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Intervention de Gabriel Attal

Réunion du mardi 13 juin 2023 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics :

Je suis très heureux de m'exprimer pour la première fois devant votre commission, au sujet d'un texte important, que je qualifierai même d'historique puisqu'il s'agit du premier projet de loi consacré à la douane depuis 1965. Ce texte est essentiel pour l'action de nos douaniers : je remercie tous les intervenants qui ont insisté sur ce point, notamment Mme Agresti-Roubache, M. Latombe et M. Lemaire.

Sur 17 000 douaniers, 8 000 agents sont affectés à la surveillance. Ils obtiennent des résultats exceptionnels, puisque plus de 70 % des stupéfiants saisis dans notre pays le sont par les douaniers – vous conviendrez que leur efficacité est absolument remarquable. L'an dernier, plus de 11 millions d'articles de contrefaçon ont été retirés du marché, tandis que 105 tonnes de stupéfiants et 650 tonnes de tabac ont été saisies – un chiffre à comparer aux 200 tonnes de tabac saisies en 2017.

Cette augmentation très forte et très préoccupante révèle non seulement la plus grande efficacité de nos services de douane, mais également un accroissement des trafics. On a vu l'an dernier, pour la première fois dans notre histoire, des usines clandestines de cigarettes de contrefaçon en activité sur le sol français. Dans les hangars de chacune de ces usines étaient produites 1 à 2 millions de cigarettes par jour : cela montre l'étendue de la menace à laquelle nous faisons face et la nécessité que nos douaniers puissent agir.

Nous pouvons nous retrouver autour de ce texte fondamental, qui permettra tout simplement aux douaniers de poursuivre leurs missions. Le fait est que le Conseil constitutionnel, dont je sais qu'il est particulièrement respecté dans votre commission, a décidé de nous donner un an pour réécrire l'article 60 du code des douanes. Que cela soit très clair : sans texte, à partir du 1er septembre prochain, les douaniers ne pourront plus ouvrir un seul coffre de voiture ni exercer leur droit de visite. De même, en votant un texte déséquilibré qui comporterait le risque d'une nouvelle censure, nous fragiliserions l'accès des douaniers à cette prérogative essentielle qui leur permet d'agir. Aussi l'administration des douanes a-t-elle travaillé pendant des mois avec le Conseil d'État, en associant les organisations syndicales et des douaniers de terrain, pour aboutir au projet de loi le plus équilibré possible. Il respecte évidemment les libertés individuelles et comporte les garanties demandées par le Conseil constitutionnel, tout en veillant à ne pas mettre de bâtons dans les roues des douaniers.

Monsieur Sabatou, votre intervention laisse à penser que chaque douanier souhaitant exercer son droit de visite devrait désormais prouver qu'il a des raisons plausibles de suspecter une infraction. Ce n'est pas du tout ce que prévoit le nouvel article 60, qui apporte trois changements à la législation existante.

Tout d'abord il codifie une jurisprudence qui, dégagée depuis plusieurs années par la Cour de cassation, notamment sur le caractère contradictoire du contrôle, est donc déjà respectée par nos douaniers.

Les principes d'intervention de la douane dans le rayon de nos frontières ne sont pas modifiés. Ce n'est que dans la profondeur du territoire, un endroit où agit également la douane française – il s'agit là d'une spécificité par rapport à beaucoup d'autres pays –, que les interventions devront être soit justifiées par des raisons plausibles de suspecter une infraction douanière, soit menées après en avoir informé le procureur de la République. Je parle bien d'une information du procureur, non d'une autorisation qui aurait entraîné un changement de logique et une rupture d'efficacité de l'action de nos douaniers. Sur les routes secondaires, des contrôles continueront évidemment d'être menés dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui ; ils seront simplement précédés d'une information du procureur de la République, par tout moyen. Nous avons tout fait pour que l'effectivité des prérogatives de nos douaniers soit la moins affectée. Cependant, un encadrement a été demandé par le Conseil constitutionnel : nous devons nous y plier.

S'agissant enfin de l'établissement d'un procès-verbal, nous transposons dans le code des douanes un dispositif existant aujourd'hui dans le code de procédure pénale. Un procès-verbal ne sera pas distribué à chaque opération de contrôle, comme vous semblez le craindre. C'est à la demande de la personne ayant fait l'objet d'un contrôle, si ce dernier s'avère négatif, qu'un tel document pourra lui être remis. Il en est de même lorsqu'un contrôle est effectué en l'absence de la personne concernée. Vous redoutez que ce procès-verbal donne aux trafiquants ou aux réseaux des informations relatives aux motivations du contrôle. Tel ne sera pas le cas : il ne visera qu'à laisser une trace.

