La douane française est, selon la formule consacrée, l'administration de la frontière et de la marchandise. Administration de la frontière, la douane assure donc le traitement des flux de marchandises lors de leur passage en frontière, concourt à l'action de l'État en mer par la surveillance de la frontière maritime, et endosse une mission de garde-frontière ; administration des marchandises, elle veille à leur conformité aux normes, accompagne les entreprises dans leurs opérations douanières et lutte contre les trafics, la contrefaçon, la criminalité organisée et le financement du terrorisme.
Si la douane est l'héritière de la Ferme générale, son ancienneté ne la dispense pas d'être moderne ; utilisant les nouvelles technologies et investissant la frontière numérique, elle a su s'adapter aux défis et aux enjeux contemporains. Ce sont ainsi plus de 16 600 personnes qui assurent au quotidien la sécurité du territoire et de la population, par une action qui est marquée du sceau de l'efficacité, comme en témoignent les chiffres records du bilan annuel pour 2022.
Pour assurer la pérennité de cette efficacité, nous devons donner à la douane les moyens qui lui permettront de faire face aux nouveaux défis, menaces et méthodes toujours plus sophistiqués et agiles des trafiquants et des criminels.
L'objet de ce projet de loi s'inscrit dans un contexte particulier. Si 2022 a été une année record, les douanes risquent, sans une intervention rapide du législateur, de se retrouver privées dès la rentrée du droit de visite douanière, qui est l'un de leurs principaux leviers d'action. Cette visite par les douaniers des marchandises, des véhicules et des personnes était possible sur tout le territoire, à toute heure et sans justification particulière pour rechercher des infractions à la législation douanière et lutter contre la fraude.
Sur le fondement législatif, l'article 60 du code des douanes a en effet été censuré par le Conseil constitutionnel le 22 septembre 2022, même si l'effet de cette censure a été différé au 1er septembre prochain pour nous éviter un vide juridique aux conséquences désastreuses.
Composé initialement de seize articles, le texte, après son examen par le Sénat, en compte désormais vingt-trois. De même, la commission des finances nous a délégué au fond les articles 1er à 5, 8, 8 bis et 11 à 11 quater : nous sommes donc saisis de onze articles, que je vais vous présenter.
L'article 1er modifie la zone terrestre du rayon des douanes, où des prérogatives étendues peuvent être exercées afin d'en fixer la limite à 40 kilomètres à partir des frontières, sans permettre au pouvoir réglementaire de l'étendre – elle est de 20 kilomètres dans la loi, mais de 60 kilomètres en réalité.
L'article 2, qui peut être considéré comme le cœur du texte, constitue la réponse à la censure de 2022. Nous passons, avec cet article, d'un dispositif laconique, d'une longueur de deux lignes et datant de 1948, que la Cour de cassation avait encadré d'une abondante jurisprudence, à un robuste corpus de onze articles déclinant la finalité du droit de visite, ses modalités d'exercice, ainsi que les garanties qui l'entourent.
L'utilisation de ce droit sera fondée soit sur le lieu où il peut être exercé sans justifier d'un motif particulier – lieux exposés à l'international et lieux situés dans le « rayon des douanes » –, soit dans tout autre lieu, après information du parquet, pour des motifs particuliers, comme la suspicion d'une commission d'infraction ou la recherche d'infractions particulières.
Dans la mesure où d'importantes garanties sont prévues pour assurer le respect des droits des personnes, les visites des marchandises, des véhicules et des personnes feront l'objet d'un encadrement rigoureux.
Le dispositif relatif au droit de visite est ainsi opportunément équilibré, en ce qu'il en assure la robustesse juridique tout en préservant son caractère opérationnel. L'action des douanes demeurera évidemment possible sur tout le territoire national, mais son cadre juridique changera en fonction des lieux. Ne nous focalisons donc pas sur le rayon d'action des douanes ou sur certains lieux : l'ensemble du territoire, je le répète, sera concerné, le droit de visite pouvant être partout mis en œuvre, mais parfois avec un encadrement renforcé, afin de répondre à la censure constitutionnelle et d'assurer un équilibre avec la liberté d'aller et de venir.
L'article 3 transpose ces garanties aux visites des navires, qui font l'objet de dispositifs spécifiques dans le code des douanes.
L'article 4 formalise les pouvoirs des agents des douanes lorsqu'ils constatent une infraction de droit commun punie d'emprisonnement, en permettant notamment la remise du suspect à un officier de douane judiciaire.
L'article 5 précise, quant à lui, le fondement des contrôles exercés aux frontières extérieures, en renvoyant aux dispositions pertinentes du code frontières Schengen.
