Intervention de Didier Paris

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Paris, rapporteur du projet de loi organique :

Le projet de loi organique sera traité en dernier dans le cadre de nos débats en commission et en séance, mais il pourrait mériter de l'être en premier, car c'est le socle fondamental grâce auquel notre justice restera de qualité.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté un plan issu des États généraux de la justice, ainsi qu'un plan d'action, sur tous les fronts, qui est tout récent, puisqu'il date du mois de janvier de cette année. C'est inédit : on n'avait jamais vu l'ensemble des questions de justice ainsi réunies, dans l'objectif de faire évoluer les pratiques de la justice et autour de la justice. Il faut saluer votre conviction et les efforts menés par vous et vos équipes. Nous souhaitons accompagner ces efforts dans la partie législative qui est directement la nôtre.

La loi organique s'intègre dans ce processus. Celui-ci, je l'ai dit, serait sinon incomplet, et nous ne parviendrions pas à atteindre l'objectif que vous avez fixé. C'est une évidence même si, pour beaucoup de magistrats, comme le montrent les quelques auditions que nous avons menées et les contacts que j'ai eus, c'est une sorte de petite révolution, pas tout à fait copernicienne, mais presque. Il faudra s'adapter à la restructuration du corps et à l'accueil de magistrats certes déjà présents, mais pas en aussi grand nombre, ni d'une manière aussi mécanique et poussée.

C'est une opportunité historique. Politiquement, elle concerne un petit nombre d'acteurs, mais il y aura des répercussions majeures sur l'ensemble du système. Comme vous l'avez dit, la qualité de la justice et sa célérité en dépendent.

Il est essentiel que le corps judiciaire comprenne vos objectifs et qu'il y adhère pleinement, sans quoi pourrait se produire une déstabilisation inutile et tout à fait négative dans le contexte actuel. Les magistrats doivent s'engager dans le mouvement politique, législatif, réglementaire et technique que vous avez lancé.

Je n'entrerai pas dans les détails : tous ceux qui ont lu le texte ont parfaitement conscience qu'il est un peu ardu, un peu technique. Cela ne signifie pas qu'il ne traduit pas des options politiques, bien au contraire, mais qu'il faut prendre le temps de le maîtriser. Je ne doute pas une seule seconde que beaucoup, sur tous les bancs, le feront et que le débat sera particulièrement riche.

Il est essentiel de rassurer le corps judiciaire sur un point précis, qui est une sorte de pierre angulaire des valeurs communes au sein de la justice : l'indépendance des magistrats. Plusieurs dispositions de la loi organique, même après les modifications assez sensibles qui ont d'ores et déjà été apportées par le Sénat, peuvent poser des questions à cet égard. J'en donnerai quelques exemples.

L'évaluation à 360 degrés, c'est-à-dire le fait qu'un magistrat ne sera pas évalué uniquement dans un secteur précis de son activité, mais d'une façon beaucoup plus large, est une merveilleuse idée, mais c'est un élément qui pourrait inquiéter le corps judiciaire. Dans ces 360 degrés, un certain nombre de personnes ne dépendent pas directement de la sphère judiciaire. Il faut rassurer les magistrats, ou en tout cas leur expliquer votre volonté, en matière technique et politique.

Je trouve aussi qu'il est excellent d'intégrer de nouveaux magistrats dans le cadre d'un concours professionnel. Ce seront des gens qui auront de l'expérience et une compétence, et dont l'apport au corps judiciaire sera, d'une certaine façon, tout à fait essentiel. Dans beaucoup de pays, le corps judiciaire n'est pas constitué uniquement de gens qui sortent d'une certaine école – je le dis même si l'École nationale de la magistrature (ENM) est reconnue internationalement comme un exemple à suivre. Il existe des gens, des avocats notamment, qui par leur compétence et leur expérience méritent largement de trouver leur place dans le corps judiciaire. C'est donc une disposition fondamentale qui nous est proposée.

Là aussi, comme pour le collège d'évaluation, il faudra rassurer le corps judiciaire sur la composition du jury : il doit être majoritairement composé de magistrats, sans exclure des personnes qualifiées. Nous avons suivi jusque-là un schéma dans lequel les magistrats recrutaient et évaluaient les magistrats. C'est peut-être excessif : sans doute faut-il modifier les équilibres, mais peut-être pas intégralement en rendant les magistrats minoritaires. C'est une question qui se pose pour bon nombre d'entre eux.

La réforme de la commission d'admission des requêtes, issue du CSM, est également importante. C'est le biais par lequel tout citoyen peut s'adresser à la justice pour obtenir des explications, des comptes rendus et éventuellement la réparation d'erreurs de toute nature, mais pas juridictionnelles, qui auraient été commises à son égard. L'interface, le lien un peu distendu, dans les nouveaux textes, entre le garde des sceaux, le ministère et le CSM interroge. Sans doute faudra-t-il revenir sur cette question de fond, sous l'angle spécifique de l'indépendance du corps judiciaire, les magistrats souhaitant que la magistrature reste la magistrature.

Le Sénat a fait un bon travail, et nous nous appuierons sur lui, mais l'un de ses ajouts me paraît assez sidérant. Un magistrat doit être impartial, il n'y a aucun doute sur ce point, mais nos collègues sénateurs ont considéré que l'exercice de fonctions syndicales par un magistrat devait l'être aussi. Les bras m'en tombent : je ne vois pas vraiment à quoi sert un syndicat s'il doit être limité dans son action par le principe d'impartialité.

Les députés que nous sommes auront à apprécier les différents aspects du projet de loi organique, qui tend à réformer assez sensiblement l'ordonnance statutaire à laquelle les magistrats sont très attachés. Il serait souhaitable que vous nous apportiez des éléments, sinon de réassurance, du moins d'explication pour permettre d'écarter ou de limiter largement certains doutes.

Ces derniers ne concernent pas seulement les magistrats, mais aussi les équipes constituées autour des juges, des personnels qui se sentent un peu considérés comme faisant partie d'une seconde catégorie, comme les greffiers. Je crois qu'il faudra réaffirmer un certain nombre de points, notamment la séparation entre l'aide procédurale et l'aide à la décision. La présence des attachés de justice pourrait, en effet, susciter des craintes.

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