La Banque des règlements internationaux a récemment demandé aux banques centrales de lutter contre l'inflation « quel qu'en soit le prix », quitte à entraîner une récession. En effet, assure-t-elle dans le même temps, il faut se garder de recourir à une hausse des salaires qui déclencherait, nous dit-on, une « spirale hyperinflationniste ».
Cette affirmation, partagée dans tous les cercles néolibéraux internationaux, a permis au Gouvernement de justifier son refus de toute indexation des salaires sur l'inflation, et de toute hausse des salaires tout court. La principale mesure prise par les banques centrales pour lutter contre l'inflation est donc la hausse des taux d'intérêt, et on prépare les opinions publiques aux conséquences de ces choix.
Le Fonds monétaire international, entre autres, n'entrevoit qu'une mince possibilité d'échapper à la récession. S'agit-il d'une fatalité ? Non, il s'agit d'un choix de politique économique dont nous avons voulu débattre ici.
L'idée selon laquelle l'inflation serait aggravée, voire créée, par une hausse excessive des salaires est erronée. Plus encore que celle des années 1970 et 1980, l'inflation actuelle provient de pénuries sur les marchés des biens et de l'énergie, entraînées par la désorganisation des chaînes de production mondialisées provoquée par la pandémie et aggravée par la guerre en Ukraine et la folie spéculative. Il s'ensuit une spirale des anticipations des multinationales, notamment celles de l'énergie, qui répercutent à l'avance les hausses de prix pour augmenter leurs profits – ce qui ne profite évidemment en rien à l'investissement dans l'économie productive.
Même un économiste peu suspect de bolchevisme comme Patrick Artus l'a récemment rappelé : le ruissellement, cela ne marche pas.
Nous n'avons pas affaire à une boucle salaires-prix mais à une boucle pénurie-profits. Pourquoi alors s'enfermer dans le refus de la hausse des salaires réels pour relancer la consommation populaire et ainsi empêcher la récession ? Les économistes non néolibéraux nous le rappellent, l'affirmation selon laquelle la hausse des salaires aggraverait l'inflation jusqu'à l'hyperinflation a été diffusée par les néolibéraux à partir des années 1970 afin de diaboliser cette solution. A contrario, la réponse à l'inflation par la hausse des taux d'intérêt convient à ces néolibéraux. Elle a pour premier objectif de préserver les taux de profit et la valeur des actifs financiers de toute sorte, à commencer par les titres de dette – ce qui révèle une contradiction dans votre politique – car l'inflation, ne l'oublions pas, fait baisser le coût des dettes, ce qui ne plaît pas aux créanciers. Refuser d'augmenter les salaires, ce n'est donc pas lutter contre l'inflation mais faire payer aux travailleurs le coût d'une inflation qui durera.
Le « quoi qu'il en coûte » consistait en une injection d'argent par la puissance publique sans conditions d'investissement, afin de remettre en route le système productif, de l'adapter à la nécessaire transition écologique, de rénover les infrastructures et tout simplement de créer des emplois pérennes. Cette option a vécu. Au niveau international et national, elle a amplifié la financiarisation de l'économie. L'écart entre la richesse et la croissance économique n'a jamais été aussi élevé, et l'on nous prépare désormais au « à tout prix » évoqué par la BRI.
Dans les deux cas, c'est le capital qui gagne. Les dégâts sociaux de cette politique sont déjà énormes et ils vont encore s'aggraver. La consommation populaire va encore se rétracter. De nombreuses TPE et PME vont avoir les pires difficultés à accéder au crédit. Non seulement la récession menace mais, s'agissant de la zone euro, une nouvelle crise monétaire est à craindre à terme car une guerre inversée des monnaies se met déjà en place sur fond de hausse des taux d'intérêt.
Plus globalement, nous assistons à une véritable crise de la mondialisation néolibérale ; elle appelle des solutions collectives et ordonnées. L'heure est à l'instauration de protections sociales et écologiques sérieuses, à la relocalisation d'un maximum de productions, à la taxation plus poussée des profits des multinationales à laquelle même l'OCDE a appelé.
Toutes ces mesures sont incompatibles avec l'austérité qui nous est promise. Comme l'a fait hier ma collègue Aurélie Trouvé en remettant les travaux du groupe sur l'inflation en commission des affaires économiques, nous réaffirmons donc que pour lutter efficacement contre l'inflation sans détruire notre économie, il faut augmenter les salaires réels, réguler les prix et les marges, redistribuer les profits. Nous pourrions soumettre ces réflexions au futur pôle d'innovation de la BRI à Paris. Innovons vraiment !
En conclusion, le groupe LFI – NUPES ne s'opposera pas à l'adoption de ces accords qui concernent un centre de petite taille très spécifique et permettent de garantir une protection sociale aux salariés concernés. Nous nous abstiendrons, mais nous en appelons à une remise en question du modèle économique et financier international et à sa déclinaison nationale car le modèle actuel nous mène dans le mur.