Au regard des choix opérés par notre pays, les questions liées à la sûreté et à la sécurité nucléaires doivent être traitées, tant du point de vue technique que du point de vue démocratique. Il en va de la confiance de nos concitoyens : nous ne pouvons souffrir du défaut d'information. Aussi, nous exprimons, Madame la ministre, la grande surprise ressentie après le dépôt par le gouvernement, le 25 février dernier, de deux amendements transférant les compétences d'expertise et de recherche de l'IRSN vers l'ASN, sans consultation préalable des organismes concernés et des parlementaires, ce qui relève très nettement du défaut d'information.
Pourtant, le 8 février, vous aviez confié comme mission aux acteurs de la sûreté nucléaire le soin de formuler des propositions et de proposer une méthode de travail commune. Toutefois, 15 jours plus tard, la méthode expéditive a eu votre faveur, ce qui n'étonnera personne lorsqu'on considère les débats actuels sur les retraites. Or ce projet pose des questions de fond et de forme. Concernant les questions de forme, tout d'abord, la méthode employée par le Gouvernement a suscité la stupéfaction et l'insatisfaction des représentants du personnel de l'ASN que nous avons auditionnés. Une telle méthode a jeté un réel trouble sur les intentions de l'exécutif concernant le contrôle de nos installations nucléaires. Il entame in fine la confiance des citoyens dans ce contrôle.
Est-ce pour aller plus vite, pour accélérer ? Nos entretiens nous ont permis d'établir que nous ne gagnerons au mieux que quelques mois sur les nouveaux projets et sur la programmation des contrôles qui s'étalent sur plusieurs années. Y a-t-il des dysfonctionnements, des désaccords, des blocages entre les opérateurs justifiant la démarche du Gouvernement ? Aucun exemple de blocage ne nous a pourtant été soumis, même s'il peut y avoir des débats. Ces derniers sont même un objet de ce projet de sûreté, car ils permettent d'aligner les esprits sur un point haut d'équilibre entre savoir scientifique et protection.
Ce projet de transfert pose en outre d'importantes questions de fond. Premièrement, il remet en cause une organisation du contrôle de sûreté qui n'est pas absolument le fruit du hasard. Cette organisation est le résultat d'une construction progressive liée à la volonté de tirer les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl, puis des crises sanitaires des années 1990, avec la séparation entre les fonctions d'expertise et celles de gestion du risque pour atteindre ce point haut d'équilibre. Aussi, le contrôle de la sûreté nucléaire repose aujourd'hui sur la séparation entre l'autorité de contrôle, l'ASN, et un organisme principal d'expertise, l'IRSN, alors que les compétences sont clairement réparties de part et d'autre.
La séparation ne signifie pas étanchéité. Notre constat est qu'il existe un continuum entre expertise et prise de décision. La répartition des responsabilités de chacun est claire pour tous. Même sans changer l'architecture, tout fonctionnement est perfectible. Nous soumettons des propositions très concrètes dans ce sens, comme la création d'un centre de crise commun entre ASN et IRSN pour ordonner la chaîne de réponse en cas de situation d'urgence, ainsi que la création d'un régime juridique dédié aux lanceurs d'alerte dans le secteur du nucléaire. Nous proposons également une simplification de la lisibilité du budget consacré à la sûreté, fragmentée entre différents programmes relevant de plusieurs ministères, une taxe affectée et des ressources propres, en créant un jaune budgétaire retraçant l'ensemble de l'effort financier consacré à la sûreté nucléaire en France.
Deuxièmement, ce projet de transfert n'apparaît absolument pas opportun dans l'optique même du gouvernement au regard de sa politique nucléaire à venir. L'objectif de prolonger les centrales de 40 ans, voire 60 ans, les chantiers de démantèlement, la relance du nucléaire civil, ainsi que l'adaptation au changement climatique vont conduire à une très forte hausse de l'activité de contrôle et d'expertise. La mise en œuvre du projet de fusion du gouvernement mobiliserait des énergies et des moyens financiers et humains considérables, lesquels ne seront donc pas affectés à des activités de contrôle et d'expertise.
Nous avons de surcroît été convaincus qu'une telle fusion interviendrait au pire moment qui soit, alors même que l'organisation du contrôle a largement fait ses preuves et est reconnue à l'étranger. La conséquence, déjà sensible sur le terrain, pourrait être une fuite de notre expertise vers le privé, confronté à un besoin grandissant de personnel. On ne doit donc pas manquer d'experts pour le contrôle de nos installations nucléaires. Ce constat soulève aussi des questions d'ordre salarial, sur lesquelles je laisserai la parole à ma collègue, Alma Dufour.