Le sujet revient régulièrement dans nos débats : une partie des étudiants français rencontre de grandes difficultés financières qui peuvent les conduire vers une précarité alimentaire qui nous est insupportable. Garantir l'accès des étudiants à une alimentation saine et équilibrée à un tarif modéré est un objectif majeur de la politique publique de soutien à la vie étudiante. J'ai choisi ce thème d'évaluation pour tenter de mesurer l'ampleur et l'efficacité de la politique de soutien à la restauration étudiante.
Je ne peux pas laisser quiconque affirmer que l'État n'agit pas pour soutenir le pouvoir d'achat des étudiants et améliorer leurs conditions de vie. Ce sont plusieurs milliards d'euros qui financent chaque année une grande diversité de mesures visant à permettre aux étudiants de s'alimenter correctement. Je rappelle que nous consacrons plus de 3 milliards d'euros à la vie étudiante et que ce montant est en augmentation de 5,7 % par rapport à l'année précédente.
J'ai d'abord souhaité appréhender concrètement la réalité du phénomène de la précarité alimentaire des étudiants. Les étudiants ne constituent pas une population homogène d'un point de vue économique et social, selon qu'ils sont soutenus ou non par leurs familles, qu'ils soient titulaires d'une bourse sur critères sociaux ou qu'ils exercent en parallèle de leurs études, une activité rémunérée. Leur niveau de ressources est très variable. Par ailleurs, des facteurs contribuent à l'aggravation des difficultés financières d'une partie des étudiants, par exemple, le fait de ne pas résider chez ses parents ou le fait de réaliser ses études en Île-de-France. Les étudiants étrangers sont également très exposés à la précarité. De manière générale, environ un quart des étudiants rencontrent d'importantes difficultés financières, ponctuelles ou structurelles. Pour une partie d'entre eux, ces difficultés peuvent les conduire à réduire leurs dépenses d'alimentation. C'est alors qu'apparaît la précarité alimentaire. Le manque de ressources financières peut conduire les étudiants à manger moins ou à manger moins bien. Selon les travaux d'Olivier Galland, cela concernerait environ 10 % des étudiants.
Dans le cadre de ce travail d'évaluation, j'ai souhaité mesurer l'ampleur et l'efficacité du soutien apporté aux étudiants. Je constate que les services de restauration gérés par les Crous constituent un levier majeur de soutien à l'alimentation des étudiants. Ces services sont uniques en Europe. Si la France n'est pas le seul pays à proposer des repas subventionnés aux étudiants, puisque l'Allemagne et l'Italie le font aussi, c'est en tout cas le seul pays à proposer des tarifs aussi bas : 3,30 euros pour le repas au tarif social, un euro pour le tarif très social pour l'ensemble des étudiants boursiers et également ceux en précarité. En 2022, 18,7 millions de repas à un euro ont été servis, ainsi que 16 millions de repas à 3,30 euros, pour des repas complets équilibrés. Par ailleurs, en France, les tarifs pratiqués sont universels. Ils concernent tous les étudiants, quel que soit leur lieu d'études, à la différence par exemple de ce que l'on peut observer en Allemagne.
Par ailleurs, les services de restauration proposés par le réseau des œuvres ne sont pas la seule source de soutien aux dépenses d'alimentation des étudiants. L'État soutient en effet le pouvoir d'achat des étudiants au travers de nombreuses aides financières qui leur permettent de dépenser plus en faveur de leur alimentation.
En premier lieu, le financement des bourses sur critères sociaux représente 2,17 milliards d'euros. Leur montant a été revalorisé de 3,3 % entre 2019 et 2022, 4 % en 2022 et encore au mois de mars dernier.
Les étudiants peuvent également bénéficier d'aides d'urgence en cas de difficulté financière. En moyenne, près de 50 millions d'euros par an sont consacrés à ces aides ponctuelles ou structurelles.
Durant la crise alimentaire, les recettes en provenance de la CVEC ont également été mobilisées pour financer des actions de soutien en faveur des étudiants, notamment des chèques alimentaires. Cela représentait 48 millions d'euros entre mars 2020 et septembre 2021.
Enfin, les étudiants ont également bénéficié de plusieurs aides exceptionnelles depuis mars 2020 : aide financière de 200 euros pour les étudiants ultramarins restés en métropole et pour les étudiants ayant perdu leur emploi pendant le premier confinement., aide exceptionnelle de solidarité de 150 euros pour l'ensemble des étudiants boursiers pour 113 millions d'euros, indemnité inflation de 100 euros pour les étudiants boursiers, aide financière exceptionnelle de 100 euros à la rentrée 2022 avec 50 euros supplémentaires par enfant du bénéficiaire de l'aide (pour 60 millions d'euros).
