Mes chers collègues, je remercie votre commission d'enquête de m'avoir invitée à m'expliquer précisément devant vous. Je voyais approcher la fin de vos travaux sans avoir eu la possibilité de m'exprimer, ce dont j'étais fort marrie.
Monsieur le président, vous avez rappelé à raison l'existence, depuis plusieurs années, d'une polémique, dont je considère qu'elle est parfaitement dépourvue de fondement, portant notamment sur un prêt contracté en 2014 par le mouvement que j'ai eu l'honneur de présider, et dont j'aimerais rappeler la situation à l'époque.
En 2014, le Front national est confronté à de graves difficultés de trésorerie, provoquées par la défaite électorale de 2007, où 350 candidats à la députation n'ont pas atteint la barre des 5 %. Le Front national s'est toujours fait un honneur de ne jamais mettre un candidat en difficulté financière et a toujours pris l'engagement de prendre à sa charge l'intégralité des dépenses effectuées par les candidats susceptibles de ne pas être remboursées par l'État, soit en raison d'une erreur d'aiguillage, soit en raison de résultats qui ne le permettent pas. En 2007, cela représente pour le mouvement une charge financière de 7 millions d'euros. En 2014, il n'a pas encore réussi à combler ce trou de trésorerie, en dépit de la vente de son siège, dans des conditions très mauvaises – évalué à environ 15 millions, il a été vendu pour 8 millions, en une période peu propice aux transactions immobilières.
Ce déficit, provoqué par un accident électoral, s'est alourdi de pertes financières électorales. Sachez que chaque élection entraînait une aggravation de la situation financière du mouvement pour une raison simple : les banques refusent de nous prêter. Nous n'avons jamais réussi, depuis des années, à obtenir le moindre prêt de la moindre banque française, ni même de la moindre banque européenne.
Or, si l'on emprunte à une banque pour une élection, les intérêts sont intégralement pris en charge par l'État ; si l'on emprunte auprès de particuliers, les intérêts ne le sont pas. Cela entraîne des conséquences financières très lourdes pour un mouvement tel que le nôtre. Par exemple, pour une élection présidentielle, environ 1 million d'euros reste à la charge du mouvement.
Nous avons donc cherché à obtenir un prêt bancaire pour faire face à cette situation financière difficile, ainsi qu'à la crise de croissance du mouvement à cette époque. Nous avons envoyé près de 200 lettres à autant d'établissements bancaires. Aucun n'a accepté de nous octroyer un prêt. Il est d'ailleurs incroyable que le gouvernement français soit incapable de permettre à une candidate d'un grand parti de trouver un financement et d'assurer à des candidats aux législatives la possibilité d'accéder à des prêts. Cela va à l'encontre de l'article 4 de la Constitution.
Ce problème, que j'ai évoqué mille fois dans les médias, n'a échappé à aucun d'entre vous. Au demeurant, M. Bayrou avait apporté son soutien à Emmanuel Macron à la condition qu'il instaure une banque de la démocratie, conscient qu'il était que l'incapacité de certains partis à obtenir des prêts est un problème démocratique fondamental. La création d'une banque de la démocratie a été votée en 2017, après quoi elle est partie à la poubelle. En revanche, les à-côtés votés en même temps, notamment l'interdiction de contracter un prêt hors de l'Union européenne, ont été maintenus.
Par ailleurs, notre situation a été constatée dans un rapport d'information rédigé par l'actuelle présidente de l'Assemblée, Mme Yaël Braun-Pivet, et M. Philippe Gosselin, attestant qu'en dépit des 200 lettres envoyées aucune banque ne voulait prêter, ni au parti ni à moi-même, pour une élection présidentielle. Cette situation a été confirmée par le médiateur national du crédit, qui a tenté sans succès d'intervenir auprès de plusieurs organismes bancaires.
Dans ces conditions, nous avons cherché, contraints et forcés, à obtenir un prêt hors des frontières de l'Union européenne. Il se trouve que j'ai fait alors la connaissance de M. Jean-Luc Schaffhauser, dont c'était en partie le métier. Il m'a indiqué qu'il entendait chercher pour nous le prêt que nous souhaitions. Il a exploré certaines pistes et m'a présenté plusieurs pays où se trouvaient des banques acceptant de nous octroyer un prêt. J'ai choisi la First Czech Russian Bank (FCRB). La négociation, entamée en janvier 2013, a abouti à la signature d'un prêt en septembre 2014.
