Nous consacrons beaucoup de temps, dans les lois de programmation, à voter des dispositifs en définitive peu contraignants, qui seront ou ne seront pas appliqués et tournent parfois à l'exercice d'autosatisfaction et à la proclamation de bilans pas encore réalisés. De surcroît, à l'instar du Haut Conseil des finances publiques dans ses avis, on peut s'interroger sur la cohérence budgétaire de tels dispositifs en l'absence d'une loi de programmation des finances publiques – mais cela permet peut-être aux ministres concernés de donner libre cours à leur optimisme en s'affranchissant des exigences d'une loi proposant un cadrage global des finances.
Cela étant posé, le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour la période 2003-2027 se caractérise, à nos yeux, par les tendances suivantes. D'abord, le texte traduit la fin d'une période marquée par une hausse significative des budgets de la justice. Ensuite, le projet de loi est très hétérogène, voire fourre-tout ; certaines mesures vont dans le bon sens, mais aboutissent aussi à complexifier les procédures, contrairement au but poursuivi. Enfin, il contient des mesures inutiles, voire dangereuses, pour certaines, si elles venaient à être généralisées.
Il est parfaitement exact que la période précédente a été caractérisée par une hausse significative des budgets, et il convient de s'en féliciter. Cependant, nul n'ignore que nous partions de loin : la justice se signalait par son dénuement et les recrutements étaient notoirement insuffisants. Malheureusement, la période 2023-2027 plongera de nouveau la justice dans une relative stagnation, ce qui n'est pas à la hauteur des enjeux. Sur cinq ans, le budget de la justice progressera de 1,16 milliard d'euros, soit 230 millions par an. Durant les années 2025 à 2027, la progression sera atone : le budget n'augmentera quasiment plus. Ainsi, sur les cinq années visées par le projet de loi, trois seront marquées par une stagnation des moyens. En outre, ces 1,16 milliard d'euros supplémentaires doivent être observés à travers le prisme de l'inflation, laquelle est extrêmement forte en 2023 et sera toujours présente pendant le reste de la période. On peut donc craindre qu'elle ne consomme mécaniquement la hausse des crédits, tant il est vrai que le budget de la justice est sensible à l'inflation, notamment celle des prix de la construction immobilière.
Au surplus, le texte est fourre-tout : un peu de pouvoir pour les enquêteurs – ce qui est une bonne chose –, une légère augmentation de la force de frappe pour les enquêtes, une déjudiciarisation alambiquée des saisies sur salaire, le renforcement de certaines garanties procédurales, mais aussi l'alourdissement de certaines procédures.
Le plan de construction de 15 000 places de prison, s'il est toujours autant vendu, ne sera pas réalisé dans les délais et, du reste, sera insuffisant. Si vous voulez créer des places de prison, il semble que vous ne soyez pas animé par un fort désir de les voir occupées.
En matière de justice économique, il est difficile de comprendre quel est le cap fixé par l'expérimentation et à quelles difficultés celle-ci est censée répondre.
Enfin, en marge de l'expérimentation du tribunal des affaires économiques, vous instituez une justice à péage, ce qui constitue pour notre groupe une ligne rouge : on ne saurait régler les problèmes de la justice en levant un impôt sur les justiciables, notamment les artisans, les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), déjà martyrisés par le cumul des prélèvements obligatoires ainsi que par le coût de l'énergie et l'inflation.
En résumé, vous n'avez pas beaucoup de raisons de pavoiser. La position de notre groupe dépendra, entre autres, des évolutions que connaîtra le texte et de l'état d'esprit qui présidera à son examen : il importe de ne pas tromper les Français. Ces derniers ne sont pas dupes quant à l'état de notre justice, qui demeure précaire.