À l'hommage que nous leur rendons, je veux adjoindre mes remerciements au ministre des armées, dont la façon d'agir contraste si nettement avec la brutalité et l'antiparlementarisme ordinaires du Gouvernement. Il a créé les conditions d'un débat digne et argumenté, qui nous permet de prendre acte des convergences comme des désaccords, sans procès d'intention ni remarques infamantes. Ces désaccords sont les biens les plus précieux de la démocratie : ils en sont la fin et le moyen. C'est pour nous garder la possibilité d'un désaccord respectueux que nos militaires, in fine, s'engagent, et c'est la vitalité de la controverse démocratique qui nourrit la force morale indispensable pour faire face aux crises et aux conflits.
Dès lors, je dois formuler nos désaccords. Pour cela, collègues, je vous prie de considérer le monde tel qu'il était il y a vingt ans ; vous aurez ainsi une idée des transformations qui l'attendent dans les vingt prochaines années. Souvenez-vous : 2003 est un autre monde ; un monde où les modems grésillent, où les États-Unis envahissent l'Irak, où la France souffre d'une canicule inédite, où le syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) fait son apparition, où le Concorde quitte le service et où le Rafale prend à peine le sien ; un monde où Vladimir Poutine a finalement bonne presse dans les chancelleries ; un monde dans lequel le capitalisme se délocalise sans crainte en Chine. La distance avec notre monde n'est rien comparée à celle qui séparera 2023 et 2043.
Pour faire face et garantir à notre pays de pouvoir encore s'y faire entendre et se défendre, il ne peut s'agir de faire la même chose avec davantage de moyens ; il faut nous projeter. Or cette LPM ne le fait pas. Elle intervient alors que l'ancienne LPM court encore. Nous avions deux ans – nous avons toujours deux ans – pour proposer une véritable loi de planification et de protection de la souveraineté. C'est une occasion ratée : le saupoudrage se poursuivra ; nos entreprises resteront vulnérables aux rachats hostiles ; nous continuerons d'importer certains des composants les plus critiques de nos systèmes d'armes ; le contrôle démocratique sur le commerce des armes restera balbutiant ; nous resterons, hélas, tributaires de dictatures telles que l'Égypte ou le Tchad – au sujet duquel, monsieur le ministre, vous avez refusé de répondre.
Avec ce texte, quel est votre objectif le plus clair ? La revue nationale stratégique (RNS), ce texte fluet, nous l'apprend : être et demeurer un allié exemplaire. Or comment cela pourrait-il suffire ? Pour notre part, nous affirmons que nous devons être indépendants, refuser l'alignement et proposer une voie tierce aux peuples qui refusent l'embrigadement au service d'un quelconque hégémonisme. En définitive, l'intérêt de la France, c'est celui de l'humanité : la paix.
Vous parlez d'autonomie stratégique européenne, mais elle ne peut exister. Votre porte-parole, M. Benjamin Haddad, a même vendu la mèche au cours du débat en précisant qu'elle est un artifice employé à la place de l'expression « souveraineté européenne », que nul ne peut accepter. Vous écrivez une nouvelle fable : Le Flou et la Chimère. Vous persistez dans des partenariats idéologiques qui nous nuiront. Je vous alerte en particulier sur la menace que le projet de char franco-allemand fait désormais peser sur nos capacités industrielles : le dessein de Rheinmetall est de se débarrasser de toute concurrence ; il y parviendra bientôt si nous n'y mettons bon ordre.
Alors que la crise écologique va susciter toutes sortes de déstabilisations et de conflits du fait des pénuries, vous remettez à demain l'objectif indispensable et urgent : préparer l'après-pétrole. De même, vous préférez camper sur l'assurance que la dissuasion nucléaire est crédible aujourd'hui plutôt que de travailler à une solution alternative à l'horizon de plusieurs décennies, si jamais elle venait à ne plus l'être.
Pour étoffer notre modèle d'armée, vous faites le choix de la réserve. Pour atteindre vos objectifs de recrutement, il vous faudra d'abord généraliser le service national universel (SNU). Ce gadget folklorique est le spectre qui hante votre LPM et une menace de plusieurs milliards qui plane au-dessus de votre programmation budgétaire.
Vous avez repoussé les objectifs capacitaires de la précédente LPM pour faire un peu de place aux secteurs que nous disions prioritaires il y a déjà cinq ans : les nouvelles frontières de l'humanité que sont l'espace, la mer et le cyber. Mais en réalité, dans ces domaines aussi, les ambitions seront finalement limitées.
Je veux aussi évoquer les outre-mer. Ils auraient dû être le point de départ de la réflexion. Il s'agit non pas d'une case à cocher, mais d'une spécificité qui fait de la France une nation universelle – la riveraine de tous les océans, la voisine de tous les peuples, la porte-parole d'une cause qui la dépasse. Or les outre-mer demeurent plutôt considérés comme un point d'appui, un patrimoine, que comme la France elle-même.
Au terme du débat, je veux redire notre gratitude envers nos soldats. Nous serons vigilants et pressants pour que leur quotidien s'améliore et que les familles soient mieux accompagnées. Il y a encore trop d'incertitude autour de l'avenir du service de santé des armées (SSA), et nous ne comprenons pas pourquoi les avancées que nous proposons pour les blessés psychiques ont été une nouvelle fois écartées.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette LPM.