C'est donc dans une totale précipitation que notre assemblée examine cette proposition de loi prolongeant provisoirement le bouclier loyer. Que ce soit sur la forme ou sur le fond du sujet, nous ne pouvons qu'être estomaqués devant une telle légèreté et un tel manque d'anticipation. Les prévisions de l'Insee et de la Banque de France auraient dû alerter le Gouvernement. Nous savons de longue date que l'inflation ne devrait pas revenir à la normale avant le premier semestre 2024. N'y avait-il personne à Bercy pour rappeler que le bouclier loyer prenait fin le 30 juin 2023 ?
Notre groupe le regrette d'autant plus que le sujet traité, lui, n'est pas accessoire. Il a des conséquences importantes sur le pouvoir d'achat d'une grande partie de nos concitoyens : ceux qui n'ont pas la chance – ou plutôt les moyens – d'être propriétaires de leur logement. Faut-il rappeler que le loyer représente le plus gros poste de dépenses de ces ménages ? Les plus précaires consacrent en moyenne un quart de leur revenu pour accéder à un toit. Dans certaines zones tendues, le loyer représente jusqu'à 40 % des dépenses : c'est de l'argent en moins pour d'autres postes essentiels, comme la santé ou l'alimentation.
La question de l'inflation sur les prix des logements est loin d'être anodine pour ceux qui ont des fins de mois difficiles. Cette même question s'était déjà posée à nous en juillet dernier, lors du vote de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. À l'époque, nous avions approuvé le compromis trouvé : plafonner à 3,5 % dans l'Hexagone la revalorisation de l'indice de référence des loyers, le temps que l'instabilité des prix revienne à la normale. Nous avions également milité pour une adaptation de ce dispositif dans les outre-mer et en Corse.
C'était déjà un effort important demandé aux locataires, nous en avions conscience. Aujourd'hui, vous leur demandez de renouveler cet effort : si cette proposition est adoptée en l'état, une nouvelle revalorisation de 3,5 % sera actée dès juillet 2023. En moins de deux ans, les loyers auront été rehaussés de 7 %. Un versement de 500 euros par mois est devenu, en un claquement de doigts, un virement de 532 euros. Ce sont donc 422 euros supplémentaires par an qu'il faut trouver : c'est un véritable défi pour certains, dans la mesure où les salaires, eux, ne progressent pas, ou alors très peu. D'autant que d'autres dépenses sont susceptibles de venir alourdir la facture des locataires. Ainsi, la hausse des charges liées à l'augmentation du coût de l'énergie sera refacturée aux ménages et va peser sur la quittance.
Certains de nos collègues proposent donc, par voie d'amendement, un gel de l'indice de référence des loyers jusqu'en mars de l'année prochaine. Une grande partie du groupe LIOT est favorable à cette option. Dans l'hypothèse où ces amendements ne seraient pas adoptés, nous estimons que le Gouvernement doit au minimum s'engager à revaloriser les APL à hauteur de 3,5 %. Dans le cas inverse, nous nous exposons à une véritable crise sociale.
Reste un problème plus général : le logement est le maillon faible de la politique menée par le Gouvernement depuis 2017. Depuis des années, les acteurs du secteur nous alertent sur les difficultés croissantes. Aujourd'hui, le secteur du logement est quasiment à l'arrêt : un promoteur sur cinq renonce à son projet de construction ; l'offre de nouveaux logements est en baisse de 25 % sur un an, alors qu'il faudrait en construire 450 000 par an. Cette tension qui règne aujourd'hui sur le marché locatif se répercute sur les prix des loyers privés.
Quant au logement social, il est lui aussi en souffrance. La faute au péché originel du Gouvernement : à l'été 2017, dans un déni de justice sociale, il avait annoncé la baisse de 5 euros mensuels des APL, l'objectif étant de réaliser des économies sur le dos des plus précaires de nos concitoyens. La majorité nous dira que cette baisse a depuis été tempérée par la réduction du loyer de solidarité et qu'elle est désormais indolore pour les locataires du parc social. Mais c'est une vision court-termiste. Cette décision a non seulement pesé sur les finances des bailleurs sociaux, donc sur leur capacité à construire pour répondre à la demande de logements, mais aussi sur leur faculté à amortir aujourd'hui le choc de l'inflation.
Nous attendons désormais des annonces du Gouvernement pour remédier à une crise du logement qui ne cesse de s'aggraver. Le report, le 9 mai dernier, des annonces du CNR logement n'est pas de nature à nous rassurer. Résoudre la crise du logement, c'est redonner du pouvoir d'achat aux Français. Il est désormais urgent d'agir pour empêcher une bombe sociale. Malgré les réserves que je viens d'exprimer, le groupe LIOT votera ce texte.