Je rejoins les collègues qui ont demandé à disposer de la ventilation des 11 milliards : nous devons la connaître d'ici à l'examen du texte. C'est d'autant plus indispensable que celui-ci est un patchwork ; il rassemble des éléments qui devaient vous tenir à cœur, monsieur le ministre, mais qui ne répondent pas aux demandes du personnel de justice et des États généraux de la justice. Tous les acteurs appelaient à une réforme globale modifiant structurellement la justice.
Certes, les milliards supplémentaires sont les bienvenus, mais nous ne savons pas exactement où ils iront, ni si le « plan 15 000 » n'en absorbera pas une part trop grande. Surtout, on a l'impression qu'il s'agit d'ancrer dans la loi la gestion de la pénurie qui est pratiquée aujourd'hui, alors qu'il ne faut en aucun cas s'y résoudre. C'est comme si le texte défendait une équation consistant à limiter le nombre d'affaires tout en les jugeant vite, alors que ce qui fait la force de l'État de droit, c'est la capacité à bien juger.
Outre les manques du texte, parmi lesquels il convient de citer la régulation carcérale, celui-ci franchit ce qui constitue pour nous des lignes rouges, en opérant un recul des libertés publiques dans la procédure pénale et une limitation de l'intervention du juge judiciaire. Le principe de l'inviolabilité du domicile est mis à mal par l'extension des perquisitions de nuit. La réécriture du code de procédure pénale devrait, quant à elle, passer par une loi. L'expérimentation du tribunal aux affaires économiques entérine le transfert de compétences du juge judiciaire vers les juges consulaires. Le JLD est dépossédé du contentieux civil. Je souhaiterais également connaître votre avis sur la disposition, introduite par les sénateurs, limitant la liberté syndicale des magistrats – j'espère que le texte sortira de notre assemblée allégé de cette disposition.
Le manque principal, à mon sens, tient au fait que vous ne vous attaquez pas à la surpopulation carcérale. Or, celle-ci nuit beaucoup à l'accomplissement de la mission que la prison doit avoir dans notre société. Les conditions de vie des détenus sont indignes, et le personnel pénitentiaire n'est pas non plus en mesure de bien faire son travail. Pour avoir rencontré ces agents, je sais qu'ils en souffrent beaucoup.
À la différence de Mme Abadie, je ne crois pas que le « plan 15 000 » permette de résoudre le problème. Je suis convaincue que, quand on construit des prisons, on les remplit toujours un peu plus qu'on ne le devrait. Du reste, je ne suis pas sûre que les 15 000 places auront été créées en 2027. Les plans de ce type finissent toujours au-dessous de leur cible : il y en aura peut-être 13 000 à l'arrivée – peut-être même le programme ne sera-t-il pas du tout fini en 2027 ? Quoi qu'il en soit, il faut se doter d'un mécanisme contraignant. Cette idée a fait consensus durant les États généraux de la justice comme lors des auditions que nous avons menées, et de nombreux collègues ont travaillé sur le sujet. Le temps est venu : nous devons aborder la question lors de l'examen du texte.