Je commencerai par nos moyens pour aller vers les populations et le rôle de nos délégués territoriaux. Il existe 2 500 France Services, nous sommes présents dans 100 d'entre eux et nous comptons 570 délégués. Ainsi, il nous est impossible d'être présent dans tous les espaces, sans une forte augmentation de nos moyens. Nous aurions besoin d'au moins 2 500 délégués.
Les espaces France Services parviennent à résoudre un certain nombre de difficultés basiques, mais ils ne sont pas en mesure d'accéder à certains dossiers sans un agent de la Cnav, de la CAF ou de la Caisse primaire d'assurance maladie (Cpam). Depuis le début, nous préconisons une présence d'agents appartenant aux différents services publics dans les espaces France Services pour accéder aux dossiers. Ou alors, il faudrait réfléchir à un accès pour les agents France Services. Ils auraient besoin d'une formation conséquente, car le langage CAF ou Cpam est très compliqué.
La fermeture de l'accueil de certains services publics sous prétexte qu'il y a un espace France Services est absolument délétère, car l'accueil physique est indispensable. Une remontée des observations de nos délégués territoriaux dans les espaces France Services est en cours, je pourrai donc vous en dire plus ultérieurement. Globalement, j'ai constaté que les France Services fonctionnent avec fluidité quand les services publics concernés ne sont pas trop en souffrance et parviennent à traiter l'ensemble des dossiers. Cependant, quand les services sont en difficulté – je pense notamment à la CAF de Marseille, qui ne parvenait pas à traiter tous les dossiers –, leurs problèmes se répercutent sur les France Services qui n'ont pas de réponse quand ils appellent les services.
Je suis impressionnée par la persistance des difficultés sur MaPrimeRénov'. L'Anah nous assure que les réclamations étaient peu nombreuses, mais on peut se demander pourquoi elles ne sont pas réglées et pourquoi nos délégués ne reçoivent aucune réponse. Nous avons constaté qu'un avocat s'était emparé d'un certain nombre de dossiers. Nous sommes préoccupés par la situation des personnes et des mandataires. En effet, certaines entreprises rencontrent des difficultés, car elles ne reçoivent pas les aides demandées. Le problème n'est pas suffisamment réglé et il existe encore de graves difficultés, ainsi que des non-réponses quand on les sollicite.
Le schéma de maintien de l'ordre me permettra d'aborder également le port du RIO. Mon prédécesseur a rendu une première décision en 2018 et j'ai également rendu un avis qui soulignait les avancées : la volonté de mieux communiquer, l'obligation du port du RIO et l'interdiction des cagoules, même si nous regrettions que ne soit pas également mentionnée l'interdiction des LBD et des grenades de désencerclement. En effet, nous avons observé dans de nombreuses manifestations des accidents dus à cet usage et la France est un des seuls pays européens à continuer à les utiliser en manifestations. Nous préconisons leur non-usage dans ce cadre et ces armes ont d'ailleurs été rarement utilisées dans les dernières manifestations. Nous avons vraiment constaté une baisse considérable.
Sur le port du RIO, je tiens à rappeler que nous en sommes au début de nos enquêtes et je ne souhaite pas me prononcer trop sur les réclamations, mais nous avons vu quelques images. Nous regrettons que le schéma de maintien de l'ordre ne soit pas complètement appliqué. On voit encore des forces de l'ordre sans port du RIO, ce qui ne contribue pas à rétablir la confiance. Quand nous sommes saisis de situations où le RIO n'est pas visible, il est difficile de dire de qui il s'agit. Souvent, les forces de sécurité nous assurent qu'ils sont en capacité de déterminer l'identité des personnes. C'est vrai dans certaines occasions, mais pas toujours.
L'une des premières décisions que nous avons rendues au moment des manifestations contre la loi travail concerne un jeune homme au sol, maîtrisé, auquel un policier continue à donner des coups. Les forces de l'ordre ont l'usage de la force nécessaire et proportionnée, ce qui n'était pas le cas dans cette situation. Le policier était cagoulé et ni les forces de l'ordre autour de lui ni l'encadrement n'ont pu l'identifier. Ainsi, nous avons simplement constaté qu'il aurait dû y avoir sanction disciplinaire.
Vous élargissiez votre question au contrôle d'identité. En effet, j'ai rendu visite à nos homologues, notamment l'Independant office for police conduct (Iopc) à Londres. Je tiens à préciser qu'il dispose d'un effectif de mille personnes alors que nous disposons de douze juristes pour assurer le contrôle de la déontologie des forces de sécurité. En Grande-Bretagne, les contrôles d'identité n'existent pas, car les citoyens ne possèdent pas de pièce d'identité. Étant donné que le pays n'est pas une zone de non-droit, il existe des contrôles nommés Stop and Search lors desquels les forces de l'ordre posent des questions et peuvent procéder à une fouille. Alors que nous ignorons si les contrôles d'identité en France s'élèvent à 5, 8 ou 12 millions, le Royaume-Uni fait état de 780 000 Stop and Search pour 2021, un nombre qui s'établit d'ordinaire plutôt autour de 550 000. Ainsi, il existe une traçabilité. Le contrôle de la personne est enregistré sur une tablette et si elle estime qu'elle a été victime de discrimination et si elle souhaite contester le contrôle, elle peut se rendre au commissariat et obtenir un récépissé. En France, j'ai saisi la Cour des comptes pour mener une évaluation de ce nombre de contrôles d'identité, de leurs résultats et de leur impact sur la relation entre la police et la population. La Cour des comptes m'a déjà auditionnée et m'a informée qu'elle ne pourrait répondre à la première question. Cette absence de traçabilité est incroyable à la fois en matière de dépenses publiques et de sens pour les forces de l'ordre, qui en ont assez de mener des contrôles d'identité. Ainsi, je pense qu'il faut mener des expérimentations qui comparent les phénomènes de traçabilité. La Cour des comptes devrait rendre son rapport, d'ici la fin de l'année. Les associations ont saisi le Conseil d'État, qui nous a demandé de formuler des observations. Nous avons également fait des observations devant la Cour européenne des droits de l'Homme et nous vous tiendrons au courant.
