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Intervention de Jean-François Carenco

Séance en hémicycle du jeudi 8 juin 2023 à 15h00
Renforcement du principe de la continuité territoriale en outre-mer — Présentation

Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer :

Or la République refuse l'assignation à résidence. Aussi a-t-elle inventé, et c'est son honneur, la continuité territoriale, que vous qualifiez, monsieur le rapporteur, de « fiction juridique ».

Je tiens à vous remercier de nous permettre de discuter de ce sujet, dont vos collègues sénateurs Catherine Conconne et Guillaume Chevrollier, que je salue, se sont aussi saisis récemment. Dans la perspective du projet « Ladom 2024 » et du comité interministériel des outre-mer qui aura lieu dans les prochaines semaines, nous devons et pouvons avancer sans esprit de polémique, dans l'unique but d'améliorer la situation des ultramarins. C'est, je crois, ce que nous avons fait en examinant ce texte dans un esprit de consensus. Je salue d'ailleurs son vote à l'unanimité en commission la semaine dernière. Félicitons-nous en ensemble, monsieur le rapporteur !

La première condition de la possibilité d'une continuité territoriale entre les territoires ultramarins et l'Hexagone est l'existence de liaisons aériennes. À cet égard, l'État a toujours assumé ses responsabilités en garantissant non seulement cette existence, mais aussi celle d'une concurrence, afin de proposer aux ultramarins des billets au meilleur prix possible – ce qui est difficile – et de limiter la hausse des prix – ce qui ne l'est pas moins. L'aide de l'État s'est traduite par une contribution financière au redressement des compagnies aériennes desservant les territoires. Depuis 2020, il a notamment consacré 300 millions d'euros au sauvetage d'Air Austral et de Corsair, pour l'essentiel sous la forme d'aides et d'abandon de créances. L'effet de cette politique est réel : grâce à la concurrence, à l'automne 2022, le prix par passager et par kilomètre des voyages entre l'Hexagone et les Drom – départements et régions d'outre-mer – était 41 % plus bas que le prix moyen à l'échelle mondiale. Certes, le prix des billets d'avion connaît une dynamique haussière, notamment à cause des tensions sur le kérosène, un phénomène mondial que nous subissons de plein fouet.

Historiquement, l'État a fait le choix d'aider les plus modestes. L'aide à la continuité territoriale (ACT), financée par Ladom, a permis d'aider à l'achat de 60 545 billets en 2022. Vous l'avez noté, le montant forfaitaire de l'ACT a été revalorisé en mars 2023 pour prendre en compte l'augmentation des prix des billets et pour limiter le reste à charge des bénéficiaires. L'aide représente désormais 50 % du prix moyen du billet. Dans le cadre du Ciom, nous devons réfléchir à faire évoluer l'équilibre des paramètres, notamment le seuil d'éligibilité, le montant et les bénéficiaires. J'y travaille. Quoi qu'il en soit, les aides sont et resteront fondées sur des critères sociaux objectifs : nous y sommes tous attachés.

Le Gouvernement a entamé une refonte profonde des autres dispositifs de Ladom. Nos réflexions portent notamment sur un élargissement des publics concernés – étudiants, actifs en formation, acteurs de la culture, sportifs, doctorants –, qui irait au-delà même de ce que prévoit votre texte.

Dans le cadre de Ladom, l'État agit aussi auprès des compagnies aériennes. Air Caraïbes et French Bee ont ainsi annoncé qu'elles accorderaient cet été une remise supplémentaire de 100 euros aux bénéficiaires de l'ACT. C'est cohérent avec l'Oudinot du pouvoir d'achat que j'ai engagé l'été dernier. Je remercie les entreprises pour les efforts consentis ; nous maintenons en permanence nos discussions avec elles sur les possibilités de remise. Pour un trajet entre Paris et Fort-de-France, l'effort d'Air Caraïbes ajouté à la revalorisation du bon de l'aide à la continuité territoriale, décidée en mars, permet un gain de 170 euros par rapport à l'aide précédente.

