Intervention de Charles de Courson

Réunion du mardi 23 mai 2023 à 21h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson, rapporteur spécial :

La délivrance des cartes nationales d'identité et des passeports connaît depuis plus d'un an une crise sans précédent. Le délai d'attente pour obtenir ces documents atteint des niveaux inégalés, qu'il s'agisse d'une première demande ou d'un renouvellement. Actuellement, il faut compter en moyenne plus de quatre mois pour espérer obtenir sa carte nationale d'identité ou son passeport, et il ne s'agit là que d'une moyenne.

Lors de l'examen du dernier projet de loi de finances, j'ai appelé l'attention du Gouvernement et de la représentation nationale sur ce problème, en déposant un certain nombre d'amendements. Hélas, l'engagement de la responsabilité du Gouvernement avant l'examen des crédits de la mission Administration générale et territoriale de l'État m'a empêché de vous interpeller à ce sujet, monsieur le ministre. C'est pourquoi j'ai choisi d'en faire ma thématique pour le printemps de l'évaluation. Comment en est-on arrivé à de tels délais pour une démarche administrative aussi banale ? Et comment améliorer les choses ?

Tout d'abord, il importe de bien comprendre de quoi il est question lorsqu'on parle des délais de délivrance. Il y a en réalité une succession de délais, qui débute par le temps d'attente d'un rendez-vous pour déposer son dossier dans une mairie équipée d'un dispositif de recueil, destiné à recueillir les empreintes digitales. Ce premier délai est le plus long et le plus dégradé : il est actuellement de 67 jours ouvrés, en moyenne, soit environ trois mois. Il est arrivé à ce niveau dès le deuxième trimestre 2022. Fin 2018, il n'était que de 11,5 jours. Mais il ne s'agit que d'une moyenne ; dans certaines communes, il faut patienter jusqu'à 150 jours, tandis que d'autres n'ont aucun délai ou proposent aux usagers de venir sans rendez-vous.

Une fois qu'un dossier complet a été déposé, il faut encore compter un temps d'attente de 29 jours en moyenne pour obtenir sa carte d'identité ou son passeport, contre 15,8 jours en 2018. Au total, le délai d'attente a augmenté de 69 jours en moyenne par rapport à 2018. Le temps d'attente recouvre lui-même toute une série de délais, qui commence par l'instruction du dossier dans un centre d'expertise et de ressources titres (Cert), dépendant d'une préfecture, se poursuit avec la mise en production du document par l'Agence nationale des titres sécurisés et se termine par sa fabrication à l'Imprimerie nationale, avant l'acheminement dans la mairie où la demande a été déposée.

Lorsqu'on met tous ces délais bout à bout, on obtient un temps d'attente d'environ 96 jours ouvrés, contre 27 en 2018. Cette attente suscite légitimement la colère des usagers, surtout à l'approche des vacances d'été. Lors des examens du PLF, j'avais été étonné par l'absence de véritable indicateur relatif à ces délais dans le projet annuel de performance de la mission Administration générale et territoriale de l'État. Il existe bien un indicateur, intitulé « délai moyen d'instruction des titres », mais il ne mesure en réalité que le temps d'instruction par les Cert. D'après le dernier rapport annuel de performance, ce délai était de 18 jours pour les passeports et de 21 jours pour les cartes nationales d'identité en 2022.

On me répondra sans doute que le temps d'obtention d'un rendez-vous en mairie n'est pas du ressort du responsable du programme 354 Administration territoriale de l'État. Pourtant, la délivrance des titres est bien une compétence de l'État, les communes n'étant finalement que les points de dépôt des demandes et, qui plus est, sur la base du volontariat.

Parlons maintenant des réponses que le Gouvernement a souhaité apporter à cette crise. En mai 2022, soit il y a un an, un plan d'urgence national a été lancé. Il comporte deux axes : accroître l'offre de rendez-vous en mairie, en augmentant le nombre de dispositifs de recueil et en optimisant l'accueil des usagers ; et accélérer l'instruction des demandes, ce qui a impliqué le renforcement temporaire des effectifs des Cert, l'achat de matériel pour l'Imprimerie nationale et la promotion du site de pré-demande en ligne de l'ANTS.

