Intervention de Carole Grandjean

Réunion du mardi 30 mai 2023 à 17h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du Travail, du plein-emploi et de l'insertion et du ministre de l'Éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l'enseignement et de la formation professionnels :

Je suis ravie d'intervenir à nouveau devant votre commission pour présenter la réforme du lycée professionnel.

Le Président de la République a positionné publiquement, le jeudi 4 mai, la réforme du lycée professionnel comme une « cause nationale » et comme l'un des grands rendez-vous de la nation avec elle-même.

Cette réforme ambitieuse et décisive pour l'avenir des jeunes des lycées professionnels de notre pays se décline en trois grands leviers. Le premier vise à mieux accompagner chaque lycéen dans son parcours, y compris en cas de décrochage pendant le lycée ou après. Le deuxième levier permettra un meilleur taux d'insertion des élèves et tend à faire du lycée professionnel un véritable outil de formation au service de notre économie et de la réussite des élèves. Le troisième et dernier levier est essentiel, puisqu'il s'agit de donner aux équipes éducatives les moyens d'agir.

J'ai déjà pu partager avec vous le constat préoccupant qui s'est imposé à nous à propos des lycées professionnels et qui nous oblige à réagir. Vous connaissez sans doute les chiffres qui caractérisent la voie professionnelle et dont nous ne pouvons nous satisfaire.

Les lycées professionnels accueillent chaque année un tiers des lycéens : un lycéen sur trois est en lycée professionnel, soit 621 000 élèves et 64 000 apprentis. Pourtant, cette voie concentre davantage de jeunes en difficulté qui la subissent plus qu'ils ne la choisissent.

Plus alarmant encore, aujourd'hui, moins d'un bachelier professionnel sur deux parvient à s'insérer dans l'emploi dans les six mois suivant l'obtention de son diplôme. Nous ne pouvons pas fermer les yeux devant cette injustice, cette réalité qui est source de frustrations pour les jeunes, leurs familles et les enseignants et l'ensemble des équipes éducatives. Elle est dommageable pour le pays dans son ensemble, car les filières de la voie professionnelle permettent aux lycéens de se former dans des secteurs essentiels pour notre économie, tels que l'énergie, la restauration, les métiers du BTP et du soin.

Pour toutes ces raisons, dès sa campagne présidentielle, le Président de la République s'était engagé à réformer les lycées professionnels. Trois indicateurs pour atteindre cet objectif de meilleure réussite des élèves et cette volonté de valoriser la voie professionnelle en tant que filière et voie de formation d'excellence ont été établis : l'amélioration du taux d'insertion professionnelle des lycéens, l'amélioration de la réussite des poursuites d'études, et la lutte contre le décrochage scolaire.

Vous le savez, la réforme découle d'une large consultation de l'ensemble des parties prenantes de l'écosystème des lycées professionnels, avec qui des échanges ont fait évoluer considérablement le projet initial.

Dès la rentrée 2022, un travail de concertation de terrain a été mené pour bâtir collectivement cette réforme. J'ai installé quatre groupes de travail, constitués des représentants des élèves et de leurs parents, des représentants d'établissements et des académies, des partenaires sociaux, des représentants des régions, qui se sont réunis pendant plus de trois mois pour imaginer le lycée professionnel de demain et répondre aux difficultés qu'il rencontre aujourd'hui. Nous avons eu l'occasion de faire des points d'étape réguliers sur l'avancement des travaux de cette réforme, le 9 janvier dernier, à l'Assemblée nationale, dans le cadre d'un débat sur la voie professionnelle, puis ici en audition devant votre commission, le 28 février dernier.

Cette réforme entrera en vigueur de manière progressive, échelonnée, et laissera la place aux initiatives locales des lycées professionnels pour ajuster au mieux les projets des établissements aux profils des élèves et aux réalités du terrain.

C'est une réforme globale, qui vient du terrain et s'appliquera différemment d'un lycée à un autre, avec autant de projets d'établissement qui seront autant de traductions concrètes de la réforme que je conduis.

Cet objectif de réussite des élèves au travers des indicateurs que je citais se traduira par de mesures qui s'installeront dès la rentrée 2023 et sera plus pleinement atteint à la rentrée 2024.

Je le rappelle, des moyens considérables ont été consentis en faveur de cette réforme du lycée professionnel. Plus d'un milliard d'euros par an sera investi dans le lycée professionnel et ce sont 2 100 établissements qui, dès la rentrée 2023, disposeront d'un chargé des relations avec les entreprises. C'est inédit ! En outre, et comme je l'ai déjà annoncé, les effectifs de professeurs seront maintenus et nous prévoyons un renfort d'effectif en personnels pédagogiques et d'accompagnement, notamment sur les questions sociales. Je pense aux conseillers principaux d'éducation (CPE), aux infirmiers et assistants sociaux.

