe des États généraux de la justice. Une fois le rapport rendu, j'ai lancé deux vagues de concertations au cours desquelles j'ai rencontré tout le monde – avocats, forces de sécurité intérieure, magistrats, syndicats etc. Nous avons ainsi retiré des mesures consensuelles. C'est une nouvelle gouvernance qui se met en place.
Beaucoup de réformes de la justice ont été menées, mais rares sont celles qui ont été corrélées au moyens nécessaires pour les mener. Le volet réglementaire est inspiré de dispositions étrangères, notamment de celles des Pays-Bas et du Québec où le contentieux civil, pourtant beaucoup plus volumineux que chez nous, y est pourtant traité plus rapidement. La députée Caroline Yadan, qui est aussi une avocate farouche défenseure de la médiation et du règlement amiable des conflits, nous aide à définir des mesures réglementaires pour que la justice soit rendue plus rapidement et au plus près de nos concitoyens. Les textes vous seront communiqués. Si tout le monde s'y met et que nous changeons de culture, nous gagnerons du temps. Par exemple, une mise en état dure deux ans et demi actuellement. C'est insupportable pour nos concitoyens. Pire, dans certains contentieux qui mêlent l'intime, les parties ne voient pas leur juge. Comment aimer sa justice quand elle n'est pas incarnée ? Nous manquons de moyens, mais nous prenons des mesures pour y remédier. La procédure amiable, dans ce cadre, revêt une importance particulière.
Monsieur Balanant, vous m'avez posé peu de questions au sujet de la partie du texte pour laquelle vous êtes rapporteur, mais je connais votre esprit critique et je ne doute pas que vous en ayez bientôt.
Monsieur Pradal, je vous remercie d'avoir reconnu les qualités de ce texte que vous avez qualifié de « grande loi ». J'y suis sensible. Vous avez posé la question de la composition du TAE, qui remplace le tribunal de commerce. Les magistrats n'en veulent pas, non plus que les juges consulaires. Mon idée est d'ouvrir le corps. J'ai souhaité, et obtenu, qu'à l'ENM, la qualité de magistrat ne soit plus obligatoire pour enseigner, mais que des élus, des chefs entreprise, des journalistes, des artisans puissent, eux aussi, transmettre leur savoir. On m'a demandé si quelqu'un d'autre qu'un procureur de la République pourrait apprendre aux auditeurs de justice à rédiger un réquisitoire. Un plombier ne le pourrait pas, bien sûr, mais il pourrait leur expliquer l'artisanat. Je suis si favorable au mélange, d'ailleurs, que j'ai signé des conventions avec l'ENM pour que les auditeurs puissent se rendre dans les point-justice et rencontrer nos compatriotes les plus défavorisés. Nous n'imposerons rien, mais nous ferons des propositions. Par exemple, de jeunes magistrats ne pourraient-ils travailler avec les juges consulaires ? Les magistrats de l'ordre judiciaire seraient ainsi mieux formés au monde économique tandis que les juges consulaires pourraient approfondir leur connaissance du droit. Quoi qu'il en soit, les décisions se prendront dans le consensus.
Monsieur Paris, vous avez raison de vous préoccuper de l'indépendance de la justice, indispensable à la démocratie. C'est aussi mon souci. Vous avez rappelé que personne ne pouvait toucher à la liberté juridictionnelle. En contrepartie, on peut se poser des questions sur le sens d'un jugement qui peut nous choquer par son laxisme ou sa sévérité. En revanche, si l'exécutif s'avisait de mettre la main sur la justice de notre pays, nous ne serions plus en démocratie. L'évaluation professionnelle dite à 360° est une nouveauté. Aucune n'avait été réalisée auparavant et nous l'avons conçue avec le CSM. Le Président de la République avait demandé que soit engagé un travail autour de la responsabilité des magistrats. Le rapport m'a été remis et je souhaite instaurer des liens réguliers avec le CSM. Nous avons évoqué la possibilité d'évaluer les chefs de cour. Ce serait une première, mais il n'y a pas de raison qu'elle n'existe pas. Nous en prévoirons les modalités, sachant que l'évaluation ne portera pas sur l'activité juridictionnelle et que le comité d'évaluation présentera toutes les garanties de nature à rassurer les magistrats.
S'agissant de la commission d'admission des requêtes, vous aurez compris que ses pouvoirs d'enquête sont renforcés, mais le garde des sceaux a également reçu des prérogatives disciplinaires complémentaires. Nous sommes parvenus à un dispositif équilibré. C'est aussi l'opinion des magistrats qui m'entourent et avec qui je travaille. Ces magistrats, rappelons-le, seront amenés à revenir en juridiction. Ils sont donc particulièrement attentifs à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à l'indépendance de la justice. Soyez assurés que s'il me prenait l'envie soudaine de déraper, ils me rappelleraient âprement à mes devoirs élémentaires !
