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Intervention de Hervé Mariton

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 11h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Hervé Mariton, ancien ministre de l'outre-mer, président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom) :

M. le président, Mmes et MM. les députés, nous venons devant dans le cadre de cette commission d'enquête sur le coût de la vie outre-mer en tant que Fédération des entreprises des outre-mer. La Fedom est une association à but non lucratif, dont l'objet est la défense des entreprises ultramarines et la promotion des économies des outre-mer au service de l'ensemble des entreprises et sur l'ensemble des territoires ultramarins, autour d'une conviction, celle qu'il n'y a pas d'avenir des outre-mer sans développement des entreprises. La Fedom est composée d'adhérents, structures d'entreprise ou entreprises adhérant directement, qui élisent un conseil d'administration qui lui-même élit le président.

Sur la structuration et la gouvernance de la Fedom, nous avons cinq vice-présidents, dont deux sont issus des milieux de la distribution ou des entreprises grossistes. S'agissant des plus grands groupes de distribution, je cite le groupe Bernard Hayot (GBH), qui participe activement à un certain nombre de commissions de la Fedom. Il ne détient pas de mandat au sein du conseil d'administration du bureau de la Fedom. J'évoque un autre distributeur important de moindre dimension, le groupe SAFO. Son président, François Huyghues Despointes, est membre du conseil d'administration de la Fedom et je crois que vous l'auditionnez cet après-midi.

La Fedom est organisée autour de commissions et sur ses cinq commissions, le plus grand nombre de présidents est issu des milieux de l'industrie, du tourisme et du service. Je signale que notre commission maritime et énergie est coprésidée, jusqu'à présent, par un représentant de CMA CGM.

Nous ne sommes pas un institut d'analyse économique ou d'information statistique. Certains de nos travaux mobilisent des données, mais il y a, comme souvent, des limites justifiées par le secret des affaires, la carence des données outre-mer et le non-dépôt assez fréquent des comptes.

Le coût de la vie est le résultat d'équilibres et de déséquilibres. Il est différent d'une région à l'autre. Au sein même de la République, le coût de la vie est différent d'une région à l'autre. Le coût de la vie dans la Drôme est très différent de celui du 7ème arrondissement de Paris. Le coût de la vie est en effet plus élevé outre-mer, dans des termes différents d'un territoire à l'autre. C'est une donnée qui pose un certain nombre de difficultés inégales selon les personnes et les entreprises. Les fonctionnaires sont, à certains égards, accompagnés par la sur-rémunération, et il est probable que les entreprises elles-mêmes vivent différemment ce coût plus élevé, selon qu'il s'agit de leurs ventes ou de leurs intrants.

Je veux porter quelques points d'intention. Vous avez posé ce débat important. Nous constatons déjà un assez haut niveau d'administration des économies ultramarines. L'État et les collectivités locales ont des outils d'intervention qu'ils mobilisent souverainement. Il nous paraît important de ne pas faire émerger d'attente qu'il serait trop difficile de satisfaire dans un cadre raisonnable de mécanisme de l'économie. Cette administration de l'économie peut avoir un certain nombre d'effets appréciés par certains, mais elle a aussi un certain nombre d'effets négatifs. Je prends l'exemple des billets d'avion, qui est un des points d'intention sur le coût de la vie. Un récent rapport de la délégation sénatoriale aux outre-mer du 30 mars 2023 sur la continuité territoriale a formulé, parmi ses propositions, l'idée d'un plafonnement des prix pour les ressortissants des outre-mer en période de pointe. Au regard du mode de fonctionnement des compagnies aériennes, je ne sais pas comment un tel dispositif pourrait opérer.

Il y a quelques mois, le prix du kérosène a augmenté aux Antilles. Il a été expliqué que cette augmentation permettait de limiter l'augmentation du prix de l'essence et des carburants pour l'automobile. Il y a dans cette décision, telle que nous la percevons à la Fedom, une certaine opacité. Est-ce l'État ou la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) à l'origine de cette décision ? Votre commission d'enquête pourrait peut-être aider à élucider cette situation. La conséquence est de contribuer au renchérissement du prix du billet d'avion, supporté à la fois par la clientèle ultramarine et les touristes.