Je rappelle à la commission d'enquête, car il est facile de juger a posteriori d'une situation géopolitique, qu'à l'époque la question des relations que la France devait ou ne devait pas avoir avec la Russie était bien moins tranchée qu'aujourd'hui. Je crois notamment pouvoir dire, preuves à l'appui, qu'à peu près l'intégralité de la classe politique, du parti socialiste à La France insoumise et des Républicains à Emmanuel Macron, cherchait, comme la France cherche d'ailleurs historiquement à le faire, à améliorer ses relations, notamment économiques, avec la Russie.
En ce qui me concerne, je n'ai jamais changé d'avis, et mon mouvement non plus. Nous avons toujours eu les mêmes positions. L'obtention ou le refus d'un prêt n'a jamais modifié d'un iota la position et les idées qui sont les nôtres en matière de géopolitique. Je vous le dis et vous l'affirme avec d'autant plus de fermeté que j'ai souffert d'une campagne de diffamation absolument inadmissible, menée depuis plusieurs années, fondée sur des soupçons n'ayant jamais reposé sur le moindre élément factuel, et visant à laisser penser que les idées que nous défendons auraient pu être influencées par l'obtention de ce prêt.
Ceux qui connaissent un peu l'histoire politique savent que Jean-Marie Le Pen avait peu de points d'accord avec le général de Gaulle, mais il en avait moins un : l'Europe de Brest à Vladivostok, comme il l'a répété à de nombreuses reprises. Cette conception est d'ailleurs partagée, je crois, par Emmanuel Macron, qui parlait de l'Europe de Lisbonne à Vladivostok.
Ce prêt a été vérifié et survérifié par absolument tout le monde. L'origine des fonds, la régularité du prêt et la régularité des remboursements que nous avons effectués au titre de cet emprunt ont été vérifiées par notre banque, qui en a l'obligation, ainsi que par les deux commissaires aux comptes de notre mouvement, par Tracfin – vous imaginez bien que 9 millions qui transitent n'échappent pas à sa vigilance, du moins je l'espère – et par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), qui a d'autant plus intérêt à vérifier de manière très précise non seulement les conditions du prêt mais aussi celles de son remboursement que, s'il n'est pas remboursé, il devient un don, lequel est interdit par la loi, avec toutes les conséquences qui en résultent, au premier rang desquelles la suppression des subventions.
Rien n'a été simple dans ce prêt de 9 millions, obtenu à un taux de 6 %, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a rien d'amical. Le capital devait être remboursé en une fois en septembre 2019, et les intérêts trimestriellement. Nous avons payé les intérêts sans manquer une seule échéance. La banque a fait faillite, ce qui est un peu une pierre dans le jardin de ceux qui affirment qu'elle était en quelque sorte, par un biais ou par un autre, détenue par l'État russe : quand une banque est détenue par l'État russe, elle fait rarement faillite.
Ne sachant plus à qui payer trimestriellement les intérêts, nous nous sommes tournés vers la Banque centrale de Russie. Nous avons pris un avocat français et un avocat russe. Il nous a été demandé de déposer les fonds en consignation chez un notaire, ce que nous avons fait, jusqu'à la liquidation de la banque et le rachat de ses créances par la société Aviazapchast en octobre 2018.
En 2017, les résultats électoraux du Rassemblement national ont été décevants. L'espoir que nous avions de rembourser notre prêt en une fois s'est envolé, 118 candidats du Rassemblement national ayant obtenu moins de 5 % des voix. En vertu de la jurisprudence que j'ai rappelée tout à l'heure, nous avons pris en charge leurs dépenses, pour que la candidature aux élections législatives ne soit pas réservée aux gens ayant les moyens de subir une éventuelle perte mais soit ouverte aussi aux Français modestes, conformément à une idée que nous défendons. Nous nous sommes donc rapprochés de cette société pour solliciter la renégociation du prêt.
Par ailleurs, comme nous faisions l'objet de critiques médiatiques à propos de ce prêt, j'ai déclaré mille fois, sur à peu près tous les plateaux de France et de Navarre, que, si quelqu'un pouvait nous suggérer une banque disposée à reprendre ce prêt à sa charge, j'accepterais l'intégralité des propositions qui me seraient faites, quelle que soit la banque et quel que soit le pays. Tel n'a pas été le cas. La renégociation du prêt a eu lieu en juin 2020. L'échéancier est scrupuleusement respecté par le Rassemblement national, qui rembourse trimestriellement une partie du capital et une partie des intérêts, le prêt ayant vocation à s'éteindre en 2028.