Quant au jury professionnel, sa composition sera calquée sur celle du jury d'admission initial.
Pour ce qui est de l'impartialité, je ne doute pas que vous ayez entendu la réponse que j'ai apportée au sénateur Philippe Bonnecarrère, mais je la répète bien volontiers : j'ai saisi le CSM, dont j'attends la réponse. On ne peut rêver meilleure garantie !
Le devoir de réserve des magistrats qui s'expriment à titre individuel est réaffirmé dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats. Vous avez dit, ce dont je vous laisse amicalement la responsabilité, qu'il était presque normal que l'expression syndicale ne soit pas totalement impartiale. Ce n'est sans doute pas faux. Les syndicats, pour jouer leur rôle d'aiguillon, doivent parfois être excessifs. Loin de moi l'intention de les museler. D'ailleurs, pour tout vous avouer, j'ai pris l'habitude de faire le dos rond lorsque j'entends des propos exagérés. Je laisse passer. Chacun a son espace pour s'exprimer. Je n'entends pas, à mon âge, devenir liberticide.
Les attachés de justice et les greffiers sont des spécialistes de la procédure, de l'accueil du justiciable. Ils authentifient les décisions de justice, aident à la prise de décision en recherchant la jurisprudence, rédigent les projets de jugement. Chacun a un rôle bien distinct, mais tous ont vocation à appartenir à l'équipe qui entoure le magistrat.
Mme Caroline Abadie, vous avez raison, tous les projets immobiliers judiciaires ne sont pas cités dans le rapport annexé. Vous m'avez interrogé au sujet de la doctrine d'emploi des contractuels de la direction de l'administration pénitentiaire. Nous avons pris les mesures catégorielles de revalorisation que les syndicats de la pénitentiaire réclamaient depuis vingt ans. Les missions des surveillants adjoints recrutés par voie contractuelle seront circonscrites à certaines tâches, limitativement énumérées, de premier niveau, qui exigent un moindre niveau de responsabilité ou de qualification. Elles sont en cours de définition, mais devraient consister à surveiller des travaux, réaliser des opérations de fouille, assurer la surveillance vidéo, en complémentarité du travail des surveillants titulaires. Seuls les postes restés vacants à l'issue des mutations des surveillants titulaires et des affectations des surveillants qui sortent de l'école, auraient vocation à être pourvus par les contractuels. Je souhaite que l'on fasse bien la distinction pour lever toute ambiguïté. Quant à l'outil de signature électronique, les promesses seront tenues.
Monsieur Philippe Schreck, je ne m'attendais pas à recevoir de votre part beaucoup de compliments. Pourtant, le budget de la justice a augmenté chaque année, y compris en 2023. Cela ne s'était jamais vu. Les chiffres sont là, vous ne pouvez pas les nier. Ce rythme soutenu se poursuivra jusqu'au milieu du quinquennat, car je veux concrétiser très rapidement les conclusions des États généraux de la justice, en particulier les recrutements dans les juridictions. À compter de 2026, le ministère de la justice aura atteint sa vitesse de croisière budgétaire, et de nombreux chantiers immobiliers auront pris fin en 2025. Le budget annuel de la justice se stabilisera à hauteur de 11 milliards d'euros, ce qui représente une augmentation de 40 % durant le premier quinquennat et de 60 % d'ici à la fin de ce quinquennat. Nous aurons embauché en cinq ans davantage qu'en vingt ans. La justice a souffert, durant près de trente ans, d'un abandon politique humain et budgétaire. Je n'ai pas de baguette magique et nous avançons petit à petit. Ce que nous avons fait, personne ne l'avait fait avant nous mais, bien évidemment, je ne doute pas une seconde que vous ferez mieux… Vous pouvez le dire autant que vous voudrez, vous en avez le droit. Alors que vous n'avez pas voté le budget de la justice, la critique est facile. Vous n'étiez pas là, lorsque j'ai demandé à tous de dépasser les querelles partisanes pour m'aider et soutenir le budget que je vous proposais. Mais c'est votre choix, et je le respecte.