Ce sont également 2,5 milliards d'euros qui sont mobilisables via France 2030 pour accompagner le financement des plateaux techniques, la formation des enseignants et travailler à l'attractivité et la mise en lumière de certaines filières d'avenir pour participer à l'effort d'orientation et d'attractivité de ces filières.

Je l'ai dit, cette réforme est ambitieuse et son contenu est dense. Elle permettra au personnel pédagogique de mobiliser les leviers correspondant aux enjeux qui sont les leurs pour favoriser la réussite des élèves.

Trois leviers nous permettront de faire de la voie professionnelle une filière d'excellence.

Le premier vise à renforcer l'accompagnement des élèves de lycée professionnel et à lutter contre le décrochage. Ce premier levier est fondamental et se déploie autour de six mesures.

Premièrement, comme le Président de la République s'y était engagé, les stages des élèves de la voie professionnelle seront gratifiés par l'État dès la rentrée prochaine. Il s'agira à la fois de motiver et de valoriser ces élèves avec une gratification allant de cinquante euros à cent euros selon les années. Un élève de lycée professionnel pourra ainsi recevoir de l'État jusqu'à 2 100 euros pendant ses trois années de formation en bac professionnel. Il s'agit de responsabiliser l'élève sur ce temps en entreprise qui concourt à sa formation, de responsabiliser l'établissement pour que l'élève suive un stage de PFMP (période de formation en milieu professionnel) en entreprise qui soit de qualité et cohérent avec sa formation, et de responsabiliser l'entreprise qui accueille un jeune dont la gratification est financée par l'État qui doit concourir, en lien avec l'établissement, à la formation de ce jeune.

La deuxième mesure que je souhaite mettre en lumière est l'intensification de l'accompagnement des élèves, afin qu'ils réussissent mieux scolairement. À partir de la rentrée 2024, le soutien en petits groupes pour les élèves les plus fragiles sera généralisé en français et en mathématiques dans tous les établissements. Les lycées volontaires pourront mettre en place cette mesure dès la rentrée prochaine, quelle que soit la discipline.

Au-delà des savoirs fondamentaux, les élèves de la voie professionnelle pourront, comme leurs camarades des voies générale et technologique, choisir des matières optionnelles. Cela se fera dès la rentrée prochaine, dès lors que des professeurs volontaires s'engageront pour les enseigner. C'est notre troisième mesure.

Notre quatrième mesure concerne l'année de terminale. Celle-ci sera adaptée au projet de l'élève. Certaines épreuves nationales du bac seront ainsi passées plus tôt dans l'année, à compter du bac 2025.

Certains élèves souhaitent s'insérer professionnellement dès l'obtention de leur diplôme. Pour leur assurer une insertion professionnelle plus efficace, la durée des stages sera augmentée de 50 %. Les autres, qui souhaitent poursuivre leurs études après l'obtention du bac, suivront quatre semaines supplémentaires de cours intensifs afin de leur donner les moyens de mieux réussir cette étape dans leur parcours qui est, à ce jour, souvent un échec puisqu'un élève sur deux ne réussit pas à obtenir son diplôme et renonce avant son obtention lorsqu'il poursuit des études.

Avec cette organisation, l'année de terminale poursuivra deux objectifs : permettre aux élèves de passer leur bac dans de meilleures conditions et leur offrir une rampe de lancement pour la suite de leur parcours – celle qu'ils auront choisie et que nous organiserons pour les accompagner au mieux.

C'était un chaînon manquant. Or, pouvoir mieux accompagner des jeunes dans leur projet et faire en sorte que, quel que soit celui-ci, nous soyons en mesure de les faire réussir, est un enjeu majeur de valorisation de la voie professionnelle. C'est indispensable car si le jeune ne sait pas, en entrant au lycée professionnel, qu'il peut poursuivre des études s'il le souhaite, nous nous heurterons à une dévalorisation de la voie professionnelle, tout comme s'il n'est pas convaincu que tout sera mis en œuvre pour favoriser son insertion professionnelle si tel est son choix.

Une autre mesure porte sur la création de trois nouveaux dispositifs pour prévenir les risques de décrochage, pendant et après le lycée. Je pense d'abord au dispositif « Tous droits ouverts », qui ambitionne de prévenir et d'éviter les situations de décrochage en proposant très rapidement aux jeunes concernés une palette de solutions adaptées à leur situation.