En complétant les dispositions des procédures spéciales d'enquête douanière préexistantes, l'article 8 permet, pour les infractions les plus graves et sur autorisation du juge des libertés et de la détention, à des agents spécialement habilités de procéder à des sonorisations et à des fixations d'images pour une durée d'un mois renouvelable.
Enfin, l'article 11 instaure une expérimentation d'une durée de trois ans portant sur l'exploitation élargie du dispositif de lecteurs automatiques des plaques d'immatriculation (Lapi), afin de contrer la sophistication grandissante des modes opératoires des délinquants.
Afin de faciliter la constatation des délits douaniers de contrebande, d'importation ou d'exportation de marchandises prohibées commis en bande organisée, ainsi que la constatation du délit de blanchiment, les agents des douanes, spécialement habilités et affectés à la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), pourront consulter les données enregistrées par le Lapi pendant une durée plus longue, et les consulter en l'absence de rapprochement positif avec le fichier des objets et véhicules signalés (FOVeS) et le système d'information Schengen (SIS).
Le Sénat, en commission puis en séance, a apporté de nombreuses modifications d'une portée variable, mais en conservant l'équilibre initial du texte.
Au sein du premier bloc, composé des articles 1er à 5, trois ont été adoptés sans être modifiés – les articles 1er, 4 et 5 –, tandis que l'article 3 a été précisé, en cohérence avec l'article 2 qui a concentré l'essentiel des modifications. Ces dernières ont cependant confirmé l'économie générale, ainsi que l'équilibre du texte proposé par le Gouvernement, puisqu'il s'agit, pour l'essentiel, de précisions ou de clarifications bienvenues.
Certains pourraient être tentés d'assouplir le dispositif ou de supprimer certains cadres, mais j'appelle votre attention sur la prudence dont nous devons faire preuve pour conserver ce délicat équilibre juridique, salué par le Conseil d'État et nos collègues sénateurs. À vouloir aller trop loin, nous risquerions d'exposer cet outil à une nouvelle censure, privant ainsi les douanes de leur capacité d'action.
Au sein du second bloc, si l'article 8 a été adopté sans modification par les sénateurs, ils ont introduit en commission des lois, à travers un amendement du rapporteur pour avis, un article 8 bis. Cet article permet d'appliquer les dispositions du code de procédure pénale relatives à l'enquête, à la poursuite, à l'instruction et au jugement en matière de criminalité organisée aux délits douaniers commis en bande organisée.
L'article 11 a été modifié par les sénateurs en commission ainsi qu'en séance. Le Sénat a souhaité que deux rapports d'évaluation, dont il a précisé le contenu, soient rendus au cours de l'expérimentation – au lieu d'un seul, dans la version du texte déposée par le Gouvernement. Suivant une recommandation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), le Sénat a voulu que soient évaluées plusieurs durées de conservation des données collectées.
Tenant compte du caractère sensible du contenu du décret en Conseil d'État, lequel précise les modalités d'application de l'article, le Sénat a voté pour que celui-ci ne soit pas publié. Il prévoit cependant que l'avis de la Cnil, rendu en amont de la prise du décret, doit être motivé et que le sens de cette motivation doit faire l'objet d'une publication. Les sénateurs ont par ailleurs précisé que l'expérimentation est soumise aux dispositions de la loi dite « informatique et libertés ».
Le Sénat a enfin souhaité, en séance publique, adopter trois articles additionnels après l'article 11. Introduit par un amendement du sénateur Jérôme Bascher, l'article 11 bis permet aux agents des douanes, de la police et de la gendarmerie nationales chargés de missions de police aux frontières de « se communiquer sur demande ou spontanément tous les renseignements et documents détenus ou recueillis à l'occasion de leurs missions respectives en matière de franchissement des frontières. »
Introduit par un amendement du Gouvernement sous-amendé par le rapporteur, l'article 11 ter crée la catégorie d'agent de douane judiciaire. Ces derniers, qui disposent des mêmes prérogatives que celles dévolues aux agents de police judiciaire, sont ainsi chargés de suppléer les officiers de douane judiciaire.
Enfin, l'article 11 quater, lui aussi introduit par un amendement du Gouvernement, permet aux agents des douanes de recourir aux caméras aéroportées dans le cadre de leur mission de lutte contre les mouvements transfrontaliers de tabac, ainsi que de surveillance des frontières.
Ce texte est une opportunité rare de renforcer les capacités de nos services douaniers, dont j'ai pu constater l'excellence et la volonté de faire au mieux avec les moyens dont ils disposent. Les dispositions que je viens de vous présenter, dont nous aurons l'occasion de débattre cet après-midi et cette nuit, viendront renforcer leur action au service de notre sécurité. J'espère qu'elles recueilleront ici un large consensus.