Intervention de Perrine Goulet

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 9h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPerrine Goulet, rapporteure spéciale :

Les politiques sociales de solidarité mises en œuvre par les départements font l'objet d'une contractualisation avec l'État, avec d'un côté les conventions d'appui à la lutte contre la pauvreté et d'accès à l'emploi (CALPAE) depuis 2019 et, de l'autre, les contrats départementaux de prévention et de protection de l'enfance (CDPPE) depuis 2020. C'est le principe même d'égalité républicaine qui conduit l'État à accompagner les départements dans leurs compétences, si fondamentales pour la cohésion sociale de notre pays. Ainsi, comment pourrions-nous justifier qu'un enfant de l'ASE dans la Nièvre soit moins bien traité qu'un enfant de l'ASE en Côte d'Or ?

À partir de ce constat simple, la question est de savoir si la contractualisation, logique en théorie, a été réellement efficace dans les faits. Dans sa globalité, le bilan me semble positif, bien que comme pour tout dispositif contractualisé, l'intérêt et l'efficacité de ces contractualisations varient sensiblement selon les départements. Il est important de poursuivre cette démarche de contractualisation à l'avenir, notamment pour les CALPAE qui doivent s'achever en 2023, mais aussi pour les CDPPE.

Les CALPAE et les CDPPE ont permis de rapprocher les services de l'État, à savoir les directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), des départements. Échange d'informations, regards croisés, partages d'expérience : ce dialogue est bénéfique pour l'État comme pour les départements. Tout ce qui peut renforcer le dialogue entre les collectivités et l'État déconcentré va dans le bon sens.

Un deuxième point positif doit être mentionné : même si les financements apportés par l'État peuvent paraître modestes – 149 millions d'euros ont été consommés en 2022 au titre des CALPAE et 134 millions d'euros au titre des CDPPE sur le programme 304 –, les acteurs rencontrés constatent un effet levier réel, quoiqu'il ne soit pas aisé de l'objectiver. En effet, les crédits budgétaires de l'État ont permis aux départements d'initier de nouvelles actions et d'en renforcer d'autres par exemple dans le champ de l'insertion, de la lutte contre les sorties sèches de l'ASE ou dans l'accompagnement des familles avec des enfants en situation de handicap.

Un troisième point positif peut être relevé : l'existence de résultats positifs pour plusieurs objectifs socles des CALPAE. Les indicateurs d'accompagnement des bénéficiaires du RSA sont tous en hausse : 57 % de nouveaux entrants au RSA ont ainsi été accompagnés en moins d'un mois en 2021 par les départements contre 46 % en 2019. Les indicateurs de prévention des sorties sèches de l'ASE, sortis des CALPAE et ayant intégré les CDPPE en 2022, témoignent également d'une nette progression : à titre d'exemple, le taux de jeunes sortant de l'ASE en parcours professionnel et scolaire atteint ainsi 74 % en 2021 contre 67 % en 2020.

Une fois ces points positifs soulignés, il faut s'attarder sur les limites de ces contrats et les axes de progrès. En ce qui concerne spécifiquement les CDPPE, on ne peut que constater les difficultés de dialogue entre les départements et les ARS, et parfois même entre les ARS et les DDETS. Les départements ont jugé l'action des ARS parfois infantilisante et, a contrario, tous les départements n'ont pas joué le jeu de la co-construction des actions à mener pour poursuivre les objectifs inscrits dans les contrats. En réalité, les difficultés avec les ARS me semblent dépasser le cadre contractuel propre des CDPPE : lorsque les départements regrettent le retrait des ARS sur leurs compétences propres (la santé mentale des enfants par exemple), on sait qu'il s'agit d'un phénomène qui n'est malheureusement pas nouveau, et qui n'est pas spécifiquement lié à la question des CDPPE.

Par ailleurs, du côté de l'État, le travail de coordination sur ces contrats entre DDETS et ARS ne se fait pas correctement, chacun restant dans son silo de compétence. En outre, une vraie question se pose pour les CDPPE : les DDETS sont-elles en mesure de parfaitement accompagner et « challenger » la mise en œuvre de l'action des départements en faveur de la petite enfance ou de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Contrairement aux politiques de lutte contre la pauvreté et pour l'insertion, l'État a complétement abandonné le champ de la politique de la petite enfance depuis les lois de décentralisation de 1983 : les effectifs des DDETS, déjà peu étoffés, n'ont plus toutes les compétences qui étaient celles des DDASS il y a plusieurs dizaines années. Il est crucial de réarmer l'État déconcentré par des formations renforcées et une augmentation des effectifs, pour réinvestir le champ de la petite enfance et de l'ASE.

