Je scinderai mon propos en trois parties. J'évoquerai d'abord brièvement les enjeux de la recherche polaire. J'exposerai ensuite les divers financements, les acteurs qui concourent à cette recherche et les leçons que j'ai tirées de mes auditions. J'exprimerai enfin les besoins que j'ai identifiés afin de relancer la recherche polaire.
Commençons par rappeler brièvement les enjeux de la recherche polaire. Le premier réside dans son apport à l'appréhension du changement climatique, que l'étude des calottes glaciaires a permis d'identifier. Les changements climatiques peuvent d'autant mieux être étudiés aux pôles qu'ils y sont exacerbés. La recherche polaire couvre également d'autres domaines très divers. Diverses catastrophes naturelles y sont surveillées. Les sciences humaines et sociales y sont étudiées. La résilience de l'homme face à des conditions extrêmes similaires à celles de l'espace peut y être évaluée. La recherche polaire favorise enfin la coopération entre les nations. Au-delà des rapprochements entre chercheurs et chercheurs des différentes nationalités sur le terrain, les enjeux des pôles communs à toute l'humanité justifient une gouvernance unique par son caractère multilatéral.
Je vais maintenant vous exposer les divers acteurs et financements concourant à la recherche polaire dans notre pays.
L'institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEVIPEV) est l'agence de moyens permettant la mise en œuvre des projets de recherche polaire. Il ne s'agit ainsi pas d'un organisme de recherche. Son rôle consiste à coordonner les missions de recherche et veiller à ce qu'elles se déroulent correctement, grâce à son appui logistique et son expertise technique.
L'IPEV souffre d'un sous-financement chronique. Sa principale ressource est la subvention pour charges de service public, inférieure à 15 millions d'euros chaque année. Ce montant, qui était déjà insuffisant, l'est d'autant plus que l'Institut est confronté à des surcoûts importants du fait d'un cumul de crises : les contraintes de la crise sanitaire puis la crise énergétique ont cumulé leurs effets, ce qui a justifié, à mon initiative et à celle d'autres députés, une dotation exceptionnelle de 3 millions d'euros pour 2023. Cette dotation était indispensable, mais doit être pérennisée.
L'IPEV souffre également d'un déficit de personnel. Malgré les augmentations du plafond d'emploi qui lui ont été accordées ces dernières années, la situation demeure tendue. Ces sous-effectifs ont affecté la qualité des conditions de travail des personnels, même si les renforcements d'emplois sous plafond de ces dernières années ont amélioré la situation. Surtout, ces sous-effectifs ont pu menacer la sécurité sur le terrain des personnels de l'IPEV et des scientifiques.
En plus de ce sous-financement, l'Institut souffre de la relation difficile qu'il entretient avec les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Ces dernières sont en effet chargées du maintien de la sécurité et du respect de l'ordre public. Les personnels de l'IPEV et les chercheurs ont exprimé le sentiment que les TAAF pratiquent une forme d'ingérence dans leurs activités de recherche au nom de leurs missions de sécurité, ce qui se traduit au quotidien par des multiples tensions et des querelles significatives sur des sujets comme le plan de couchage, l'organisation des activités de recherche ou même la consommation d'alcool, ce qui est vécu comme une frustration et une infantilisation par l'IPEV. Les textes régissant les relations entre les TAAF et l'IPEV gagneraient donc à être clarifiés.
Signalons également que la recherche polaire bénéficie de financements via les appels à projets de l'Agence nationale de la recherche et du plan Investir pour la France de 2030, pour un total de 61 millions d'euros depuis 2017.
Concernant la coopération européenne et internationale en matière de recherche polaire, l'IPEV conduit des partenariats avec de nombreux pays. Il gère notamment, conjointement avec l'Allemagne, la station de recherche AWIPEV en Norvège. De plus, certains projets soutenus par l'IPEV bénéficient de financements européens pour un montant compris entre 200 000 et un million d'euros par an. Enfin, l'Union européenne finance des projets de recherche arctique pour des sommes qui auraient représenté environ 200 millions d'euros pour la période 2013-2020. La transparence et la lisibilité de ces financements gagneraient à être améliorées. L'agression de l'Ukraine par la Russie a complexifié le cadre de la coopération internationale. Certains projets de recherche impliquant la Russie ont dû être annulés, tandis que les instances de coopération internationale sont entravées dans leur fonctionnement quotidien.
