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Intervention de Claire Hédon

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Claire Hédon, Défenseure des droits :

Concernant la protection de l'enfance, nous avons observé une augmentation de nos saisines sur des problèmes liés à l'éducation, à la petite enfance et aux enfants étrangers qui n'ont pas forcément accès à l'éducation.

Une grande partie des réclamations concerne la santé, le handicap et l'accès à la scolarité. Des magistrats nous ont alertés sur la non-exécution de décisions de justice, des ruptures de parcours et des changements de famille d'accueil. Cependant, nous n'extrayons pas les violences intrafamiliales dans le détail de nos décisions.

La discrimination dont sont victimes les femmes et la question de la grossesse faisaient partie de mon rapport d'étonnement à mon arrivée dans cette institution. Nous rendons de nombreuses décisions sur des retours de congé maternité, alors que la loi est assez claire et protectrice. En conséquence, nous avons établi un nouveau rapport pour expliquer les droits à la fois aux femmes et aux employeurs. Nous recevons régulièrement des saisines de femmes, plutôt dans le secteur privé, qui sont licenciées à leur retour de congé maternité ou qui ne retrouvent pas un poste équivalent à salaire équivalent. On retrouve aussi des discriminations sur des non-renouvellements de CDD au moment de l'annonce de la grossesse. Je suis impressionnée que ces pratiques perdurent et il semble important de communiquer sur le sujet. Un certain nombre de personnes n'osent pas apporter de réclamations par peur des représailles.

Par ailleurs, il est vrai que les trois quarts de nos médiations aboutissent. L'organisme mis en cause n'accepte pas toujours de négocier et quand les situations sont particulièrement injustes, la réclamation remonte au siège et est traitée par nos juristes. Nous nous efforçons alors de formuler des recommandations. Elles ne sont pas contraignantes, mais nous avons la possibilité de réaliser un rapport spécial, c'est-à-dire la publication au Journal officiel, en nommant l'organisme mis en cause. Nous pouvons également formuler des observations devant les tribunaux, qui sont suivies dans plus de 80 % des cas.

Concernant les enfants et les troubles de neurodéveloppement, nous avons effectivement constaté des difficultés d'accès à l'école et à la cantine, ce qui place les mères en situation très difficile. Comment travailler dans de bonnes conditions quand il est nécessaire de récupérer son enfant à l'heure du déjeuner ? Par ailleurs, les difficultés d'accès aux soins en pédiatrie et en pédopsychiatrie sont massives et inquiétantes. Il y a deux ans, notre rapport annuel s'était focalisé sur la santé mentale des enfants et nous constatons une aggravation des réclamations. Il y a urgence à agir si l'on veut que la jeunesse aille bien.

Sur les questions de déontologie, je suis impressionnée des attaques contre l'institution et contre ma personne. Cette institution est inscrite dans la Constitution et elle est indépendante. Oui, le mode de nomination et le fait que je sois non révocable et non renouvelable est une force pour l'institution. Oui, je suis parfaitement indépendante.

Tout ne vous plaît pas dans mes propos, mais tout ne plaît pas non plus au gouvernement. Les difficultés d'accès au service public vous intéressent, mais vous n'êtes pas contents quand je parle de déontologie des forces de sécurité. Cependant, c'est absolument indispensable. Toute démocratie a un contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité. J'espère, madame, que vous avez lu les tracts auxquels vous faites référence, car ils sont inadmissibles. Je vous rappelle que le racisme est un délit, qu'il est condamné et qu'on ne peut accepter ce genre de propos. Tout cela ne m'empêche pas de considérer que la situation des surveillants pénitentiaires est excessivement difficile, de même que celle des forces de l'ordre. Ils payent le prix de la surpopulation carcérale et pas simplement les détenus.

Lors de mes visites en détention, je suis outrée des conditions dans lesquelles sont maintenus les détenus, qui génèrent de la violence, comme l'indiquent les directeurs des centres pénitentiaires. Il est inadmissible de constater que trois détenus vivent dans une cellule de moins de dix mètres carrés avec des matelas posés au sol. Ces situations génèrent de la violence, mais n'excusent pas des propos diffamatoires, quelles que soient les conditions de travail. Dans ce cas, jusqu'où irions-nous ? Ce type de propos serait-il excusé dans les hôpitaux et dans les protections de l'enfance, car ces établissements sont en difficulté ? Non. Nous continuerons à dire que la maltraitance se joue à tous les niveaux et qu'elle est absolument inadmissible.

Vous êtes allée jusqu'à dire que je contribuais à la haine. Or, nous mentionnons toutes les formes d'excès et jamais nous ne généralisons. J'ai toujours condamné toute forme de violence. Nous contribuons à rétablir la confiance dans nos institutions et dans la police en mettant en lumière les dysfonctionnements. Si l'existence d'un contrôle externe de la déontologie des forces de sécurité dans toute démocratie vous échappe, c'est quelque peu inquiétant.

Par ailleurs, la liberté de manifester est absolument indispensable. Nous avons reçu 165 réclamations et il va nous falloir un certain temps pour mener ces enquêtes. Ainsi, en dehors des faits absolument scandaleux que nous avons observés, je ne me prononcerai pas pour l'instant. Nous attendons de pouvoir mener nos enquêtes contradictoires.

Concernant la déontologie des forces de sécurité, je condamne tout acte de violence et j'ai une pensée pour les blessés. Cependant, la loi nous a chargés de la déontologie des forces de sécurité et non de la question de la violence des manifestants qui est traitée par la justice Nous avons fait quatre saisines d'office et des réclamations nous arrivent.