Passons aux services publics et aux solutions que nous proposons. Tout d'abord, je vous remercie pour vos propos sur l'institution, qui, je le rappelle, est inscrite dans la Constitution. Je continue à dire que la dématérialisation est une chance pour de nombreuses personnes qui peuvent réaliser leurs démarches administratives à n'importe quel moment du jour et de la nuit. Il s'agit surtout de pouvoir s'entretenir avec quelqu'un en cas de dysfonctionnement, via un guichet ou le téléphone. Toutefois, l'interlocuteur au bout du fil doit avoir accès au dossier et ne pas simplement donner quelques recommandations générales.
Dans le cadre de l'enquête que nous avons menée avec l'Institut national de la consommation (INC), les répondants nous ont indiqué que, quand ils disaient ne pas avoir accès à Internet, le conseil qui leur était donné au téléphone était de se rendre sur le site Internet pour connaître les démarches à faire. Par ailleurs, nous avons observé des erreurs dans les informations transmises.
Vous nous avez aussi posé des questions sur l'homophobie et je tiens à rappeler que nous sommes en charge de la lutte contre les discriminations. Ainsi, les violences homophobes n'entrent pas dans nos compétences. Une discrimination est une différence de traitement dans l'un des domaines prévus par la loi, l'emploi, l'accès aux services. L'un des critères concerne également l'orientation sexuelle. Parmi nos observations récentes figure le harcèlement d'enfants à l'école, liées à l'orientation sexuelle. Les réclamations n'arrivent jusqu'à nous que quand elles n'ont pas été prises en charge par l'école, et dans de nombreux cas, la prise en charge est satisfaisante. Les réclamations ont lieu en cas de retard d'écoute du mineur et de retard de prise en charge.
Par ailleurs, nous avons fait face à des refus d'enregistrer des plaintes. J'ai à l'esprit un couple de femmes lesbiennes victimes de violences, qui a voulu porter plainte au commissariat et s'est heurté à un refus de dépôt de plainte. Nous sommes aussi compétents sur ces questions et, dans ce type de situation, les délégués appellent le commissariat en lui rappelant ses obligations. Ces cas sont réglés rapidement, mais sont tout de même très délétères. Nous avons également rencontré le cas d'un maire qui a refusé de marier un couple homosexuel.
Enfin, et nous rendrons très probablement un rapport spécial, avec une publication au Journal officiel sur cette situation, nous avons été saisis par un couple homosexuel qui travaille dans la grande distribution. Quand l'employeur a découvert que ces deux personnes étaient en couple, il leur a imposé des horaires différents et incompatibles avec la vie privée, sans aucune compensation. La médiation n'a pas fonctionné et nous cherchons d'autres recours.
Nous participons au travail sur le plan d'Isabelle Rome concernant la lutte contre l'homophobie, comme nous l'avions fait concernant la lutte contre la discrimination d'origine, le racisme, l'antisémitisme et les discriminations. Nous formulons des observations et des recommandations et nous dialoguons en toute intelligence sur le plan. Par ailleurs, les annonces concernant le premier plan sont intéressantes et nous assurerons un suivi vigilant sur leur application concrète.
Vous soulignez l'importance de communiquer sur les discriminations et vous avez tout à fait raison, mais nous n'avons jamais récupéré les moyens qu'avait la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) dans ce domaine. Je pense qu'il est indispensable de communiquer sur les discriminations pour lutter efficacement et nous souhaitons que le gouvernement mène de grandes campagnes de communication, car le besoin est réel.
Sur les droits des étrangers, l'immense majorité des réclamations que nous recevons concerne des renouvellements de titre de séjour, de la part de personnes qui les obtiendront quoiqu'il arrive. Ainsi, l'embolisation de l'institution n'est absolument pas due aux personnes en situation irrégulière, quand bien même nous traitons aussi leurs réclamations. Nos préconisations rejoignent celles du Conseil d'État : le dépôt d'un dossier papier et un accueil physique doivent être possibles. Ma deuxième préconisation ne vous plaira sans doute pas, mais je pense que c'est l'un des seuls moyens de désengorger les préfectures. Il est nécessaire d'établir des autorisations de séjour de deux ans, et non d'un an ; il y a urgence à arrêter de créer des situations qui appauvrissent les personnes. Ainsi, certains de nos réclamants perdent leur emploi et sont expulsés de leur logement alors qu'ils obtiendront leur carte de séjour. Une femme de 82 ans, en France depuis cinquante ans, obtiendra le renouvellement de sa carte de séjour, mais se retrouve temporairement en situation irrégulière. Son fils est en fin de vie en Algérie, mais elle ne peut lui rendre visite ni aller à l'enterrement parce qu'elle n'a pas pu déposer sa demande. On crée des situations qui, pour moi, sont absolument inadmissibles.
J'ignore où en est le Parlement sur l'application de la Lopmi. Nous ne sommes pas associés à ce travail de contrôle, mais nous y sommes tout à fait ouverts.