En ce qui concerne les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), j'ai pris, lors de mon passage au ministère des outre-mer rue Oudinot, les décrets du 2 mai 2007 mettant en place les observatoires des prix et des revenus (OPR). Le terme de marges n'y figurait pas. L'évolution législative a introduit cette notion dans ses observatoires. La question du contrôle est parfois posée. Un observatoire, me semble-t-il, observe. Il peut avoir certaines capacités de renseignement et d'investigation dans le cadre légal et réglementaire posé, mais pas nécessairement de l'ordre du contrôle. S'il s'agit d'ouvrir à toujours plus d'initiatives et de concurrence les économies ultramarines, il faut être attentif à encourager ces initiatives, mais pas uniquement par des subventions ou des avantages fiscaux, quand bien même ceux-ci sont bienvenus et importants. Nous avons besoin de chefs d'entreprise dans un cadre qui ne soit pas suradministré, dans le respect des règles de la concurrence et du rôle de l'Autorité de la concurrence ou des autorités locales de concurrence dans certains territoires.

Nous pensons qu'il existe des marges de progrès, par exemple sur l'adaptation de l'outil de production. Aujourd'hui, cet outil, en taille et en capacité machine, n'est pas toujours le mieux adapté. Je plaide pour que les réflexions et les démarches concrètes d'adaptation de l'outil de production au numérique, ce qu'on appelle l'industrie 4.0, s'installent dans les industries ultramarines. Cette réflexion est partagée par nos adhérents. Pour le moment, cette matière n'évolue pas beaucoup.

La part du numérique dans l'économie d'aujourd'hui est sans doute une voie de progrès, dans la mesure où l'un des éléments du coût de la vie, la distance, joue moins par construction. Cela ne veut pas dire que le numérique résolve tout et qu'il soit présent partout. Par exemple, la distribution numérique ne fonctionne pas très bien, il y a peu de commerce électronique, entre autres par que le client de ce commerce demande une livraison rapide. Pour le coup, le numérique ne parcourt pas les derniers milliers de kilomètres.

Il existe sans doute aussi une voie de progrès dans la mobilisation des compétences. Si nous sommes capables de mieux mobiliser les compétences en outre-mer en faisant en sorte que les jeunes formés restent, qu'ils reviennent ou même que les compétences de l'extérieur des territoires viennent aussi, ce serait de nature à améliorer le fonctionnement de l'économie et à réduire le coût de la vie. Ces compétences sont rares et difficiles à mobiliser.

L'un des enjeux de progrès est la sécurité économique. Les délais de paiement des collectivités locales et des hôpitaux forment un sujet massif. Ces délais de paiement entraînent une raréfaction de l'offre, un retrait d'un certain nombre d'acteurs, voire un retrait du territoire d'un certain nombre d'acteurs nationaux, qui considèrent que les marchés sont trop compliqués. Il y a, du fait des délais de paiement, une forme de prime de risque. Elle peut d'ailleurs être étendue à d'autres réseaux.

La sécurité a été évoquée devant vous par la présidente de la chambre de commerce et de l'industrie (CCI) de Mayotte. Il y a des dépenses supplémentaires et donc un coût supplémentaire lié à la sécurité. J'ai discuté avec certains de nos adhérents aux Antilles et le déroulement de certains mouvements sociaux a provoqué des coûts supplémentaires importants en termes de sécurité. Il y a une tendance à l'augmentation des primes de risque sécuritaire. Il y a un risque social, un risque démographique lié à la baisse de population de certains territoires, un risque politique, un risque climatique. Bref, les primes de risques contribuent au coût de la vie.

S'agissant des marges de progrès sur l'amélioration de la logistique, les ports ont des plans d'investissement. Ce sont des enjeux importants pour améliorer l'efficacité et diminuer le coût du stockage et de l'ensemble des manutentions, qui ajoutent beaucoup au coût du transport.

En ce qui concerne les marges de progrès dans l'encouragement à l'emploi, le coût de la vie correspond à la mise en relation des prix de ce qu'on achète et des revenus. Le sujet n'est pas tant que les salaires seraient si bas, il est qu'il y a trop peu de gens qui ont un salaire, avec un niveau de chômage, dont celui des jeunes, trop élevé. Nous proposons, et nous avons formulé cette proposition au gouvernement dans la perspective du comité interministériel des outre-mer prévu le mois prochain, la facilitation et l'assouplissement du titre emploi service entreprise (TESE) outre-mer. Le souhait est d'encourager la reprise d'emploi, de corriger la part prise aujourd'hui par le travail informel. De même, nous encourageons les conditions de contrepartie au revenu de solidarité active (RSA) et l'entrée dans le marché du travail. Le département de La Réunion a pris des initiatives dans ce domaine. Le Président de la République a ouvert, il y a quelques mois, le débat sur l'évolution du RSA.