En la matière, la détection des premiers signaux de décrochage par les équipes éducatives sera essentielle, tout autant que la mobilisation de l'ensemble des acteurs territoriaux susceptibles d'aider ces jeunes à retrouver une motivation. Je pense ici aux établissements pour l'insertion dans l'emploi (Épide), aux écoles de la deuxième chance, à l'Agence du service civique, aux microlycées et à tous les dispositifs qui savent accompagner des élèves en situation de décrochages. Expérimenté depuis quelques semaines dans huit académies, « Tous droits ouverts » sera généralisé à la rentrée scolaire 2023.

Un deuxième dispositif de prévention des risques de décrochage, « Ambition emploi », sera également mis en place à cette date pour aider les jeunes qui se retrouvent sans solution après leurs années de lycée. Tout en conservant leur statut d'élève pendant quatre mois, jusqu'au 31 décembre, ils bénéficieront, pendant cette période, de stages, d'immersions dans des classes de terminale, d'un appui à la recherche d'un emploi ou d'un contrat d'apprentissage, de rencontres avec des recruteurs. Notre objectif est de ne pas laisser ces jeunes sans solution à la rentrée suivant l'obtention de son bac. À l'issue de ces quatre mois, les jeunes qui demeureraient sans solution se verront proposer un contrat d'engagement jeune.

Enfin, un parcours de consolidation sera proposé, dès le mois de décembre, aux étudiants en première année de BTS (brevet de technicien supérieur), dès lors qu'ils rencontrent des difficultés. Ce parcours, proposé dès cette année dans les lycées volontaires, leur permettra de consolider des savoirs académiques et méthodologiques durant quelques mois. Pour cela, des professeurs de lycée professionnel engagés viendront renforcer l'équipe pédagogique de BTS. À l'issue du conseil de classe de juin, les jeunes les plus en difficultés pourront préparer leur BTS en trois ans. Ceux qui auront su bénéficier de cette consolidation passeront directement en seconde année.

Notre dernière mesure concernant ce premier grand levier est la construction de partenariats extérieurs, qui nous permettront également de mieux préparer l'insertion professionnelle des élèves.

Comme vous le savez, l'expérimentation AvenirPro se déploie actuellement auprès de 8 000 élèves. Des conseillers de Pôle emploi les aident à rechercher des opportunités d'emploi, à apprendre à identifier et à valoriser leurs compétences, et à mieux comprendre les attentes des employeurs. AvenirPro sera étendue progressivement à tous les élèves en dernière année de lycée professionnel qui souhaitent s'insérer dans l'emploi après leur diplôme : la moitié d'entre eux dès la prochaine rentrée scolaire, et tous à compter de la suivante.

Des partenariats avec les principales associations d'accompagnement des jeunes permettront par ailleurs de déployer le dispositif « 1 jeune, 1 mentor » dans les lycées professionnels, à partir de la prochaine rentrée scolaire. Véritable levier d'émancipation, ce dispositif permettra à tous les élèves d'être accompagnés et soutenus par un mentor, s'ils le souhaitent, dans tous les lycées professionnels.

Le deuxième levier vise à faire du lycée professionnel une solution aux grands défis de notre économie.

La souveraineté industrielle, numérique ou énergétique ne se concrétisera pas sans souveraineté des compétences. Nous devons donc adapter le lycée professionnel pour que, dès aujourd'hui, il propose une offre de formation qui prépare aux grands défis de demain et ces jeunes à leur avenir professionnel.

À cette fin, il est proposé de rénover en profondeur un quart des diplômes d'ici à la rentrée 2025. Certains diplômes ont, en effet, été conçus il y a plus de vingt ans et seulement 30 sur 550 sont rénovés en profondeur chaque année. C'est donc une accélération de cette révision que nous visons pour mieux nous adapter à la transformation des métiers, en tenant compte des grandes transitions en cours, notamment écologique, numérique et démographique.

Il conviendra de changer l'offre de formation des lycées professionnels. Nous souhaitons accélérer l'évolution des formations proposées, en les adaptant aux enjeux de l'économie et en fermant les formations qui mènent insuffisamment à l'emploi et à la poursuite d'études. L'objectif ici est clair, le Président de la République l'a rappelé lors de l'annonce de la réforme : fermer, d'ici à la rentrée 2026, toutes les formations n'offrant ni perspectives d'emploi ni possibilités suffisantes de poursuites d'études réussies. C'est un engagement que nous devons prendre vis-à-vis de ces jeunes.

