Depuis que je suis devenu rapporteur spécial de la mission culture à l'été 2022, la question des écoles nationales supérieures d'architecture (Ensa) a attiré mon attention. À l'automne, j'ai reçu une première fois des représentants de ces écoles et le 28 octobre, j'ai fait part dans l'hémicycle de mon intention de mener une évaluation poussée de ces établissements, qui sont cruciaux pour nos logements, notre avenir et notre transition écologique.
Comme plusieurs d'entre vous le savent, et tout particulièrement ceux dont la circonscription comporte une Ensa, ces écoles connaissent actuellement des turbulences nées d'un mouvement de contestation apparu au début de l'année au sein de l'Ensa de Rouen, qui s'est ensuite diffusé dans la quasi-totalité de ces établissements et qui dénonce un manque de moyens des Ensa. Ce mouvement social ne constitue pas une première puisqu'en 2020, déjà, des tensions en avaient affecté certains.
C'est donc dans ce contexte que j'ai décidé de me pencher plus en détails sur les Ensa et que, sur ma proposition, le président Éric Coquerel a sollicité le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) pour disposer d'une étude sur ce sujet. Je tiens ici à remercier chaleureusement le HCERES d'avoir accédé à ma demande et à saluer l'innovation que constitue cette demande. C'est en effet la première fois qu'est utilisée une disposition de la dernière modification de la LOLF portée par Éric Woerth et Laurent Saint-Martin, c'est-à-dire le fait pour la commission de demander à une autorité publique indépendante de participer à ses travaux d'évaluation.
Les Ensa sont les vingt écoles d'architecture publiques, qui rassemblent 20 000 étudiants et forment ainsi 95 % des étudiants en architecture sur notre territoire. En complément, un peu plus d'un millier de jeunes suivent des formations en architecture dans trois autres écoles françaises et un peu plus d'un autre millier sont formés à l'étranger.
D'un point de vue administratif, les Ensa sont placées sous la tutelle conjointe du ministère de la culture et du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui pose certains problèmes. À la suite de réformes entreprises en 2005 et en 2018, l'organisation des écoles d'architecture se rapproche de plus en plus de celle des établissements d'enseignement supérieur classiques mais des différences significatives demeurent. Par exemple, 70 % des personnels des écoles sont encore gérés par le ministère de la culture alors que dans les universités, ces personnels sont gérés par les facultés.
Le financement de ces écoles repose de manière prépondérante sur des crédits du ministère de la culture qui, en 2023, leur consacrera plus de 233 millions d'euros, dépenses de grands investissements incluses, ce qui représente un budget en croissance de 20 % par rapport aux crédits exécutés en 2022. La dépense moyenne par étudiant en Ensa est ainsi proche de 11 300 euros, contre 13 000 euros dans l'enseignement supérieur.
Le financement des Ensa par le ministère de la culture est complété à la marge par les concours d'autres ministères, les ressources propres des écoles et des crédits, pour le coup significatifs mais imparfaitement connus, des collectivités territoriales. Pendant mes travaux, je me suis longuement interrogé sur les ressources propres des Ensa : à l'heure actuelle, elles ne représentent, en moyenne, que 15 % des recettes des écoles, avec des écarts très marqués d'une école à l'autre, allant du simple au sextuple. Il y a là, selon moi, un vrai sujet.
Pourquoi ces ressources sont-elles si faibles ? Plusieurs raisons y concourent. La première tient à la faiblesse des droits d'inscription. Un étudiant en première année d'architecture paie 373 euros contre entre 438 et 500 euros dans les autres établissements de l'enseignement supérieur culture. La faiblesse des droits d'inscription résulte également de la curieuse décision du ministère de la culture de ne pas appliquer de droits d'inscription différenciés aux étudiants extracommunautaires, ce que tous les autres ministères ont fait.
La deuxième raison est liée au fait que les Ensa ont, malgré des injonctions répétées, trop peu investi le champ de l'alternance et de la formation continue, deux modalités de formation qui permettent de dégager des ressources propres significatives.
Une troisième explication tient à la réticence culturelle de plusieurs Ensa à se rapprocher du monde de l'entreprise via des actions partenariales, alors même que ce monde de l'entreprise, privée comme publique, absorbe une partie très significative des diplômés des Ensa. Vous l'avez compris, aujourd'hui, une question centrale se pose : les Ensa ont-elles les capacités financières et opérationnelles pour fonctionner correctement ? Mon constat est sans appel : non, elles ne les ont pas.
Des chantiers ont été engagés, notamment grâce à vous, Madame la ministre. Cependant, en dépit d'un effort important du ministère à leur égard, des faiblesses majeures affectent toujours les Ensa. Je souhaite saluer l'effort engagé depuis 2018. Il a tout d'abord concerné les ressources humaines. Depuis cinq ans, près de 115 enseignants contractuels ont été titularisés, et cette année, des revalorisations et alignements salariaux au bénéfice des enseignants et doctorants sont d'ores et déjà engagés.
