Monsieur Delfraissy, ces dernières années ont été particulièrement intenses pour vous, puisque vous avez présidé non seulement le Comité consultatif national d'éthique, mais aussi le Conseil scientifique covid-19. Dans quelle mesure cette double fonction a-t-elle pu amenuiser l'indépendance du CCNE ? Le président du CCNE a-t-il toujours été en phase avec le président du Conseil scientifique ?
En d'autres termes, les décisions préconisées par le Conseil scientifique ont-elles toutes pleinement respecté l'éthique ? Je pense par exemple au syndrome de glissement de nos aînés, isolés et privés trop longtemps de visites pendant la crise sanitaire. Avez-vous des regrets autres que ceux déjà exprimés l'an dernier concernant l'absence de concertation avec les citoyens, lorsque vous indiquiez que l'on « aurait pu, sur les écoles, sur les personnes âgées, s'appuyer sur l'avis des citoyens, mais le politique n'a pas souhaité le faire au niveau national » ? Le CCNE est, vous l'avez rappelé, une autorité indépendante. Comment pouvez-vous l'incarner après avoir travaillé de manière aussi proche avec l'exécutif durant la crise sanitaire et vous prononcer en toute indépendance sur les questions éthiques posées par les projets que le chef de l'État soutient ?
Le CCNE a parfois évolué au fil du temps dans ses prises de position, alors même que les techniques et les questions éthiques n'avaient pas nécessairement changé, donnant ainsi le sentiment de suivre une pensée politique majoritaire à géométrie variable plutôt que de faire entendre une voix indépendante. Récemment, l'avis n° 139 a par exemple contredit l'avis n° 121, bien que la question éthique posée soit restée la même.
Des positions divergentes s'expriment de plus en plus souvent au sein du CCNE, alors que les avis rendus par le passé semblaient plus consensuels. Dans un pays aussi fracturé que la France d'aujourd'hui, dans quelle mesure le CCNE pourrait-il à nouveau porter une voix éthique française faisant primer la fraternité et se préoccupant prioritairement de la vulnérabilité ? Comment articuler cette vision avec les règles déontologiques des professionnels ?
Les avis du CCNE sont parfois relayés dans les médias de façon incomplète ou schématique. Quelle responsabilité le CCNE peut-il avoir en matière de communication de ses propres avis, afin que leur présentation à l'extérieur soit conforme à leur contenu réel ?
Enfin, dans un contexte de moyens contraints, l'allocation de ressources budgétaires et humaines limitées ne constitue-t-elle pas en soi un enjeu éthique ?