Je note comme vous le développement du recours à l'aide alimentaire et l'émergence de nouveaux acteurs, mais je constate que l'État soutient largement les différentes associations qui cherchent à limiter ou réduire la précarité alimentaire des étudiants et plus largement des personnes en difficulté financière. Plus de 130 millions d'euros ont été ouverts en 2022 pour soutenir l'aide alimentaire. Pour 2023, le Gouvernement a créé un fonds pour une aide alimentaire durable doté de 60 millions d'euros. Il a ouvert une enveloppe exceptionnelle de 10 millions d'euros pour soutenir les associations qui agissent en faveur des étudiants les plus précaires.
J'en viens maintenant à mes recommandations, qui s'articulent autour de trois grandes orientations.
La première consiste à garantir l'accès de tous les étudiants à un service de restauration à tarif modéré. L'une des difficultés que j'ai identifiées concernant les services de restauration des Crous a trait au fait que tous les étudiants ne sont pas desservis par un point de vente. Pour y répondre, le ministère et les Crous ont engagé une politique de conventionnement efficace qui permet de donner accès aux étudiants isolés à des structures de restauration collective gérées par des collectivités territoriales, des établissements hospitaliers ou encore des associations, en contrepartie d'un financement du tarif social par le réseau des œuvres et de l'accès à la centrale d'achat du Cnous, qui est très performante. Malgré ces efforts, il resterait entre 16 000 et 18 000 étudiants non desservis par un service de restauration étudiante, soit 6 % des étudiants. Je sais que le ministère travaille d'ores et déjà sur cette question, notamment à la suite de l'adoption de la loi du 13 avril 2023. Je ne peux qu'encourager le ministère à poursuivre cette démarche qui doit permettre à terme à l'ensemble des étudiants de bénéficier d'un service de restauration à tarif modéré.
La deuxième orientation consiste à consolider le modèle économique du réseau des œuvres universitaires et scolaires. Le réseau des Crous est largement autofinancé par ces revenus d'activité, qui résultent de deux activités marchandes, la restauration et l'hébergement. La restauration est structurellement déficitaire en raison d'un prix de vente des repas. L'hébergement était excédentaire jusqu'en 2021 et permettait de compenser en partie le déficit résultant de l'activité de restauration. Toutefois, en raison du gel des loyers au sein des résidences universitaires gérées par les Crous et de l'augmentation du coût des fluides énergétiques depuis la fin de l'année 2021, l'activité d'hébergement est elle aussi devenue déficitaire. Sans revenir sur les nécessaires mesures de soutien au pouvoir d'achat que sont les repas à un euro et le gel des loyers dans les résidences universitaires, nous sommes obligés de constater que ces dernières ont déséquilibré le modèle économique du réseau des œuvres. Je recommande donc au ministère d'entamer une réflexion en concertation avec le ministère de l'économie et des finances, afin de restaurer structurellement les ressources du réseau des Crous et garantir sur le long terme leurs capacités d'investissement.
La troisième et dernière orientation consiste à poursuivre la réforme des bourses afin de remédier de manière plus structurelle à la précarité alimentaire des étudiants. Le système de bourses sur critères sociaux protège plutôt bien les étudiants qui en sont bénéficiaires. Une réforme de ce système est actuellement à l'œuvre pour mieux protéger et protéger plus d'étudiants. Madame la ministre vous avait présenté en mars dernier le premier volet de la réforme des bourses sur critères sociaux, qui se traduit par une revalorisation des bourses à hauteur de 37 euros par mois pour tous les échelons et par une augmentation à hauteur de 6 % des plafonds de ressources qui conditionnent l'attribution des bourses afin de rendre éligibles 35 000 étudiants supplémentaires. Je salue évidemment ces annonces et ces décisions. Je rappelle que c'est notamment le statut de boursier qui donne accès aux étudiants qui en ont besoin aux repas au tarif à un euro au sein des réseaux du Crous. Un deuxième volet doit être présenté pour la rentrée 2023, qui me semble nécessaire. Tous les étudiants qui en ont besoin doivent bénéficier du soutien de l'État.
Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur la poursuite de la revalorisation des bourses qui permettront de soutenir massivement les étudiants les plus précaires ?
Comment développer l'offre de restauration de manière plus large et limiter ce qui est qualifié de zone blanche afin de toucher tous les territoires pour lesquels sont présents les étudiants ?