Dans le cadre du printemps de l'évaluation de la mission Enseignement scolaire dont j'ai l'honneur d'être le rapporteur spécial, j'ai pris le parti de m'intéresser à la question de la médecine scolaire et de la santé à l'école. Ce thème revient régulièrement dans le débat scolaire. Durant les quinze dernières années, il a fait l'objet d'une attention soutenue du ministère de l'éducation nationale, interpellé par différents rapports plus ou moins alarmants.
Le dernier rapport en date est celui de la Cour des comptes, publié en avril 2020 et dont j'ai auditionné longuement les auteurs. De toute évidence, les observations et recommandations de ce rapport exhaustif sur la situation de la santé à l'école sont encore valables aujourd'hui et il est inutile de préciser qu'il a été publié dans la période de la crise sanitaire et de ses interminables développements, qui ne se prêtait pas à la remise à plat des organisations, notamment en matière de santé scolaire.
À ce stade, je veux saluer le travail des professionnels de santé à l'école, médecins scolaires, infirmiers, assistants sociaux et psychologues, dont l'activité a été particulièrement orientée vers la gestion des conséquences de la crise Covid ces trois dernières années. Si le temps des protocoles sanitaires et des lignes de vaccination est derrière nous, chacun a pu en mesurer les conséquences psychologiques sur la bonne santé mentale des élèves. Beaucoup des professionnels de santé que j'ai rencontrés dans le cadre de mes auditions me l'ont dit : les enfants ne vont pas bien, évidemment pas partout ni dans les mêmes proportions, mais nous ne pouvons pas nier les difficultés psychiques qui se font jour chez les élèves. Ils ont grandi dans un monde qui n'a cessé de jouer avec leurs émotions.
Bien sûr, je ne suis pas venu vous rapporter une situation facile. Les résultats pour le moins contrastés de la politique de santé à l'école sont objectivés tant par les statistiques ministérielles que par les remontées de terrain. Mais la situation dont nous débattons aujourd'hui n'est pas imputable à telle ou telle gestion. Elle a été évoquée par tous les candidats aux élections présidentielles des vingt dernières années, de tous les bords politiques.
Si j'ai choisi d'évoquer la médecine scolaire dans ce printemps de l'évaluation, c'est aussi parce que j'ai été sensible au débat que plusieurs d'entre vous avaient ouvert par voie d'amendement lors de nos échanges en commission sur le PLF 2023. Comme je l'avais alors dit dans mes réponses en tant que rapporteur spécial, la situation ne se réglera pas qu'à coup de transferts de crédits. Car, même s'il existe bien des enjeux de revalorisation budgétaire, la médecine scolaire ne souffre pas tant d'un manque de moyens financiers que d'un manque d'organisation. Sur l'ensemble des programmes de la mission Enseignement scolaire, elle est dotée de plus de 1,3 milliard d'euros, un budget en augmentation constante, de l'ordre de 5 % sur les cinq dernières années.
Ce budget se décompose en deux grands ensembles : la rémunération et les actions adossées à l'activité des médecins, infirmières et assistants de services sociaux pour 820 millions d'euros ; celles des psychologues du 1er et du 2e degré pour 490 millions d'euros.
Avec autant de moyens, je le dis clairement : un autre monde de la santé scolaire est possible. Et je voudrais partager avec vous trois convictions pour venir aux préconisations opérationnelles de ce rapport.
Premièrement, l'école et la santé vont de pair : il n'y a pas de réussite scolaire possible pour un enfant qui ne va pas bien.
Les troubles qui entravent concrètement les apprentissages peuvent relever des troubles de la vue, de l'ouïe, de la parole, des troubles du comportement, pathologies chroniques, handicaps, violences morales ou physiques, grossesses précoces – notamment dans le cadre familial. Les personnels de l'éducation nationale m'ont fait part de la diversité croissante des problématiques et du sentiment qu'elles s'accroissent parce qu'on les confesse plus facilement – ce qui est bien entendu une bonne chose. Méconnaître et ne pas traiter ces problèmes de santé, c'est accroître le risque d'échec scolaire.
Les personnels médico-sociaux de l'éducation nationale travaillent dans une approche globale de la santé des élèves. Autrement dit, l'école n'est pas formellement le lieu du soin, mais le lieu idéal de la prévention. Les orientations du MENJ se déclinent autour de trois grands axes : la prévention et le repérage des troubles, l'accompagnement des élèves à besoins particuliers et les actions collectives d'éducation à la santé. Ces priorités recouvrent des objectifs ambitieux au quotidien, d'autant plus dans un contexte de montée en puissance de l'école inclusive et au sortir de la crise sanitaire qui a accru les difficultés psychiques.
Deuxièmement, la performance de la santé scolaire – sur la base des indicateurs actuels – est de toute évidence une source d'insatisfaction pour tout le monde, à commencer par les professionnels de santé eux-mêmes.
La santé scolaire bénéficie de moyens non négligeables, soit 1,3 milliard d'euros – dont je précise toutefois à titre strictement budgétaire qu'il est difficile d'identifier les contours précis tant les données sont dispersées dans les documents budgétaires. Ce budget représente avant tout la masse salariale des quelque 900 médecins, 8 000 infirmières, 3 000 assistants sociaux et 7 000 psychologues rémunérés par l'éducation nationale.