Monsieur Éric Pauget, les drames qui se sont récemment produits nous ont tous bouleversés. Les décès causés par des conducteurs sous l'emprise de drogue ou d'alcool relèvent de la qualification d'homicide involontaire. La question de la requalification de ces faits s'est posée, car elle peut choquer les victimes ou leurs familles. Vous connaissez la différence entre l'homicide volontaire et l'homicide involontaire. Dans le premier cas, l'intention de donner la mort est avérée. Nous y réfléchissons et je vous invite à venir me rencontrer à la Chancellerie pour que nous en discutions. Le travail est interministériel, puisque le ministère de l'intérieur est également concerné. Des régimes d'indemnisation sont déjà prévus. Nous avons la volonté d'aller plus loin. La question de la responsabilité endogène ou exogène de l'auteur des faits, c'est-à-dire inhérente à l'état pathologique ou générée par la prise de drogue ou d'alcool, s'était déjà posée plus ou moins dans les mêmes termes après l'affaire Sarah Halimi.
Madame Brocard, nous souhaitons simplifier la procédure pénale à droit constant. Je vous ai donné quelques exemples, comme celui de traiter le cas des victimes dans un même chapitre du code de procédure pénale. Il faut clarifier le code, ne serait-ce que pour éviter des nullités de procédure générées par la difficulté à bien comprendre certains textes. Un comité scientifique sera chargé de ce travail. Le titre peut sembler pompeux, mais ne vous en inquiétez pas, il s'agit simplement de réunir toutes les conditions pour s'acquitter au mieux de cette tâche colossale dans les dix-huit ou vingt-quatre prochains mois. Le Parlement aura un droit de regard. Même si l'idée est de clarifier à droit constant, rien n'empêchera les parlementaires de formuler des propositions. Il est bien évident que l'habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement pour simplifier le code de procédure pénale par voie d'ordonnance s'inscrit dans une procédure contrôlée de près par le Parlement. Le Sénat a d'ailleurs renforcé encore davantage les garanties, pour s'assurer que le Gouvernement revienne devant les parlementaires.
Madame Untermaier, je vous trouve bien pessimiste. Les juridictions administratives ont réussi à éradiquer le papier. Il n'y a donc pas de raison que les juridictions judiciaires n'y parviennent pas. La wifi, la visio, le programme PPN (procédure pénale numérique) sont des outils essentiels. Le système d'informations d'aide juridictionnelle, qui permet de déposer sa demande en ligne, a fait tomber les délais de traitement de quarante-cinq à huit jours dans toutes les juridictions qui disposent de cet outil, en 2022. Des techniciens en informatique ont été recrutés dans les juridictions pour intervenir au plus vite en cas de panne. Le portail Justice.fr délivre des informations, des formulaires, propose des outils utiles aux particuliers et aux professionnels. Je conçois que nous n'ayons pas toujours été les meilleurs élèves en ce domaine, mais nous avons beaucoup progressé.
Vous avez dit que je retirais du contentieux au juge des libertés et de la détention (JLD). Ce n'est pas vrai. J'ai simplement proposé qu'au cas où le (JLD) serait saturé de travail, ce qui est souvent le cas, il puisse, avec son chef de juridiction, envisager de confier une partie de son contentieux à un autre magistrat qui, tout comme le JLD, est garant de la liberté individuelle, ainsi que le prévoit la Constitution. D'ailleurs, dans les petites juridictions, lorsque le JLD s'accorde du repos le week-end, qui traite son contentieux, si ce n'est un autre magistrat, qui n'est pas JLD ? C'est une pratique courante. Permettez-moi d'ouvrir une petite parenthèse. J'ai dit, tout à l'heure, qu'il faudrait déconcentrer davantage. Sachez que toutes les demandes des juridictions, même d'une armoire métallique, remontent chez nous ! Or l'administration centrale a autre chose à faire que de s'occuper d'une armoire métallique ! Et tout le temps passé, à Paris, à traiter la demande, génère de la frustration chez les magistrats de province, qui ne comprennent pas pourquoi on met tant de temps à leur fournir une nouvelle armoire ! Le problème est le même pour la gestion des ressources humaines. Tout remonte à l'administration centrale. Et les fonctionnaires qui y travaillent auront encore plus de travail demain puisqu'ils devront installer 1 500 magistrats, 1 500 greffiers, sans parler des contractuels qui seront cédéisés. Ce n'est pas rien ! En faisant confiance aux acteurs du terrain pour traiter ces dossiers, on décharge l'administration centrale.