Si vous regardez les positions politiques qui ont été les miennes, vous vous apercevrez qu'elles n'ont absolument jamais varié, ni avant ni après le prêt, ni avant ni après l'annexion de la Crimée. J'ai fait l'objet d'une campagne de diffamation cruelle. Il n'y a rien de plus infamant, pour une patriote, pour quelqu'un qui est aussi attaché à l'indépendance de son pays que je le suis, d'être suspecté, de manière plus ou moins grossière, de subir l'influence de quelque nation étrangère que ce soit. D'ailleurs, j'ai toujours été très attentive à ne jamais entretenir de relations, directes ou indirectes, avec quelque société étrangère que ce soit.
À ce sujet, un débat a eu lieu, en 2017, sur le recours aux services de NationBuilder. À l'époque, toute la classe politique se passionne pour NationBuilder, qui fournit les moyens de récupérer des données très utiles sur le plan électoral. Tous les candidats à la primaire des Républicains l'utilisent, et même M. Mélenchon, dont je pensais qu'il était plus intéressé que cela par l'indépendance à l'égard des États-Unis. Emmanuel Macron utilise NationBuilder. Moi, je refuse d'utiliser NationBuilder, en dépit du bénéfice électoral induit, car cela signifiait transmettre les données des gens intéressés par ma candidature à un pays étranger, ce qui me pose un problème de conscience. Notre programme politique vise à faire en sorte que l'intégralité des données de nos compatriotes soit conservée sur le territoire national et ne soit pas transférée à une nation étrangère.
Ces accusations, qui sont peut-être les plus graves pour une patriote, ont de surcroît été proférées par quelqu'un qui, à mes yeux, n'avait pas la possibilité de le faire du point de vue éthique : le Président de la République. J'ai la faiblesse de penser, je vous le dis très clairement, qu'un candidat à l'élection présidentielle doit toujours éviter de tomber dans la diffamation et la calomnie de ses adversaires politiques, surtout s'il est déjà Président de la République. Or, s'il y a une personne qui était parfaitement au courant que je n'étais soumise à aucune influence, c'est bien le Président de la République, qui a en sa possession toutes les notes des services de renseignement français.
Ces accusations, qui n'ont été véritablement lancées, de manière forte, qu'en 2022, sont – c'est très clair aujourd'hui – opportunistes et électoralistes. Elles ne sont corroborées par aucun début de commencement d'élément factuel. Elles ont été portées par le Président de la République et ses troupes, ce que je trouve très grave.
Elles ont deux buts à mes yeux : discréditer son opposition, ses adversaires politiques – je n'ai pas été la seule à être victime de ces soupçons, M. Mélenchon en a eu sa part – et faire oublier que tous les mouvements politiques, des Républicains à La France insoumise en passant par celui d'Emmanuel Macron, développaient à l'égard de la Russie exactement la même vision politique que la mienne, à cette différence près que je n'ai, moi, aucune responsabilité dans l'aggravation de la dépendance économique et énergétique de nos pays à l'égard de la Russie. D'autres ont sûrement des choses à se reprocher dans ce domaine : Engie a participé à la construction de Nord Stream, dont le premier tronçon a été inauguré par M. Medvedev, Mme Merkel et M. Fillon les uns à côté des autres.
J'ai été amenée à me rendre en Russie, jamais secrètement ni confidentiellement, pour une raison très simple : rien de ce que je fais n'est secret ni confidentiel. Je prends l'avion, je présente mon passeport et, en règle générale, je rencontre des personnalités politiques où que j'aille dans le monde, ce qui fait toujours l'objet de multiples articles de presse rédigés par les journalistes qui suivent mes déplacements. De mémoire, j'ai fait deux voyages avant l'annexion de la Crimée, dont un en Crimée, lorsqu'elle était encore ukrainienne. J'en ai fait deux après son annexion. Aucun n'était en rapport avec le prêt précité.
Je rappelle un dernier élément de contexte : en plein milieu de ces événements a lieu l'attentat du Bataclan qui, me semble-t-il, a convaincu la classe politique dans son ensemble qu'il était absolument nécessaire de créer les conditions d'un rapprochement avec la Russie, dans le cadre de la lutte contre le fondamentalisme islamiste. J'en étais moi-même convaincue ; je pense que M. Fillon, M. Mélenchon, M. Sarkozy et de nombreux autres responsables politiques en étaient eux-mêmes tout à fait convaincus.
Ce sujet a été l'un des points essentiels de la conversation que j'ai eue avec Vladimir Poutine lorsque je l'ai rencontré en 2017, dans le cadre de la campagne présidentielle. De mémoire, je me suis d'abord rendue au Tchad, puis en Russie, pour rencontrer des chefs d'État et évoquer ce sujet, qui m'apparaissait comme absolument fondamental pour la sécurité de notre pays et de notre continent.
Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission d'enquête, l'histoire, un peu rapidement brossée, somme toute très simple et très transparente, de ce prêt contracté en 2014. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.