En avril 2019, se déclarait dans la cathédrale Notre-Dame de Paris un incendie qui a stupéfié la France entière. Un peu plus d'un an plus tard, c'était le tour, pour d'autres raisons, de la cathédrale de Nantes. Ces incendies ont de nouveau montré, malheureusement, la fragilité de ces monuments que l'on croyait à tort présents pour l'éternité.
Quelques mois après l'incendie de Notre-Dame, le ministère de la culture initiait un vaste plan « sécurité cathédrales » pour les cathédrales appartenant à l'État, à savoir les 87 cathédrales répondant, à quelques exceptions près, au sens originel du terme, c'est-à-dire accueillant le siège de l'évêque, la cathèdre.
Cela a commencé dès octobre 2019 par un vaste audit des différents monuments, et je tiens ici à saluer l'important travail mené par la mission sécurité sûreté audit du ministère (MISSA), avec des professionnels de la sécurité incendie, qui a mené ces audits avec les DRAC. Cela a débouché sur un plan spécifique qui fait l'objet du présent rapport d'évaluation, que j'ai souhaité réaliser pour trois raisons majeures.
Tout d'abord, il s'agit d'un enjeu patrimonial essentiel. Ensuite, il a monopolisé, et monopolise toujours, d'importants crédits : en inscription budgétaire, 24 millions en AE et 16 millions en CP sur la première phase 2021/2022, auxquels sont venus s'ajouter 7,4 millions au titre du plan de relance, et pour le second volet décidé en 2023, 12 millions en AE et CP. D'autre part, il s'agit d'un sujet sensible pour nos concitoyens, on l'a notamment vu lors de l'incendie de Notre-Dame. Les Français ne comprendraient pas que le maximum ne soit pas fait pour la sauvegarde de ces monuments emblématiques.
Comment ce plan a-t-il été mis en œuvre ? Répond-il aux objectifs initiaux ? Existe-t-il des points d'amélioration ? Telles sont les questions auxquelles j'ai tenté de répondre dans ce rapport, en interrogeant bien sûr les services du ministère, que je remercie de leur concours, en allant sur différents sites, en échangeant avec plusieurs associations, les sapeurs-pompiers, les architectes des bâtiments de France (ABF), certaines associations d'amis de cathédrales, le centre des monuments nationaux (CMN), et aussi les affectataires, c'est-à-dire le clergé.
Avant de rentrer dans le détail – vous disposez d'une synthèse du rapport, et je remercie Mme Lucero qui m'accompagne pour sa réalisation –, je dirais que ce plan constitue une avancée incontestable dans la protection du patrimoine culturel appartenant à l'État et qu'il est très correctement mis en œuvre. Cependant, quelques ajustements seraient utiles, et deux questions majeures se posent, dont celle de son extension.
Ce plan concerne les 87 cathédrales appartenant à l'État. Il y avait déjà, auparavant, des travaux de sécurité, et la MISSA, que j'évoquais, a été créée en 1996. Mais ils figuraient dans l'enveloppe globale consacrée aux cathédrales, en moyenne de 40 millions d'euros annuels ces dernières années, auxquels sont venus se rajouter 76 millions du plan de relance.
Certains travaux de sécurité pouvaient être considérés comme non essentiels ou non urgents et reportés. De fait, le premier apport du plan consiste à flécher des crédits spécifiquement consacrés à la sécurité incendie. On peut évidemment toujours regretter que cela n'ait pas été le cas avant et qu'il ait fallu une catastrophe pour ériger cette priorité, mais il ne s'agit pas ici de réécrire le passé.
Finalisé en 2020 à l'issue des audits, le plan en lui-même prévoit 47 mesures regroupées en huit axes principaux :
– limiter les risques d'éclosion en portant une attention toute particulière aux installations électriques et aux procédures mises en œuvre à l'occasion de travaux, c'est-à-dire des mesures de bon sens puisque 28 % des départs de feu sont liés à une défaillance électrique et 21 % sont liés à des travaux ;
– réduire les risques de développement et de propagation avec des dispositions constructives, techniques ou organisationnelles adaptées. J'ai pu voir à la cathédrale de Soissons d'importants travaux sur les colonnes sèches ou sur le recoupement des combles, ce qui représente des travaux importants pour éviter la diffusion d'un feu ;
– faciliter l'action des sapeurs-pompiers ;
– entretenir des relations privilégiées avec les services de secours ;
– encadrer les conditions d'exploitation des différentes activités, notamment les concerts par exemple ;
– réduire les conséquences d'un sinistre par la mise en place notamment d'un plan de sauvegarde des biens culturels (PSBC) ;
– renforcer la formation des acteurs sur les enjeux de sécurité incendie pour limiter les « pratiques à risque », c'est-à-dire des petites actions à première vue anodines mais in fine très dangereuses, comme par exemple le stockage de matériel inflammable les combles ;
– mettre en place des outils de gestion et des mesures organisationnelles.
Il existe donc sur 2021 et 2022 un plan, qui a associé les différents acteurs concernés. En 2021, la consommation, selon les rapports d'activité et de performance du ministère, a été de 10,8 millions d'euros en AE et 6,2 en CP ; et en 2022 de 9,9 millions d'euros en AE et de 9,86 millions en CP. Ce sont parfois des interventions lourdes, qui nécessitent des études spécifiques. Tout n'a pas été consommé mais il y a eu, et j'ai pu le constater à travers différents échanges et la consultation de notes et rapports internes, une véritable mobilisation des services déconcentrés sur cette action.