Monsieur Léaument, les douaniers utilisent déjà des drones, mais la législation actuelle ne leur permet pas de le faire pour lutter notamment contre le trafic de tabac. Ainsi, lorsqu'un drone repère un transport de marchandises prohibées, que les trafiquants sont interpellés et que les douaniers s'aperçoivent alors que les produits transportés ne sont pas des stupéfiants ou des marchandises contrefaites, mais du tabac, toute la procédure peut tomber. Vous conviendrez qu'il faut remédier à cette lacune.

J'en viens à vos remarques relatives aux contrôles migratoires. Indépendamment des gardes-frontières, qui agissent en vertu du code Schengen en vigueur depuis près de vingt ans, quelque 1 500 douaniers effectuent des contrôles d'identité dans notre pays. Vous dites que les douaniers ne sont pas là pour contrôler les personnes : il est vrai que la priorité est au contrôle des marchandises, mais vous admettrez que ces dernières sont généralement transportées par des personnes !

Vous avez comparé les effectifs des services de douane français avec ceux de nos voisins, notamment allemands. Je ne suis pas sûr que l'indicateur pertinent soit le nombre d'agents rapporté à la population. Il faut surtout prendre en compte les flux commerciaux et la part de ces échanges dans l'économie du pays ; or ils sont beaucoup plus nombreux en Allemagne, même si j'espère que la France rattrapera ce retard dans les années à venir. Surtout, les missions des douanes française et allemande ne sont pas le mêmes. En Allemagne, tous les douaniers ont le statut d'officier de police judiciaire (OPJ) et peuvent donc exercer des prérogatives que n'ont pas les douaniers français, notamment la conduite d'enquêtes judiciaires en matière de stupéfiants. En outre, leur compétence est étendue à la lutte contre le travail illégal : ainsi, 10 000 à 15 000 douaniers allemands réalisent une partie du travail effectué par notre Urssaf. Les comparaisons faites avec l'Italie sont tout aussi malvenues, car nos deux douanes nationales ne remplissent pas les mêmes missions.

Monsieur Lucas, vous avez émis des réserves quant à l'extension de l'expérimentation menée sur les Lapi. Je tiens à défendre ce dispositif dont nous avons besoin, notamment dans le cadre de la lutte contre le trafic de tabac, lequel constitue une plaie pour la santé des Français, pour leur sécurité – il finance des trafics beaucoup plus dangereux – et pour le réseau des buralistes qui subissent l'augmentation du prix du paquet en même temps que l'explosion de la contrebande. C'est pour eux une double peine : nous leur devons donc une lutte implacable contre le trafic de tabac sur notre sol.

Aujourd'hui, des services douaniers dotés de lecteurs automatiques scannent des plaques d'immatriculation et les confrontent au fichier des véhicules volés. S'ils s'aperçoivent que deux plaques d'immatriculation circulent régulièrement – par exemple chaque semaine – à proximité l'une de l'autre, ils pourront suspecter l'organisation de convois constitués d'un véhicule ouvreur et d'une voiture suiveuse et transportant des marchandises prohibées. Cela leur permettra de mieux cibler leurs interventions. Je vous assure que les douaniers sur le terrain attendent impatiemment l'expérimentation de ce dispositif.

Vous m'avez demandé quelles missions exercerait la réserve opérationnelle de l'administration des douanes. Vous avez d'ailleurs indiqué qu'elle serait constituée de retraités, ce qui n'est pas exact. Il pourra évidemment y avoir des retraités désireux de continuer de soutenir les douaniers, mais ils ne seront pas les seuls. De même que des douaniers font actuellement partie de la réserve opérationnelle de la police nationale, j'aimerais que des policiers puissent également être réservistes dans la douane, dans une logique de partage de compétences, d'expériences et de cultures.

Effectivement, la réserve opérationnelle des douanes, comme il en existe déjà dans la police et la gendarmerie, pourra être mobilisée dans le cadre d'événements particuliers entraînant un pic d'activité, tels que les Jeux olympiques. De même, si l' Ocean Viking accoste dans le sud de la France, les douanes seront amenées à assurer l'accueil et le tri des passagers : nous pourrions alors utiliser la réserve.

La création de cette dernière servira enfin à attirer des compétences nouvelles auprès des douaniers, qui peuvent être amenés à saisir des cryptomonnaies et ont donc besoin de comprendre le fonctionnement de ce mécanisme. Des spécialistes des cryptoactifs travaillant dans le secteur privé ont envie d'aider leur pays, pendant leur temps disponible, en faisant profiter les douaniers de leur expertise : la réserve opérationnelle fournira un cadre juridique permettant d'organiser leur intervention.

Nous pouvons nous retrouver très largement autour du soutien à nos douaniers. Chacun aura compris que l'adoption de ce texte est absolument essentielle pour qu'ils puissent continuer à agir et à protéger les Français.

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