Je veux rappeler, en parallèle des voies de progrès, des éléments qui sont objectivement complexes, comme l'évolution des routes maritimes, avec des signes d'inquiétude. La régionalisation de la mondialisation, à l'œuvre aujourd'hui, peut introduire des difficultés supplémentaires sur les routes maritimes. La Réunion et Mayotte peuvent s'en trouver affectées.

Je cite aussi les éléments complexes dans la structure de consommation. Le fait que le consommateur ultramarin souhaite une consommation la plus proche possible du consommateur métropolitain est peut-être un élément de renchérissement du coût de la vie. Est-ce le consommateur qui le souhaite ou bien est-ce le distributeur qui y a intérêt ? Il y a probablement une part des deux. En tout cas, la réalité est là.

Inversement, dans le même ordre de réflexion, le renforcement de l'autonomie alimentaire peut, sur certains postes de coût de la vie, baisser ce coût et, sur d'autres, au contraire, l'augmenter.

Je veux aborder un instant la question de l'octroi de mer. Il nous paraît important, dans l'idée même d'un chemin vertueux d'évolution de l'économie, que la recette soit davantage portée vers l'investissement des collectivités locales. Sur ce sujet complexe, notre analyse est qu'il serait périlleux de chahuter un système qui a ses avantages et ses imperfections sans connaître un point d'atterrissage évidemment plus vertueux et plus efficace. Or, aujourd'hui, en tout cas à notre connaissance, personne n'a présenté de point d'atterrissage plus vertueux et plus efficace. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de marges de progrès paramétriques, sur les taux par exemple, s'agissant en particulier des produits de première nécessité. Les collectivités régionales ont une marge dans la fixation des taux et cette marge est davantage mise à profit à La Réunion pour faire en sorte que les taux d'octroi de mer soient plus faibles sur les produits les plus basiques.

La transparence dans les conditions de définition des taux pourrait sans doute être améliorée, de sorte que le monde économique y soit mieux associé.

La question complexe de la relation avec l'environnement régional se pose. Il y a l'hypothèse que les débouchés régionaux, et parfois les approvisionnements régionaux, puissent permettre de mieux faire pression sur le coût de la vie. Néanmoins, il faut prendre en compte les contraintes de normes, les enjeux de soutien aux productions locales et le patriotisme économique régional. Cela vaut vis-à-vis des investisseurs et des flux de produits. Vous voyez combien cette question est complexe.

En conclusion, je souhaite souligner qu'il nous paraît important, pour faire pression sur le coût de la vie, que le marché soit attractif pour les entreprises. Il l'est sûrement pour les entreprises qui exercent, mais il ne l'est pas au point, par exemple, que les distributeurs nationaux soient implantés directement outre-mer. Ils ont pu l'être parfois, rarement, ils ne le sont pas aujourd'hui. Or, sur d'autres territoires en métropole, nous trouvons à la fois des franchisés et des marques qui opèrent directement. Il n'y a pas d'opérations directes aujourd'hui en outre-mer.

Il convient que le marché soit attractif pour les salariés, bien sûr, avec un juste niveau de régulation. C'est pour nous le rôle important de l'autorité de la concurrence. C'est aussi l'enjeu du pouvoir du consommateur. L'idée consiste à dire qu'il est important de ne pas casser ce qui existe. La part du privé dans le produit intérieur brut des outre-mer n'est pas à ce point importante que l'on puisse ne pas considérer les entreprises qui ont le mérite d'y exercer.

Y a-t-il des voies de progrès ? Oui. J'ai essayé d'en décrire quelques-unes. Nous pensons qu'il n'y a pas de solution miracle et que c'est au moins autant dans l'exercice du marché, dans les tensions du marché, dans le poids du consommateur, dans le rôle du régulateur, dans l'évolution de l'économie que les progrès peuvent être obtenus sur le coût de la vie plutôt que par des interventions publiques excessives. J'ai pris l'exemple du transport aérien. Au motif de protéger, on finit par recevoir des critiques très fortes des passagers eux-mêmes.

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