Concernant le quota, je suis d'accord. Ce n'est pas parce qu'il manque des places en prison qu'on n'incarcère pas. C'est souvent ce qu'affirment les députés du Rassemblement national, mais c'est faux. Imaginez qu'il y ait moins de détenus dans le ressort d'un tribunal : les magistrats se montreraient-ils, par conséquent, plus sévères ? Les critères d'une condamnation ont été fixés depuis des temps immémoriaux et n'ont rien à voir avec la place qu'il pourrait y avoir ou non en prison. En revanche, je crois en la justice restaurative et nous devrions nous inspirer des exemples étrangers.
Madame Moutchou, nous manquons de médecins, ce qui explique qu'il soit recouru à la visio. Concernant les techniques spéciales d'enquête, je rappelle d'abord qu'elles figurent déjà dans notre législation. Par ailleurs, il ne faut pas confondre la géolocalisation et la captation – son et image.
La géolocalisation, c'est l'ancienne balise. Aujourd'hui, tous les voyous savent ce qu'est une balise. Souvent, ils se mettent à genoux pour retirer la balise et l'installer sur une autre voiture. Ils ont même désormais les moyens technologiques de brouiller la balise : ce n'est même plus la peine de se baisser pour l'enlever ! J'ajoute que la géolocalisation est encadrée et se fait sur autorisation d'un juge : ces garanties me paraissent importantes. Enfin, si le policier ou le gendarme se fait prendre en train de placer une balise, il y a quelques risques pour son intégrité physique ; cela me paraît devoir être pris en compte.
Concernant la captation, l'officier de police judiciaire doit aller placer une caméra dans l'appartement – là aussi, s'il se fait prendre, il court des risques. Les garanties qui entourent la captation de sons et d'images sont importantes. Tout d'abord, cette technique est employée dans des affaires de terrorisme et de grand banditisme. Dans certaines surveillances administratives, elle est utilisée sans aucune autorisation judiciaire. Si un suspect rencontre un journaliste, un avocat ou un médecin, il est interdit de retranscrire leur conversation, tout comme cela n'est pas possible lors d'une écoute téléphonique classique. Nous prendrons d'ailleurs un certain nombre de précautions supplémentaires s'agissant des journalistes, qui sont très soucieux de la protection du secret des sources. Je pense que ce système est efficace et équilibré.
Monsieur Iordanoff, l'indépendance du parquet relève du domaine constitutionnel : il n'est donc pas question d'évoquer ce sujet dans le cadre d'une loi de programmation ou d'une loi organique. Pour ma part, j'ai la certitude que le parquet de notre pays est indépendant. Il ne m'est pas possible de donner quelque directive individuelle que ce soit, et j'ai toujours respecté cette règle. Je peux prendre des circulaires de politique générale, que j'adresse aux procureurs généraux – voilà tout. Cela fait bientôt trois ans que je suis ministre de la justice, et je n'ai jamais décroché mon téléphone pour demander quoi que ce soit à un procureur – d'ailleurs, je vous garantis que, s'il m'en prenait l'envie, je ne serais plus ministre dans les dix minutes qui suivent. En refusant d'y croire, vous ne rendez pas hommage aux magistrats du parquet que vous souhaitez pourtant défendre : c'est paradoxal. Vous n'en trouverez pas un seul à qui j'ai passé un coup de fil. En revanche, vous trouverez des procureurs généraux qui ont lu les circulaires que je leur ai adressées. Voilà la réalité.
Les syndicats s'expriment comme ils l'entendent. J'ai néanmoins posé quelques questions au CSM et j'attends sa réponse avec intérêt, car c'est pour moi une boussole extrêmement importante.
Vous m'interrogez sur la justice environnementale et sur les suites qui ont été données au rapport du groupe de travail présidé par le procureur général François Molins. C'est un sujet sur lequel je me suis penché dès mon arrivée à la chancellerie. Le premier texte que j'ai défendu à l'Assemblée nationale est devenu la loi du 24 décembre 2020, qui portait sur la justice environnementale et créait les pôles régionaux de l'environnement au sein de chaque cour d'appel. Les pôles fonctionnent, comme je l'ai vérifié en me déplaçant à Bayonne, il y a quelques semaines. Ils permettent à des magistrats spécialisés de pleinement appréhender les spécificités et, surtout, la technicité du droit de l'environnement.