Dans le cadre de ce plan d'urgence a été récemment mis en œuvre le contrat urgence titre. Cette convention conclue entre un maire et le préfet promet une prime de 4 000 euros par DR à toute commune qui accroît le nombre de demandes qu'elle recueille d'au moins 20 %. Par ailleurs, les communes peuvent s'affilier, sur la base du volontariat, à une plateforme commune de prise de rendez-vous pour éviter les doublons, avec une majoration de dotation de 500 euros à la clé.

Ces mesures sont certes bienvenues, mais je ne suis pas certain qu'elles régleront le problème à moyen et long terme. Pour l'heure, il est difficile de bien évaluer leur impact sur les délais qui, après une lente décrue au second semestre 2022, sont repartis à la hausse. À mon sens, ce plan d'urgence ne peut avoir qu'un impact limité, précisément dans la mesure où il est conçu pour traiter une urgence : un problème conjoncturel uniquement provoqué par la hausse saisonnière des demandes de titres à l'approche de l'été et l'effet du rattrapage d'après-covid.

Or la crise actuelle me semble plutôt révélatrice d'un défaut de conception du système de délivrance des titres tel qu'il est mis en œuvre depuis 2017. La fin de la pandémie et la levée des restrictions de voyage n'ont fait qu'accentuer un dysfonctionnement préexistant. J'en veux pour preuve le fait que le délai moyen d'obtention d'un rendez-vous se hissait déjà à 27,9 jours ouvrés en juin 2019.

L'origine des problèmes rencontrés réside dans le fait que nous sommes passés de 36 000 communes où accomplir ces démarches à 2 600, sur la base du volontariat. De plus, le système est déterritorialisé, chaque usager pouvant se rendre dans la mairie de son choix dès lors qu'elle est équipée d'un dispositif de recueil. La compensation financière pour l'installation d'une station d'accueil des demandes n'est guère intéressante pour les communes. Jusqu'à l'année dernière, la dotation forfaitaire pour les titres sécurisés (DTS) s'élevait à 8 580 euros par an et par DR, avec une majoration de 3 550 euros pour les DR enregistrant plus de 1 875 demandes par an.

Lors de l'examen du dernier PLF, j'ai plaidé pour un système strictement proportionnel. J'ai été en partie entendu : depuis le 1er janvier, la DTS se compose d'une base de 9 000 euros et d'une part fonction du nombre de demandes, qui peut atteindre 12 500 euros pour les DR enregistrant plus de 4 000 demandes par an, soit une dotation globale pouvant atteindre, en incluant la majoration de 500 euros attachée à l'adhésion à une plateforme commune de prise de rendez-vous, 22 000 euros par DR.

Je salue cette évolution, mais je continue de plaider pour une compensation entièrement proportionnelle – tant d'euros par titre – assortie d'un malus en cas de sous-utilisation d'un DR. J'ai en effet relevé des écarts considérables : les 10 % des DR les plus utilisés traitent en moyenne 500 demandes par mois, alors que les 10 % les moins utilisés n'en traitent qu'une vingtaine.

Le déploiement des DR dans les territoires n'est pas seul en cause ; les moyens alloués par les communes les expliquent aussi. Certaines proposent des rendez-vous toute la semaine, d'autres sur des créneaux réduits, d'autres enfin donnent la priorité – ce qui est en principe interdit – à leurs habitants ou à ceux de l'intercommunalité au détriment de ceux qui n'en font pas partie. Je recommande donc que les conventions signées avec les mairies fixent des objectifs quantitatifs en matière de délai de fixation des rendez-vous, au lieu de se borner à régir la gestion matérielle des DR.

Par ailleurs, je suis favorable à une augmentation des droits de timbre sur les titres d'identité, afin d'améliorer la compensation financière des communes. Je rappelle que la carte nationale d'identité est gratuite depuis 1998 – elle coûtait environ 25 euros auparavant, et tel est toujours le cas en cas de perte – alors même qu'il n'est pas obligatoire d'en détenir une. Sachant que 5,5 millions de cartes nationales d'identité sont produites chaque année et que la délivrance des passeports est payante, à un prix d'ailleurs très supérieur, rétablir ce montant représenterait une ressource de 137,5 millions d'euros.

Je précise pour terminer que mon rapport traite également des titres de séjour. La question étant très différente, puisque leur délivrance relève des préfectures et sous-préfectures et qu'ils ne font pas l'objet d'une actualité aussi brûlante que les cartes d'identité et les passeports, j'ai préféré concentrer mon propos sur ces derniers.

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