Cet effort a également touché l'investissement courant des écoles et principalement l'investissement dans le parc immobilier. Depuis 2020, 88 millions d'euros d'investissements ont été réalisés. Les Ensa de Marseille, de Toulouse et de Versailles sont ainsi concernées. Dans son étude, le HCERES qualifie cet effort d'investissement de « remarquable ».
Cependant, des difficultés substantielles demeurent. J'en dénombre trois, auxquelles il convient de s'attaquer sans attendre. La première tient aux conditions d'exercice de la tutelle. La cotutelle exercée par le ministère de la culture et par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR) ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Alors que j'ai communiqué au MESR un questionnaire sur la gestion des Ensa, je n'ai toujours pas obtenu de réponse, malgré de nombreuses relances. Cela illustre l'inattention parfaitement évidente sur le terrain qu'il porte à ces écoles, dont il a pourtant la cotutelle.
Ensuite, il n'est pas normal que le ministère de la culture ne connaisse pas le ratio d'emplois administratifs nécessaires au bon fonctionnement d'une Ensa, ni le devenir des étudiants au-delà d'un horizon de trois ans après l'obtention de leur diplôme. Il n'est pas normal qu'il ne connaisse pas le détail des ressources propres des établissements et ignore le nombre de stagiaires en formation continue non diplômante dans ces établissements et qu'il ne réponde pas aux courriers et sollicitations que lui adressent des directeurs d'établissement.
Ensuite, comme le soulèvent les directeurs, les équipes enseignantes, les personnels et les étudiants, les moyens humains et immobiliers sont insuffisants. Les équipes administratives des Ensa sont trop peu nombreuses et le parc immobilier demeure également hétérogène. J'ai pu constater de mes yeux l'état de dégradation avancé des locaux de l'Ensa de Paris-La Villette. Des améliorations ont été apportées mais elles restent insuffisantes : des bâtiments pourtant livrés très récemment ne sont pas aux normes thermiques, je l'ai vu à Strasbourg. Madame la ministre, vous avez annoncé un plan d'urgence pour traiter les points les plus sensibles. C'est un début mais il faut aller beaucoup plus loin.
La troisième faiblesse des Ensa est d'ordre financier. Les subventions pour charges de service public versées aux écoles sont inégalement réparties et, contrairement à ce qui est pratiqué par le MESR, l'exonération des droits d'inscription accordée à certains étudiants n'est pas compensée aux établissements, ce qui est incompréhensible.
Ces multiples problématiques témoignent d'un regrettable manque antérieur d'attention aux Ensa qui, heureusement, semble en voie de correction. Il reste cependant encore un long chemin à accomplir. Pour y parvenir, il est désormais nécessaire de donner un cap clair aux Ensa. L'État doit non seulement contribuer à leur financement, mais aussi et surtout comprendre que la solution à leurs problèmes ne se résume pas dans une dotation supplémentaire. La définition de ce cap revient à l'État, en partenariat avec les écoles. Il doit poursuivre la remise à niveau du parc immobilier, compléter les effectifs administratifs et rénover les conditions d'exercice de la tutelle.
Mais tout ne doit pas venir de l'État. D'un point de vue financier, les Ensa doivent revoir leur modèle. Ces écoles doivent relever très sensiblement leurs ressources propres en mettant fin au gel des droits d'inscription et en instituant des droits d'inscription différenciés en direction des étudiants extracommunautaires. Les coopérations avec le monde de l'entreprise, privée comme publique, doivent également être menées.
Je crois aussi nécessaire d'encourager les collectivités territoriales à devenir propriétaire des locaux des Ensa. À l'heure actuelle, moins de 3 % des bâtiments des Ensa appartiennent à des collectivités territoriales quand 12 % de l'immobilier universitaire appartient à des collectivités territoriales. Il y a là une marge de manœuvre.
Enfin, des voies d'économies méritent d'être suivies, notamment dans le cadre des établissements publics expérimentaux (EPE). Aujourd'hui, quatre Ensa font partie d'EPE. Mutualisation des moyens, dégagement de nouvelles ressources ou encore mise à disposition de personnels : le bilan de ces participations répond aux problématiques auxquelles les Ensa sont confrontées. La voie des EPE doit donc être approfondie.
Je terminerai en disant qu'à mon sens, les Ensa sont à la croisée des chemins. Avec l'appui de l'État conditionné à des efforts menés par les écoles, ces dernières continueront à former les bâtisseurs et rénovateurs de nos bâtiments, qui sont plus que jamais essentiels. C'est la raison pour laquelle je déposerai une proposition de résolution visant à appuyer ces conclusions. Enfin, je tiens ici, Monsieur le président, à remercier devant cette commission Laurent Delrieu, administrateur et Aurore Denimal qui m'ont accompagné au cours de ces travaux.