Transformer la carte des formations est une opération certes difficile, même lorsque l'on constate une insertion professionnelle objectivement médiocre après l'obtention du diplôme. Afin d'accompagner cette réforme, des moyens seront mobilisés via le plan France 2030 pour cofinancer avec les régions, dont c'est la compétence, le renouvellement des plateaux techniques, mais aussi la formation des professeurs. Ce sont 2,5 milliards d'euros qui seront mobilisés à cet effet. Aujourd'hui déjà, des formations ouvrent et ferment chaque année ; il s'agit d'accélérer ce processus. Des outils de pilotage seront déployés pour mieux mesurer les taux d'insertion et les taux de poursuite d'études, formation par formation, pour soutenir les établissements dans leur prise de décision et les propositions qu'ils pourront présenter en matière d'évolution de leur offre de formation.

Bien sûr, nous sommes tous sensibles aux interrogations que ces transformations peuvent susciter, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle. Dès lors que nous savons que des formations n'ouvrent pas de perspectives de réussite – ni en insertion professionnelle ni en poursuite d'études réussies –, nous ne pouvons accepter le statu quo. Nous organiserons donc, dans une philosophie de respect de la promesse républicaine, des propositions de formations de qualité offrant la possibilité d'une insertion professionnelle mais aussi d'une poursuite des études – j'insiste sur ces deux options.

Nous créerons des formations de spécialisation post bac pro, en cohérence avec les entreprises locales et les enjeux économiques. Cette modalité est très attendue des entreprises et permettra aux lycéens de parfaire leur formation dans un domaine pour multiplier leurs chances d'y être embauchés. Nous constatons, sur les spécialités déjà développées, une augmentation de vingt points du taux d'insertion. Le plus souvent en apprentissage, ces formations permettent de préparer l'insertion et de débuter sa vie professionnelle avec une expérience en entreprise. Le nombre de places en formation de spécialisation passera de 4 500 à l'heure actuelle à 20 000 d'ici à la rentrée 2026.

Enfin, bien que les élèves de lycée professionnel alternent cours et stages en entreprise, il ne leur est pas toujours facile de trouver un stage, souvent faute de réseau professionnel. Un bureau des entreprises sera donc créé dans chaque lycée professionnel dès la rentrée prochaine. Il permettra aux entreprises de vos territoires de venir facilement présenter des stages aux jeunes et, à votre lycée, de les prospecter davantage pour proposer des stages de qualité aux élèves. Il s'agira donc de créer un bureau des entreprises dans chaque lycée professionnel dans le but de mettre en place des partenariats avec les acteurs du territoire, d'organiser les temps de stage et d'alternance ou de contribuer aux démarches d'orientation-information–insertion des publics accueillis.

Le troisième levier vise à donner aux personnels éducatifs des moyens inédits pour se saisir de la réforme.

Aujourd'hui, le professeur de lycée professionnel n'est pas valorisé à la hauteur de son engagement auprès de ses élèves, souvent plus fragiles qu'ailleurs. Demain, il sera mieux formé et davantage reconnu pour la diversité des missions qu'il exerce et pour son engagement au service de la réussite des élèves.

Ainsi, dès la rentrée prochaine, les professeurs en lycée professionnel volontaires pourront exercer de nouvelles missions rémunérées, favorisant la réussite et un meilleur accompagnement des élèves. Ils pourront, par exemple, aider les élèves en difficulté et soutenir leur projet par du tutorat, participant ainsi à la lutte contre le décrochage, dispenser des matières optionnelles et de spécialisation, assurer des remplacements de courte durée, soutenir le lien qu'entretient le lycée avec son tissu économique via des actions de découverte des métiers ou autres. Chaque professeur engagé pourra prétendre à une valorisation salariale, allant jusqu'à 7 500 euros bruts par an, soit 560 euros nets mensuels.

Je souhaite également que les nouveaux chefs d'établissement de lycée professionnel soient mieux accompagnés lors de leur prise de fonction. À cet effet, la formation des personnels éducatifs sera repensée, par la création d'une formation pour les nouveaux chefs d'établissement, en vue d'une prise de fonction rapide mais adaptée à la réalité des lycées professionnels. Une autre formation sera dispensée pour ceux déjà en poste ainsi que pour les professeurs qui bénéficieront davantage de formation continue.

Mesdames et messieurs les députés, j'ai souhaité prendre le temps de vous détailler toutes les mesures d'une réforme globale, multidimensionnelle, à la hauteur de cette cause nationale, qui consiste à faire du lycée professionnel de demain un véritable tremplin vers la réussite, une fierté pour ses élèves et ses professeurs ainsi que pour les équipes pédagogiques qui y enseignent, une voie choisie, une voie de réussite et d'excellence.

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