Je souhaite insister sur trois aspects. S'agissant de la comparaison avec la Corse, je vous remercie, monsieur le rapporteur, d'avoir estimé à 90 euros le montant de la dépense par habitant en outre-mer – il doit effectivement avoisiner 90 ou 100 euros. En effet, le budget de l'État en matière de continuité territoriale prévoit également 30 millions d'euros de défiscalisation par avion, pour trois avions par an ; depuis 2020, 300 millions d'euros de soutien aux compagnies aériennes ; 75 millions par an pour les congés bonifiés. La sécurité sociale finance aussi les évacuations sanitaires. Ensemble, nous devons refuser la stricte logique arithmétique, pour aller au fond des choses.

À propos de la création d'un tarif résident, la liaison aérienne entre l'Hexagone et les Drom appartient à un marché ouvert à la concurrence ; en application des règlements européens, la liberté tarifaire des transporteurs s'y exerce. On ne saurait déterminer un tarif pour les résidents sans réfléchir à la compensation du coût sur des lignes long courrier quatre fois plus fréquentées – je dis bien quatre fois – que les liaisons vers la Corse. Les transporteurs réalisent une marge très faible, souvent négative, sur la desserte des Drom – la preuve, il faut les aider chaque année. Ils ne seraient pas en mesure d'assumer financièrement les conséquences de cette mesure. Le risque serait alors ni plus ni moins qu'ils arrêtent de desservir les destinations ultramarines. Il faudrait donc compenser la perte de revenu des opérateurs en créant une délégation de service public soumise à appel d'offres, ce qui imposerait de ne retenir qu'un opérateur par liaison. C'est le modèle corse. Cela reviendrait à abandonner le régime concurrentiel, qui influence pourtant l'offre tarifaire plutôt à la baisse. La concurrence joue un rôle d'amortisseur sur les prix : à l'automne 2022, le coût kilométrique des liaisons ultramarines était inférieur de 41 % à la moyenne internationale.

Quant à la prise en charge des liaisons intérieures, y compris entre les îles, elle relève des collectivités territoriales, conformément à la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République – loi Notre – de 2015. Les collectivités disposent d'outils réglementaires pour intervenir sur le prix des transports, mais L'État apporte son soutien aux collectivités dans des cas particuliers, lorsque le marché est défaillant, par exemple en Guyane, ou à Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon, qu'affecte une double, voire une triple insularité.

Un autre sujet a émergé dans le cadre des discussions. Bien qu'il ne concerne pas l'objet de cette proposition de loi, j'en dirai donc un mot. Il s'agit de la suppression de la TVA en outre-mer. La TVA n'est pas responsable du coût de la vie en outre-mer, j'ai eu l'occasion d'en parler hier devant la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution. Le taux de TVA outre-mer est déjà très bas. Le taux réduit est de 2,1 %, notamment pour l'alimentation et les abonnements à l'électricité et au gaz. La dépense fiscale correspondante s'élève à 4 milliards. En outre, la TVA ne s'applique ni à Mayotte ni en Guyane. Sur des produits comme le café moulu ou la farine, l'octroi de mer entraîne une taxation de plus de 30 %, contre 5,5 % dans l'Hexagone. Néanmoins, cette taxe remplit d'autres fonctions, notamment en matière de protection de la production locale et de financement des collectivités. Travaillons ensemble à la réformer. Cela suppose un consensus général – j'y travaille. Nous souhaitons réformer la fiscalité : le Président de la République s'y était engagé ; Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a également fait des annonces récentes en la matière, en accord avec moi. Ce sera l'occasion pour nous de travailler avec les parlementaires et l'ensemble des parties prenantes, mais la présente proposition de loi n'est pas le cadre opportun pour ce débat. Sur ce point uniquement, j'émettrai donc un avis défavorable à vos propositions.

De manière générale, nous pouvons et devons faire mieux en matière de continuité territoriale ; nous souhaitons avancer grâce au Ciom, comme avec l'examen de ce texte, ici et au Sénat. Je vous prie de croire que nous nous y emploierons. Ensemble, nous pouvons faire converger nos points de vue et nos ambitions au profit de nos concitoyens ultramarins.

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