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Intervention de Christophe Naegelen

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 9h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen, rapporteur :

Lors des auditions, les acteurs du secteur financier nous ont dit que la taxe sur les transactions financières était un mauvais impôt, mais qui fonctionne bien. Je dirais plutôt, après étude, que c'est un impôt logique, mais qui pourrait fonctionner mieux et, surtout, être plus juste.

Cet impôt est logique parce qu'il taxe le capital – de manière relativement faible, d'ailleurs – en vertu d'un champ d'application simple : les achats d'actions de grandes entreprises cotées – plus de 1 milliard d'euros de capitalisation, ce qui correspond à 130 entreprises concentrant l'essentiel des volumes de transaction. Il existe peu de risques de le contourner, grâce à un principe d'« émission » : peu importent la nationalité de l'investisseur, le lieu de cotation ou la nationalité de la société. Son rendement spontané est en hausse constante : alors qu'il était de 766 millions en 2013, 1,7 milliard est prévu en 2023. Ses coûts de collecte sont faibles, bien plus que ceux de l'impôt sur le revenu (IR). Le recouvrement est délégué à Euroclear, unique dépositaire central en France.

L'impact de la TTF sur l'attractivité de la place est très modéré : malgré les craintes lors de la création de cet impôt, en 2012, les volumes de transaction augmentent tendanciellement, la volatilité n'a pas baissé à long terme et la place connaît une dynamique de croissance. Des pays dotés de places financières robustes appliquent des taxes semblables ou dont le taux est parfois même plus élevé.

Mais cet impôt peut être amélioré pour être rendu plus juste. Son assiette est trop étroite : on taxe les transferts d'actions qui matérialisent une prise de position de long terme, mais pas d'autres transactions qui ont pourtant une utilité sociale et économique plus discutable, voire sont surtout spéculatives et ne créent pas de valeur ajoutée. Ainsi, on ne taxe pas les transactions intrajournalières, qui représentent pourtant environ 80 % des volumes de transaction, ni les produits dérivés qui peuvent servir de couverture, mais aussi d'outils de spéculation. J'ai donc déposé un amendement qui limite l'extension de la taxation à ces derniers, c'est-à-dire aux dérivés d'actions ou d'indices. Enfin, les modalités de collecte de la taxe sont peu transparentes et insuffisamment contrôlées, comme l'a relevé la Cour des comptes dans un référé de 2017.

Je propose donc d'élargir son assiette en taxant les transactions intrajournalières et les dérivés.

Depuis vingt ans, avec les progrès technologiques et la déréglementation des marchés qui ont réduit les coûts de transaction, on constate une explosion des volumes des transactions intrajournalières ; mais pour quelle utilité sociale, puisque cela ne signifie pas plus de financements pour les entreprises ? Le nombre et le volume précis des transactions intrajournalières n'est pas connu, faute d'un registre. Le Parlement avait voté leur taxation dans le cadre de la loi de finances pour 2017, mais l'a abrogée l'année suivante, avant l'entrée en vigueur de cet élargissement.

L'administration et la place de Paris objectent un obstacle technique : il faudrait se fonder sur un transfert de propriété acté par le dépositaire central Euroclear, qui intervient seulement sur le solde net de transactions à la fin de la journée. Pourtant, le système est déjà en grande partie déclaratif. On pourrait donc taxer les ordres sur une base déclarative.

Les gouvernements successifs bottent en touche au motif de la nécessité d'une TTF européenne. Or la Commission européenne a proposé dès 2011 une TTF incluant les dérivés et les transactions intrajournalières. Sa version a tout pour plaire – une assiette très large, une taxe peu distorsive, un taux bas. Pourtant, c'est la France qui bloque l'avancée du texte en proposant une assiette bien trop étroite pour les autres pays.

Je propose donc à la France d'avancer et de taxer les ordres d'achat plutôt que les transferts de propriété actés par Euroclear, ce qui permet d'inclure les ordres d'achat annulés par une transaction intrajournalière inverse. C'est une recommandation du Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz.

Je proposerai également, par amendement, d'exempter les apporteurs de liquidité ( market makers ) pour préserver l'attractivité de la place de Paris.

S'agissant des dérivés, s'ils peuvent servir de couverture, donc avoir une utilité financière et économique, ce sont aussi des outils de spéculation risqués et « en aucun cas ils ne répondent à des besoins d'investissement de moyen ou long terme » comme l'AMF (Autorité des marchés financiers) en avertit le public sur son site internet – si même elle le reconnaît… En outre, les dérivés étant souvent négociés hors des marchés réglementés, il serait utile d'inciter à renforcer la connaissance de ces outils et la transparence quant à leur utilisation.

Je souhaite que soient inclus les dérivés sur les actions. Il est paradoxal de taxer les détentions longues d'actions, mais pas les transactions plus spéculatives. Je suggère que nous nous inspirions de l'Italie, qui, malgré une taxation des dérivés, a la place financière la plus fréquentée en parts de marché, et taxe davantage les dérivés hors marché réglementé.

Il faut cependant préserver les atouts actuels de la taxe : un taux raisonnable qui ne décourage pas l'investissement de l'épargne en actions ni la cotation sur la place de Paris ; un champ d'assujettis protecteur, en conservant un seuil de capitalisation, dont on peut discuter le niveau, pour protéger les petites capitalisations moins liquides.

Cette proposition de loi servira à renforcer la transparence des marchés et le contrôle de l'application de la loi fiscale. La taxation des transactions intrajournalières et des dérivés incitera l'administration et la place à constituer enfin le registre des transactions et à donner les moyens de connaître la nature des transactions réalisées.

Je proposerai par amendement d'éclaircir les modalités de collecte de la taxe par Euroclear, qui préoccupent à juste titre plusieurs groupes, par la remise au Parlement, avant le prochain projet de loi de finances, d'un rapport détaillé qui fera également le point sur les contrôles mis en œuvre et sur les développements technologiques nécessaires à l'extension de l'assiette.

La proposition de loi contribuera enfin à désendetter l'État et à rééquilibrer la taxation du capital et celle du travail. La dette a augmenté de presque quinze points de PIB et dépasse 111 % du PIB en 2022 ; il est urgent de rétablir nos finances publiques compte tenu de la hausse des taux, qui aggravera la charge des intérêts. La taxation des transactions intraday et des produits dérivés pourrait générer plusieurs centaines de millions à plusieurs milliards selon différents rapports. Pourtant, le capital et le secteur financier ont bénéficié depuis 2017 d'allégements fiscaux importants – la flat tax sur les revenus du capital, la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS) à 25 % au maximum et la suppression progressive de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises).

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