Ma dernière partie est consacrée aux moyens que j'ai identifiés pour pérenniser et relancer la recherche polaire. Par rapport à d'autres pays, les moyens consacrés par la France à la recherche polaire sont particulièrement faibles. Les moins de 20 millions d'euros de subventions à l'IPEV peuvent être comparés aux 160 millions d'euros consacrés par l'Allemagne à l'homologue allemand de l'IPEV, le gouvernement allemand ayant de surcroît annoncé investir dans un nouveau brise-glace pour pas moins d'un milliard d'euros. Si les personnels de l'IPEV parviennent à maintenir le rang de la France dans la recherche polaire malgré ce manque de moyens, il s'agit d'un miracle qui ne s'éternisera pas. Il y a donc urgence à donner des moyens suffisants dans la durée à la recherche polaire.
Au regard de l'importance des enjeux qui y sont attachés, je considère aussi qu'il faut accroître la visibilité de la recherche polaire. Je développe pour ce faire plusieurs propositions dans mon rapport : consacrer un orange budgétaire à la recherche polaire ou à défaut, consacrer une partie du jaune budgétaire aux politiques nationales de recherche et de formation supérieure à la recherche polaire ; examiner un projet ou une proposition de loi de programmation de la recherche polaire en début de chaque législature. Les montants à consacrer en la matière demeurent modestes eu égard aux enjeux considérables, de l'ordre de 400 à 800 millions d'euros au total d'ici à 2030. La visibilité culturelle de la recherche polaire doit également être accrue. Une politique éducative et culturelle volontariste pourrait utilement sensibiliser les citoyennes et les citoyens aux enjeux en la matière. Sous réserve que les moyens nécessaires, financiers et humains lui soient affectés, l'IPEV pourrait se voir doté d'un rôle d'interface entre les scientifiques, les acteurs polaires et la société civile.
Les stations nécessitent une rénovation urgente. La station Dumont-d'Urville est située sur les côtes du continent antarctique. Elle permet de conduire des recherches sur la biodiversité et de mener des observations de l'atmosphère. Elle est une base logistique pour la station Concordia implantée à l'intérieur du continent. De nombreux rapports ont mis en évidence la nécessité de rénover la station Dumont-d'Urville, l'un d'entre eux la qualifiant même de « suite désorganisée de bâtiments délabrés ». Si cette expression ne semble heureusement plus d'actualité, des besoins importants demeurent, évalués entre 70 et 130 millions d'euros. Sa reconstruction pourrait être envisagée, notamment pour diminuer son empreinte écologique et énergétique.
La station Concordia est gérée conjointement par l'IPEV et son homologue italien. Située à près de 1 000 kilomètres des côtes, elle bénéficie d'une situation géographique unique qui la rend adaptée pour les travaux d'astronomie et pour évaluer la survie de l'homme en milieu extrême, dans des conditions qui se rapprochent de potentielles missions spatiales vers mars. Une rénovation de la station Concordia est nécessaire. Elle a été chiffrée à 34 millions d'euros sur dix ans, dont 15 millions d'euros pour la France. L'opportunité de maintenir la station ouverte sur le long terme est cependant questionnée par le ministère chargé de la recherche.
Je termine cette présentation en évoquant la flotte. L'Astrolabe est l'unique brise-glace public français. Il n'est toutefois pas affecté à des missions scientifiques, mais à des missions logistiques, les équipements scientifiques déployés à bord étant insuffisants. En raison de cette absence de brise-glace scientifique, les chercheurs français doivent s'associer à des projets émanant d'autres nations et bénéficient d'un temps limité. Il existe un brise-glace privé, le Commandant-Charcot. Il ressort cependant des auditions et de mes analyses que ce brise-glace, dont l'impact environnemental n'est par ailleurs pas négligeable, n'est pas du tout adapté aux chercheurs qu'il accueille de manière marginale. Ce navire doté de la climatisation pour aller au Pôle Nord compterait autant de chercheurs que de jacuzzi. Il s'agit d'écoblanchiment plutôt que d'une solution pour relancer la recherche polaire française, qui a besoin d'un brise-glace public.