La LOPJ vise à doter la France d'une justice plus rapide, plus moderne, plus efficace. Le ministère de la justice doit être pleinement partie prenante du combat pour la protection de l'environnement. À cette fin, plusieurs infractions ont été créées ; des postes de magistrats spécialisés ont été ouverts dans les juridictions accueillant les pôles régionaux de l'environnement (PRE), et les 1 500 recrutements de magistrats prévus dans le cadre de la loi de programmation permettront de les renforcer. Nous avons aussi progressivement doté les pôles en juristes assistants et en assistants spécialisés en matière environnementale. Dix nouveaux postes d'assistants spécialisés seront ainsi créés en 2023, en accord avec le ministère de la transition écologique. Un décret et une instruction interministérielle seront bientôt publiés concernant le fonctionnement des Colden – comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale. Enfin, j'attache une attention toute particulière à l'animation du réseau des référents environnement dans les juridictions ainsi qu'à la formation, l'ENM développant une série de formations spécialisées en matière d'environnement.
Madame Faucillon, j'entends parfois que plus on construit de prisons, plus on les remplit. À supposer que vous ayez raison, voulez-vous me dire comment je peux faire pour améliorer tout à la fois les conditions de détention et les conditions de travail du personnel pénitentiaire ?
Les États généraux de la justice ont proposé un seuil de criticité. Certains prétendent que c'est l'alpha et l'oméga pour permettre une décélération de la surpopulation carcérale : c'est faux. Le seuil de criticité est, en réalité, une réunion de tous les acteurs au niveau régional ou interrégional, dans une cour d'appel. Lorsque le nombre de détenus est extrêmement important, au point que certains dorment sur des matelas par terre, on réunit le premier président, le procureur général, le représentant de l'administration pénitentiaire et quelques autres… puis on décide d'incarcérer ailleurs – on n'a donc pas réglé le problème ! C'est cela, le seuil de criticité.
La solution réside pour partie dans la justice restaurative, dans une meilleure utilisation du travail d'intérêt général (TIG), dont nous venons de fêter les quarante ans. J'ai augmenté le nombre de postes de TIG mais figurez-vous que c'est de moins en moins utilisé ! Cela pose un vrai problème. Si vous lisez attentivement le texte, vous verrez que nous incitons à l'utiliser davantage, tout comme l'assignation à résidence sous surveillance électronique (Arse). Ces outils sont mal utilisés et dans toutes les circulaires de politique pénale, j'ai demandé que l'on requière davantage la peine de TIG, qui a du sens et qui fonctionne.
Le TIG n'est pas suffisamment plaidé, alors que les avocats ont à leur disposition une plateforme qui est un petit bijou. J'ai connu l'époque où l'on plaidait le TIG sans savoir s'il y en avait un de disponible – et il en allait de même pour le juge qui prononçait cette peine. Désormais, la plateforme permet de connaître cette information ; de plus, il est possible à un condamné ayant déjà un emploi d'accomplir sa peine le week-end, pour éviter sa désocialisation. La plateforme prend en considération les questions de mobilité, afin qu'une personne sans moyen de locomotion et sans accès aux transports en commun ne soit condamnée à effectuer un TIG à vingt-cinq kilomètres de chez elle. Pourtant, en dépit de cet outil, on a du mal à prononcer davantage de TIG. Mais, comme je suis un garde des sceaux respectueux de l'indépendance de la justice, je ne peux qu'inciter, démontrer et présenter un travail transpartisan pour faire entendre ce que nous souhaitons sur cette question.
Pour le reste, la construction de places reste un des leviers pour régler le problème de la surpopulation. De même, la libération sous contrainte, que j'ai fait voter, a permis un certain nombre de libérations sous le contrôle d'un juge. Cela évite les sorties sèches, dont on sait qu'elles sont génératrices de récidives et donc de détenus.
Monsieur Bernalicis, le budget de la justice aura augmenté de 60 % sur les deux quinquennats, contre 43 % pour celui de l'intérieur : ce que vous avez dit n'est donc pas tout à fait exact. C'est du reste bien normal car on ne comprendrait pas que l'on donne les moyens aux uns sans donner les moyens aux autres. Nous reviendrons sur les autres sujets qui vous préoccupent, comme la régulation carcérale, mais je voudrais que vous soyez assuré de ma volonté d'aller de l'avant sur ces questions, en dépit des difficultés qui se posent à nous.
Je trouve insupportable que l'on puisse exploiter le pseudo-laxisme de la justice. Vous transformez le ministère de la justice en ministère du fait divers : ne vous étonnez pas ensuite des conséquences que cela aura. En répétant que la justice est laxiste, on trompe les gens. En matière correctionnelle et en matière criminelle, les peines n'ont cessé d'augmenter et la surpopulation carcérale est une des preuves que la justice n'est pas laxiste. Cela mérite d'être dit parce que l'on s'autorise en permanence des commentaires sur des décisions qui ont été rendues, notamment par la souveraineté populaire, et je dois vous dire que cela me chagrine toujours un peu.