Dans le cadre de nos enquêtes, nous analysons le respect de la déontologie ainsi que l'usage nécessaire et proportionné de la force. Les réclamations que nous recevons portent sur des personnes qui se plaignent d'avoir été privées de liberté dans des nasses, qui disent avoir été victimes de violence ou d'interpellations suivies de gardes à vue, considérées par les réclamants comme arbitraires. Nous avons également reçu des réclamations de journalistes empêchés dans leur travail, une nouveauté. Je redis que notre institution contribue à la confiance en montrant les difficultés et les atteintes à la déontologie des forces de sécurité.

Vous m'avez, madame Brocard, interpellée sur le fait que l'institution ne souligne pas les progrès. En effet, nous sommes un observatoire de ce qui ne va pas et nous ne sommes pas en capacité d'évaluer les progrès. Par ailleurs, la loi ne nous confie pas ce travail. Ainsi, notre présence dans une centaine de France Services ne nous permet pas d'évaluer l'ensemble des France Services, mais de formuler des observations sur certains endroits.

À chaque fois que j'interviens sur la dématérialisation, je rappelle qu'il s'agit d'une chance. Cependant, j'observe qu'un tiers de la population est éloignée du numérique et que chacun d'entre nous s'est un jour retrouvé en difficulté parce qu'un site dysfonctionnait et qu'il était impossible de joindre quelqu'un. En parallèle de la création du site Antidiscriminations.fr, nous avons mis des gens au bout du fil, des personnes formées juridiquement, qui sont capables de passer trois quarts d'heure avec les réclamants quand c'est nécessaire. Qui plus est, nous disons à nos réclamants qu'ils peuvent rencontrer physiquement nos délégués. Nous avons un site Internet, mais il faut aussi conserver la possibilité d'une rencontre physique.

La décision du Conseil d'État est très intéressante sur les préfectures, puisqu'elle indique qu'en l'état actuel des difficultés, la possibilité de déposer un dossier papier est indispensable. Je suis d'ailleurs quelque peu étonnée que la décision ne soit pas encore appliquée.

Sur la question de l'intelligence artificielle, vous avez tout à fait raison. Nous suivons ce sujet de très près, notamment le règlement européen sur l'intelligence artificielle qui est en cours de négociation. Notre axe est le respect des droits fondamentaux. Nous sommes préoccupés par les discriminations qui pourraient être accentuées non seulement au départ, mais également dans le cadre du fonctionnement de cette intelligence artificielle. Nous sommes proactifs et nous suivons le sujet avec « nos petits moyens ».

Nous avons également des inquiétudes sur les mineurs non accompagnés. Ce sont d'abord des mineurs, qui ont besoin d'être protégés et qui ont droit à la protection. Je tiens à souligner que mettre en opposition des précarités se retourne toujours contre les plus pauvres, quelle que soit leur origine. Ainsi, monter les populations et les enfants qui sont en difficulté les uns contre les autres en faisant une opposition entre des MNA et des mineurs qui sont en protection de l'enfance est délétère.

Nous observons effectivement une distorsion entre la loi et sa réelle application. Vos propos m'intéressent, car je n'ai pas de doute que vous observez les mêmes choses que nous dans vos permanences, qui constituent également de très bons observatoires. La loi est parfois trop complexe et parfois non appliquée et nous devons essayer de comprendre pourquoi puis formuler un certain nombre de recommandations.

Notre rôle est de faire évoluer le droit par nos propositions. Ainsi, nos observations devant les tribunaux sont aussi une façon de faire évoluer la jurisprudence, de même que notre fort pouvoir d'enquête et nos spécialistes. L'institution a vraiment été créée pour cette distorsion entre la réalité de la loi et du droit et la réalité du terrain. Elle est vraiment pour ceux qui sont les plus éloignés du droit et qui ont le plus de mal à faire valoir leurs droits.

Sur la question des lanceurs d'alerte, nous avons sorti un guide tout récemment à destination de ceux qui pourraient se considérer comme lanceurs d'alerte pour qu'ils sachent qui et comment saisir et s'ils entrent dans le cadre requis.

Par ailleurs, notre doctrine se construit au fur et à mesure. Ainsi, il est encore un peu tôt pour s'exprimer sur ce sujet. En revanche, nous rendrons un rapport tous les deux ans, et dès cette année, nous commençons à avoir des rapports des différentes autorités qui sont aussi responsables des lanceurs d'alerte. Nous avons un rôle d'animation des autorités externes et nous organiserons régulièrement des réunions.

Concernant les Antilles, il est vrai qu'une délégation menée par George Pau-Langevin était partie fin novembre pour constater les difficultés d'accès aux services publics, car nous avions été particulièrement alertés sur la situation à la fois en Martinique et en Guadeloupe. Nous avons rendu notre rapport en mars et j'ai voulu d'abord le présenter sur place. Nous avons alors constaté des atteintes aux droits inquiétantes.

Je pense entre autres aux droits à la pension de retraite. Ainsi, des personnes déposent des dossiers, puis attendent dix-huit mois sans aucune pension de retraite, car les agents de service public ont du mal à traiter tous les dossiers. Par ailleurs, nous sommes très inquiets concernant la situation dans les écoles qui enregistrent 20 % de cours en moins par rapport à la métropole, compte tenu de certaines difficultés d'accès (manifestations, sargasses, cyclones). 20 % d'heures représentent une année scolaire en moins dans le secteur, ce qui est considérable et a des impacts.

Il existe également des difficultés dans les transports, des difficultés d'accès à l'eau, particulièrement en Guadeloupe, et des difficultés simplement pour contester une facture. D'ailleurs, George Pau-Langevin est auditionnée cet après-midi par la commission d'enquête sur ces questions.

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