Par ailleurs, des critiques communes, qui constituent autant d'axes d'amélioration possibles, sont adressées aux CALPAE comme aux CDPPE. Au regard du niveau modeste des financements apportés par l'État – les CALPAE représentent par exemple 0,2 % des dépenses d'insertion des départements –, les exigences de suivi et de reporting sont très élevées pour les départements, à qui incombent seuls cette charge. Les indicateurs, jusqu'à près de soixante dans certains départements, sont jugés trop nombreux.

Les changements de référentiel – la définition d'un nouvel entrant au RSA a ainsi été modifiée en cours d'exécution des CALPAE – ont complexifié le suivi pour les départements et parfois occasionné des dépenses supplémentaires d'adaptation des systèmes d'information. Certains indicateurs ont fait l'objet d'une compréhension différente selon les territoires, rendant impossible l'agrégation des données au niveau national, comme ce qui concerne l'objectif relatif au référent de parcours.

Cette lourdeur ne s'accompagne pas d'un contrôle réel des services de l'État : l'ensemble des données transmises par les départements sont purement déclaratives et les rapports d'exécution des départements contiennent de nombreuses erreurs et incomplétudes, ce qui rend d'autant plus complexe l'agrégation des résultats au niveau national. La simplification et la réduction du nombre d'indicateurs peut et doit s'accompagner d'une vigilance accrue sur les données renseignées par les départements. Il me semble aussi important d'encadrer la valorisation des crédits et de s'assurer, département par département, que les dépenses en faveur des politiques concernées par les contrats ne diminuent pas avec le soutien des crédits de l'État.

De surcroît, faute d'un diagnostic commun partagé au préalable, les départements ont souvent eu le sentiment, aussi bien pour les CALPAE que les CDPPE, que les objectifs jugés obligatoires au niveau national ne correspondaient pas nécessairement à la réalité du terrain. Il faudrait davantage de souplesse et de fongibilité dans les actions menées par les départements. L'instauration d'objectifs obligatoires identiques sur tout le territoire n'est pas toujours pertinente : la réussite des actions d'initiative départementale pour les CALPAE est plutôt la preuve du contraire.

Ensuite, il est crucial de donner davantage de visibilité pluriannuelle aux départements sur le programme 304, comme les financements de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) le permettent davantage sur les CDPPE. Faute de visibilité pluriannuelle, le montant des crédits délégués dépend du dialogue de gestion aboutissant à un rapport d'exécution, dont la préparation par le département est relativement chronophage, le tout devant nécessairement précéder la signature des avenants. En conséquence, la délégation des crédits, souvent tardive à l'automne, est source d'insécurité pour les départements alors qu'ils engagent certaines actions pour plusieurs années dans le cadre de partenariats avec des associations ou avec des recrutements.

L'analyse annuelle des indicateurs de performance n'est d'ailleurs pas toujours pertinente pour évaluer la qualité de l'action des départements : un recrutement retardé ou un congé maladie peuvent suffire à dégrader certains résultats. La pluriannualité doit permettre aux départements de déployer une action dans la durée et d'évaluer ses résultats à moyen terme. Mais cette souplesse à donner aux départements nécessite également un partage des données « en temps réel » renforcé. Les données mériteraient d'ailleurs d'être mieux partagées entre administrations centrales et déconcentrées d'un côté, et entre les opérateurs de l'État et les départements de l'autre.

Enfin, je me fais l'écho des réflexions des acteurs rencontrés concernant la gouvernance des contrats : Faut-il élaborer un contrat des contrats qui porte sur les politiques sociales afin d'avoir une vision transversale des dispositifs subventionnés ? Faut-il intégrer de nouveaux acteurs aux contrats comme les ministères de la justice et de l'éducation nationale pour les CDPPE d'un côté ; et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM), Pôle emploi, les caisses d'allocation familiales (CAF), les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) pour les CALPAE d'un autre côté ? Gardons à l'esprit que ces dispositifs doivent rester les plus souples possibles : si la cosignature d'autres acteurs peut alourdir le processus de contractualisation, la participation de nouveaux acteurs peut aussi prendre d'autres formes, par exemple celle d'un meilleur partage des données ou d'une participation aux instances de pilotage.

Monsieur le ministre, nous sommes à la fin d'un cycle. Vous préparez actuellement les futurs pactes locaux de solidarité qui succèderont aux CALPAE. A la lumière des propos que je viens de tenir, pouvez-vous nous faire un point sur ces pactes de solidarité ? Prendrez-vous en considération la demande des départements d'avoir plus de flexibilité et moins d'indicateurs ?

Madame la ministre, concernant les CDPPE, la nécessité de faire participer d'autres acteurs est en réflexion. Pouvez-vous nous faire un point sur ces travaux au regard de l'analyse que je vous ai livré, à savoir que les deux cosignataires actuels travaillent chacun en direct avec les départements sans concertation ? Quelle est votre feuille de route pour redonner la capacité au DDETS de piloter ces contrats ? Bien entendu, il ne me viendrait pas à l'esprit que les CDPPE soient interrompus.

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