Rapporteur du titre III de la loi ordinaire, je centrerai mon propos sur l'une de ses innovations majeures, le tribunal des activités économiques (TAE), mais je tiens d'abord à saluer l'effort considérable et sans précédent qui est prévu pour le service public de la justice. Nous connaissons aussi, monsieur le garde des sceaux, votre engagement en faveur de l'ouverture de la magistrature. À n'en pas douter, ce texte sera l'une des grandes lois du quinquennat et elle vous doit beaucoup.
Je remercie également mes collègues rapporteurs, en particulier le rapporteur général, pour le travail conduit ensemble dans un calendrier contraint. Nous avons auditionné la quasi-totalité des acteurs significatifs et nous avons suivi, jour après jour, presque en direct, les évolutions du texte au Sénat afin d'être prêts aujourd'hui.
Les dispositions dont je suis le rapporteur sont consacrées à la justice commerciale et sociale. C'est pour moi l'occasion de saluer les juges consulaires et les juges prud'homaux, ainsi que de rendre hommage à l'œuvre de justice qu'ils réalisent quotidiennement au plus près des justiciables.
Le projet de loi ordinaire comporte des dispositions bienvenues pour renforcer la responsabilité des juges non professionnels, améliorer les exigences déontologiques, assouplir les conditions de candidature aux fonctions de conseiller prud'homal et améliorer la formation des juges consulaires. Tout cela va dans le bon sens. Le Sénat a, par ailleurs, souhaité introduire une obligation de déclaration d'intérêts pour les conseillers prud'homaux, similaire à celle en vigueur pour les juges consulaires.
Je partage la volonté des sénateurs d'améliorer les exigences déontologiques, mais il faudra que le décret en Conseil d'État auquel la loi fait référence prévoie un dispositif adapté au caractère paritaire de ces juridictions, afin que la mesure n'ait pas qu'un aspect symbolique, mais qu'elle soit au contraire opérationnelle et acceptée. De plus, il faudra veiller à ce que les personnes chargées de mener les entretiens déontologiques y soient correctement formées.
J'en viens au TAE. L'expérimentation prévue en la matière est l'une des traductions des préconisations formulées dans le cadre des États généraux de la justice. Je le dis d'emblée et sans ambiguïté : je pense que l'équilibre initial du texte, dans sa version adoptée en conseil des ministres, était le bon, notamment en ce qui concerne la délicate question de l'introduction de magistrats professionnels.
Certains y ont vu un compromis : le magistrat professionnel de carrière était introduit au sein de la formation de jugement, mais il ne pouvait pas exercer les fonctions de président. L'inconvénient d'un compromis est que, parfois, il peut décevoir les deux parties. J'ai le sentiment, hélas, que c'est ce qui s'est passé.
Les syndicats de magistrats se sont, en effet, émus du rôle d'assesseur qui leur était réservé. D'après eux, cela serait unique en Europe. L'échevinage impliquerait automatiquement un rôle de président ou un rôle départiteur, comme aux prud'hommes, et les magistrats auraient donc souhaité pouvoir présider les formations de jugement du TAE. À l'inverse, les représentants des tribunaux de commerce et des juges consulaires considèrent que la justice commerciale fonctionne très bien et qu'ils n'ont pas besoin de magistrats de carrière.
Pourtant, je le répète, je suis convaincu que l'équilibre initial était le bon. L'extension de compétence à tous les acteurs économiques doit avoir pour contrepartie un échevinage. Je regrette que le Sénat ait séparé ces deux questions qui, pour moi, sont intrinsèquement liées.
J'observe avec intérêt que c'est exactement la position qu'ont exprimée devant nous, lors des auditions, le premier président de la Cour de cassation et son procureur général. Pour eux, et j'approuve ce point de vue, la magistrature judiciaire ne doit pas faire du TAE un enjeu de pouvoir. L'objectif est de renforcer la culture économique des magistrats en début de carrière et de permettre une montée en compétence. Un rôle d'assesseur ne doit donc pas être pris comme une marque de subordination à l'égard des juges consulaires. Je rappelle, à cet égard, que ce sont des magistrats de carrière qui statuent, seuls, en appel et qui peuvent réformer les décisions des tribunaux de commerce.
Monsieur le garde des sceaux, le texte qui est issu du Sénat ne vous paraît-il pas déséquilibré en ce qu'il supprime la présence de magistrats professionnels tout en étendant le périmètre de compétence du TAE ? Ne faudrait-il pas faire le choix de la cohérence ?
J'ai, pour ma part, quelques réserves sur l'élargissement de la compétence du TAE aux associations qui n'ont pas d'activité économique et à celles qui ne relèvent pas du régime de la loi de 1901 : j'aurais tendance à penser que le tribunal judiciaire doit demeurer compétent à leur égard.
Pour le reste, je soutiens sans réserve cette expérimentation. Il faut, comme on le dit trivialement, « laisser sa chance au produit » et le précédent des cours criminelles nous y incite.
Je soutiens aussi l'institution d'une contribution pour la justice économique. Je m'interroge toutefois sur l'exonération des personnes morales de droit public, que je trouve trop large, et sur le barème de cette contribution, dont les modalités devront être précisées pour maintenir le principe d'un accès facile à la justice et celui d'une légitime contribution à son financement.