Nous sommes sur la bonne voie, même s'il reste du travail à accomplir. Il y a trois ans, quinze cathédrales avaient reçu un avis défavorable des pompiers. Début 2023 elles n'étaient plus que quatre, et des mesures sont en cours. Aujourd'hui, vingt cathédrales sont au « niveau de référence », soit sensiblement au-dessus du réglementaire.
En outre, il y a eu un changement de paradigme : si la sécurité des personnes demeure essentielle, la protection des biens est désormais pleinement intégrée. Il faut aussi s'assurer de la protection des œuvres, en exigeant un PSBC. Les pompiers doivent savoir quelles sont les œuvres majeures, où elles sont situées et quelles sont leurs caractéristiques, pour pouvoir organiser leur intervention. Pour l'heure, il reste une vingtaine de plans à finaliser.
On peut donc saluer ces avancées, mais également le deuxième volet du plan, annoncé il y a quelques semaines, qui comporte onze mesures supplémentaires comme la généralisation des caméras thermiques et le renforcement de la surveillance lors des travaux, avec une enveloppe de 12 millions d'euros supplémentaires.
Dans le même temps, je me dois de souligner les limites que j'ai constatées lors de mon évaluation. Tout d'abord deux points techniques doivent être mentionnés. D'une part, le rôle des ABF, qui sont responsables de la sécurité des cathédrales, doit sans doute être mieux reconnu. Les cathédrales appartenant à l'État ont certes un affectataire, le clergé, mais le responsable unique de sécurité (RUS) est un ABF. Ce plan les a particulièrement mobilisés et a renforcé leur rôle mais aussi les sollicitations dont ils font l'objet alors même que le flux d'effectifs est tendu.
L'éloignement territorial entre le chef-lieu du département et certaines cathédrales joue aussi dans leur capacité de réponse. Le soutien ponctuel d'experts aux ABF annoncé en avril dernier s'apparente à une réponse partielle qui devrait être plus ambitieuse, et sans doute faudrait-il mieux reconnaître les contraintes, notamment d'astreinte, qui pèsent sur les ABF qui exercent les fonctions de responsables uniques de sécurité.
D'autre part, la sécurité incendie optimale des cathédrales peut nécessiter des moyens techniques très pointus dont tous les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ne disposent pas. Les incendies ont mis en évidence les difficultés d'intervention pour les pompiers, ce qui implique d'investir dans du matériel spécifique, à l'instar des « berces », ces containers permettant de stocker les biens culturels dans les premiers instants d'une intervention. Mais ce matériel est onéreux (40 000 euros l'unité) et seuls les SDIS de l'Oise et de Gironde en disposent. Or, compte tenu de leur situation financière délicate, les SDIS ne peuvent pas forcément investir dans tout le matériel nécessaire. Cela peut parfois constituer une lacune pour optimiser la sécurité.
Il existe aussi un souci majeur, qui est la surveillance et la sûreté des monuments. Vous pouvez avoir les meilleurs systèmes de sécurité du monde, si n'importe qui peut rentrer faire n'importe quoi, le système a ses limites. En outre, le vandalisme se répand dans nos édifices religieux.
La situation est très variable selon les cathédrales. Dans certaines cathédrales grandes et connues comme Chartres ou Reims, il y aura toujours des membres du clergé, des salariés pour l'accueil ou la vente de produits, de nombreux bénévoles. En revanche, dans d'autres cathédrales il n'y a quasiment personne en dehors des offices. Les bénévoles qui sont souvent âgés, ne peuvent pas tout faire et l'affectataire n'a pas toujours les moyens financiers de prendre des salariés. Il y a à mon sens un vrai enjeu de présence humaine sur des sites, dont la vocation est d'être largement ouverts au public, auquel il convient de réfléchir. Parmi les pistes envisagées figure l'élargissement des facultés d'intervention des services civiques.
Enfin, il faut mentionner la situation des cathédrales n'appartenant pas à l'État, souvent appelées les « anciennes » cathédrales. Elles représentent plus de 90 édifices, et non des moindres comme Laon, Lisieux, c'est-à-dire les cathédrales qui n'étaient plus le siège du diocèse au moment de la Révolution française et qui appartiennent aux collectivités territoriales et principalement aux communes. Il convient aussi de mentionner quelques rares cathédrales construites après la loi de 1905.
J'ai entrepris de lancer une enquête en direction des collectivités propriétaires auquel 20 % d'entre elles ont répondu. J'en retiens les éléments suivants :
– la plupart des communes n'ont pas de budget dédié et celui-ci est fluctuant ;
– il n'y a pas eu d'avant et d'après Notre-Dame, c'est-à-dire que la sécurité est bien sûr prise en compte dans le cadre des travaux courants, comme c'était le cas pour les cathédrales appartenant à l'État, mais il n'y pas eu de priorité accordée à ce thème ;
– pour leurs travaux, si les communes comptent sur le soutien financier de l'État, qui est un partenaire incontournable, et des autres collectivités, l'immense majorité est favorable à un meilleur accompagnement financier mais aussi technique de la part des services de l'État.
Or la situation bâtimentaire de ces cathédrales est la même quel que soit le propriétaire et le grand public ignore cette distinction. Cela implique à mon sens, d'une part, de diffuser largement les « bonnes pratiques » du plan, et, d'autre part, de créer une ligne spécifique dans les soutiens de l'État aux cathédrales des collectivités, pour la sécurité, avec un accompagnement technique et financier spécifique.