Sur le fondement des moyens actuels, la médecine scolaire ne répond pas aux objectifs qui lui sont fixés. Huit enfants sur dix n'ont jamais vu un médecin scolaire à l'école primaire et quatre enfants sur dix n'ont pas de bilan de santé à l'entrée au collège. La non-réalisation des bilans médicaux et infirmiers pourtant obligatoires est le marqueur le plus significatif de cette performance dégradée. Pour le reste, même si on ne doute pas de l'implication quotidienne des professionnels de santé à l'école avec des missions qui sont, dans les établissements scolaires plus qu'ailleurs, intimement liées au profil des élèves, au climat scolaire et à la situation particulière des territoires, on ne peut que regretter l'absence d'indicateurs et de statistiques sur cette politique publique.
Troisièmement, le principal frein au bon fonctionnement de la santé à l'école réside dans le pilotage défaillant et la distribution inégale des forces à l'échelle des établissements.
Vous l'avez compris, quatre professions relèvent du domaine de la santé scolaire. Celles-ci n'ont pas les mêmes rattachements hiérarchiques ni la même culture administrative. En pratique, le médecin répond du directeur départemental des services de l'éducation nationale tout comme l'assistant social, tandis que l'infirmière dépend du ou des chefs d'établissement du second degré dans lesquels elle intervient, et que le psychologue dépend quant à lui du rectorat. Personne n'a le même chef. En toute connaissance de cause de l'émoi que peuvent susciter des évolutions dans les rattachements hiérarchiques et les conséquences statutaires que cela entraîne, je préconise à tout le moins qu'un pilotage opérationnel des forces en présence soit unifié autour du Dasen. La collaboration entre ces métiers existe, mais elle repose sur la bonne volonté des personnes et elle existe quand celles-ci peuvent effectivement se croiser. Or une infirmière ne peut pas croiser un médecin qui n'existe pas et un psychologue ne peut pas croiser une infirmière s'il occupe son bureau quand elle n'est pas là.
Cela va de pair avec une sensibilisation accrue des Dasen aux problématiques de santé à l'école afin qu'ils la prennent mieux en compte dans leurs politiques éducatives.
Un meilleur pilotage ne nous exemptera pas de régler les problèmes d'attractivité des métiers de la médecine scolaire. Un médecin scolaire commence sa carrière avec une rémunération socle autour de 2 000 ou 2 500 euros par mois et atteint difficilement les 4 000 euros après quinze ans de carrière. De plus, un tiers des postes ouverts dédiés aux médecins scolaires ne sont toujours pas pourvus. Je recommande donc d'aligner les médecins sur leurs homologues de la fonction publique, pourquoi pas en allant jusqu'à l'unification du corps des médecins de santé publique. D'autre part, il faut reconnaître que les infirmières scolaires sont aujourd'hui les clés de voûte de la santé à l'école. Elles sont les plus présentes, les plus sollicitées et les mieux identifiées par les élèves ainsi que par la communauté éducative. Ne nous leurrons pas, les médecins continueront à manquer au moins à court terme. Il faut donc reconnaître leur rôle, qui est de plus en plus important dans le second degré. Une discussion pourrait être engagée sur leurs missions, leur implication pour atteindre les objectifs de santé publique et leur rémunération.
Enfin, à la croisée des chemins entre le CNR Santé et le CNR Éducation, il faut mettre autour de la table les acteurs des quatre professions de la santé à l'école pour redéfinir leurs besoins et leurs rôles. L'objectif tient, in fine, tant à un recentrage des missions pour répondre aux besoins des élèves qu'à la possibilité de faire tomber les barrières entre médecine scolaire et médecine de ville. Et la santé scolaire s'inscrit dans le contexte plus vaste de la démographie médicale déclinante dans certains territoires, avec des difficultés de prises en charge des soins, notamment pour les consultations de spécialistes. En cela je préconise d'expérimenter là où cela est possible des complémentarités entre l'école et les communautés pluriprofessionnelles de santé.
La médecine scolaire est au carrefour des priorités de nos concitoyens : école et santé. Il s'agit également d'une priorité de la feuille de route du Gouvernement et de la Première ministre ainsi que du ministre de l'éducation nationale. Ce sujet concentre les difficultés de ces deux pans de l'action publique : problèmes d'attractivité à l'éducation nationale et problèmes de pilotage pour la santé. Or la médecine scolaire est essentielle. Les enjeux du repérage de ce qui va mal chez un enfant, dans sa famille, la capacité à donner l'alerte et à trouver la bonne prise en charge au bon moment doit devenir une priorité politique, mais aussi un réflexe sur le terrain, en l'occurrence au sein de la communauté scolaire. Donner de l'importance à la santé à l'école aujourd'hui, c'est s'assurer de la réussite des enfants, mais c'est aussi éviter les drames de demain.
Le rapport défend la thèse qu'une augmentation assez modeste des moyens alloués à la médecine scolaire accompagnée d'une volonté politique forte de simplification et de redéfinition des missions peut réellement changer les choses. Médecine scolaire et santé à l'école touchent chacune des familles des 12 millions d'élèves français. C'est une question de bien-être à l'école, et plus généralement de bien-être dans la société.